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AY LUNA

MUSICA ESPANOLA DEL SIGLO DE ORO
(Musique espagnole du Siècle d'Or)

détails

UNDA MARIS
Guillemette Laurens, mezzo-soprano
Damien Colcomb, orgue
Françoise Johannel, harpe
Mike Frentross, Vihuela et guitare
Francis Lassus, percussions

CD ALPHA n° 064
enregistré en juillet 2004
à l'Eglise de Lorris (Gâtinais) - durée : 76'24






L'AGE D'OR DE LA VOIX 

La preuve est faite désormais, en grande partie grâce au travail exemplaire de Jordi Savall, de son épouse Montserrat Figueras, et de leur fidèle ensemble Hesperion XX (devenu désormais Hesperion XXI), que le XVIème siècle espagnol, communément appelé "Siècle d'Or", fut d'une extraordinaire richesse sur le plan musical, tant dans le domaine instrumental qu'en ce qui concerne le répertoire vocal, aussi bien sacré que profane. Les grands maîtres qui composèrent pendant cette période ont contribué à sa gloire : Victoria, Morales et Guerrero pour la polyphonie vocale, Cabezon pour les oeuvres pour clavier, les grands vihuelistes pour les cordes et les voix. Alpha se propose aujourd'hui de nous dévoiler une nouvelle facette de ce formidable patrimoine vocal et instrumental.

En Espagne, à l'époque de la Renaissance, la musique religieuse se caractérisait par un désir "d'universalité européenne" à connotation germanique, flamande ou française. Contrairement à la musique dite "profane", inspirée directement du répertoire populaire et qui conservait son "hispanité". La forme, peu connue dans le reste de l'Europe, de "musique pour clavier, harpe et vihuela", se déclinait en deux genres : romance, villancico ou cancion

Empruntant au style narratif issu de la chanson de geste, la romance fut à l'origine amenée par les jongleurs du Moyen Age, qui la firent passer de la rue aux cercles policés de la cour. Dès le XVIème siècle, elle gagna ses lettres de noblesse et accéda à l'art poétique. Elle traita aussi bien de la mort des princes et des rois, de la vie du Christ, que des guerres d'Espagne, trouvant de ce fait une grande audience auprès du milieu aristocratique (Paseabase el Rey moro, Triste Espana et Durmiendo yba el senor).

Issu du latin "villa" (ferme), le mot villancico renvoie au "vilain", au paysan, à son langage fruste, ignorant le latin, et cherche à exprimer la palette de toutes les émotions : l'amour sous toutes ses formes, de la plus triviale à la plus poétique, la simple mélancolie : la Bella mal maridada, Ysabel, Ay Luna et Con que la lavaré. Ce dernier morceau sera d'ailleurs repris quatre siècles plus tard par le compositeur Joaquin Rodrigo pour l'un de ses célèbres "Cuatro madrigales amatorios", oeuvres qu'interpréteront les plus grandes chanteuses espagnoles, comme Montserrat Caballé, Victoria de Los Angeles, Teresa Berganza, mais aussi, plus récemment, Maria Bayo.

La forme strophique du villancico mélange habilement les vers et le chant avec un grand soin du texte et semble annoncer le "recitar cantando" qui, un siècle plus tard, trouvera son accomplissement avec l'art du grand Monteverdi.

Une des multiples qualités de ce disque est de mettre en valeur la particularité et le charme de ce répertoire et les divers courants qui le traversent. Le profane et le sacré cohabitent ici, tout comme l'envoûtante sonorité, d'influence orientale, des percussions et de la vihuela répond à celle de l'orgue, plus épurée et mystique.

Le travail mené par Guillemette Laurens et l'ensemble Unda Maris, mêlant sobriété, authenticité et raffinement de manière fort originale, est en tous points digne d'éloges. Interprète chevronnée de la musique, si expressive et si étrange parfois, de cette époque bénie des dieux, la talentueuse mezzo use avec un art consommé de sa belle voix sombre et rauque pour en traduire tous les affects, passant avec élégance et finesse du registre "noble" de la romance (Paseabase el Rey Moro, Triste Espana, Durmiendo yba el Senor), à celui plus "rustique" du villancico (Ysabel, O, que en la cumbre, Si me llaman a mi, Arded, corazon,arded).

Les musiciens qui l'accompagnent seraient tous à citer. Signalons cependant que Damien Colcomb joue - magnifiquement - sur l'orgue historique de Lorris-en Gâtinais. L'instrument, l'un des plus anciens de France (le buffet et la tribune datent de 1501), était à l'origine de facture italienne, mais fut par la suite, sous le règne d'Henri IV, restauré "à la française".

Comme toujours chez Alpha, la présentation du disque est de belle qualité, et le "Portrait de la femme à la fourrure" du Greco figurant sur la couverture, commenté avec pertinence et panache par Denis Grenier, historien d'art à l'Université de Laval au Québec.

Etonnant mélange de rigueur et de liberté, voici un enregistrement précieux qui s'écoute avec un plaisir rare.
  


Juliette BUCH




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