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Giuseppe Verdi (1813-1901)

Un Ballo in maschera

(Livret de Antonio Somma)

Gustavo III : Placido Domingo
Il Conte Anckarström (Renato) : Leo Nucci
Amelia : Josephine Barstow
Ulrica : Florence Quivar
Oscar : Sumi Jo
Cristiano (Silvano) :Jean-Luc Chaignaud
Horn (Tom) : Kurt Rydl
Ribbing (Samuel) : Goran Simic
Un giudice : Wolfgang Witte
Un servo d'Amelia : Adolf Tomaschek

Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker

Direction : Sir Georg Solti

Mise en scène : John Schlesinger
Décors : William Dudley
Costumes : Luciana Arrighi

Enregistré au Festival de Salzbourg le 29 juillet 1990
Réalisation : Brian Large

Un DVD TDK 5 450270012527






A l'origine, c'est Herbert von Karajan qui devait diriger cette production du Ballo in maschera durant l'été 1989. Il avait d'ailleurs, comme à son habitude, gravé l'ouvrage en studio pour DGG avec la même distribution, quelques mois avant les représentations salzbourgeoises. Mais le chef autrichien étant décédé en juillet au cours des répétitions, c'est Sir Georg Solti qui le remplaça in extremis le soir de la première et lors de la reprise de 1990 dont ce DVD est le reflet.

Le choix du metteur en scène s'était porté sur John Schlesinger qui avait déjà réalisé quelques productions lyriques au Covent Garden, notamment Les Contes d'Hoffmann en 1981, avec le même Placido Domingo et Rosenkavalier en 1985 avec Dame Kiri te Kanawa (toutes deux disponibles en DVD).

S'il ne brille pas par son originalité, le travail du cinéaste britannique respecte en tout point les indications du livret et la direction d'acteurs, solide et efficace, n'appelle aucun reproche. 
Nous avons droit ici à la version "suédoise" qui situe l'action à la cour du roi Gustav III, comme dans le livret original de Scribe adapté par Antonio Somma. Sur le rideau de scène, une peinture en trompe-l'oeil représente l'intérieur d'un théâtre baroque, de toute évidence celui de Drottningholm, qui fut construit sous le règne de Gustav III et dans lequel d'ailleurs se déroulera le bal du dernier acte. Les décors, somptueux, sont tout à fait traditionnels : une immense bibliothèque dans le Palais royal au premier tableau, avec au centre un grand escalier en marbre blanc, un coupe-gorge obscur au milieu d'édifices en ruines pour la scène chez Ulrica, les mêmes ruines reconverties en gibet, et le sol jonché d'ossements humains, au début du deux , enfin une salle cossue toute en bois dans la maison d'Amélia au tableau suivant. Force est de constater que cette production vieillit bien mieux que nombre de mises en scène "branchées" qu'on nous propose aujourd'hui.

Parmi les seconds rôles, on remarque Kurt Rydl, conspirateur de luxe et le jeune Jean-Luc Chaignaud, à l'orée d'une carrière qui promettait beaucoup, parfait en marin naïf et désabusé.

Sumi Jo possède une voix claire et onctueuse qui nous fait aisément oublier tant de sopranos aigrelets que l'on a pu entendre dans le rôle d'Oscar. Tout à fait crédible en adolescent facétieux, elle campe un page mutin à souhait, l'un des meilleurs sans conteste de la discographie.

Au cours des années 80, la carrière de Florence Quivar, que l'on comparait déjà à ses illustres devancières Grace Bumbry et Shirley Verett, prenait un essor international. Son Ulrica est absolument stupéfiante. Le timbre, sombre et profond, est égal sur toute la tessiture jusqu'au sol grave qui conclut "Re dell'abisso", émis avec facilité, sans effets de poitrine appuyés à l'excès.

Renato (Anckarström) est un des emplois fétiches de Leo Nucci qui l'a chanté sur toutes les grandes scènes du monde. Il en livre un portrait ombrageux et inquiétant qui culmine dans l'air "Eri tu" où la voix, alors à son apogée, s'épanouit sans entraves dans la grande salle du Festspielhaus.

L'Amelia de Joséphine Barstow, dotée d'un timbre un rien rugueux et au vibrato serré, en surprendra plus d'un. Sa grande voix de soprano dramatique n'a certes pas le velours d'une Leontyne Price ni même "l'italianità" d'une Tebaldi mais elle se joue sans difficulté de tous les pièges de la grande scène du deux, "Ecco l'orrido campo", et sa technique sans faille lui permet d'interpréter un "Morro'" poignant aux demi-teintes impeccables. De bout en bout le personnage est assumé tant dramatiquement que vocalement. Une incarnation magistrale, hors de sentiers battus.

Placido Domingo, toujours plus à l'aise sur un plateau que dans un studio, campe un Gustav III à tous égards ... royal ! S'il ne possède pas tout à fait le phrasé exemplaire d'un Bergonzi ni la facilité dans l'aigu d'un Pavarotti, sa conception du rôle est un grand moment de théâtre. Il a mûri son personnage depuis les représentations de 1975 à Covent Garden, sous la direction de Claudio Abbado (un DVD Pioneer) et c'est à peine si, au début du premier acte, une ou deux notes un rien tendues dans le haut de la tessiture trahissent la fréquentation assidue d'emplois tels qu'Otello ou Samson. Cependant, il allège sans difficulté sa voix pour la chanson du pêcheur, "Di' tu se fedele", dont il sait traduire l'ironie sous-jacente et sa romance du trois, "Forse la soglie attinse", parvient à émouvoir jusqu'aux larmes. En véritable bête de scène, il rend justice à tous les affects de ce héros tourmenté. Sa passion amoureuse éclate avec fougue lors du grand duo avec Amelia, "Teco io sto'", dans lequel son timbre chaud, d'une troublante virilité, ne saurait laisser insensible la chaste épouse d'Ankarström tandis que les accents sincères de son pardon final ne laissent pas de bouleverser un auditoire subjugué qui lui réservera un triomphe amplement mérité.

Sir Georg Solti qui avait déjà gravé par deux fois Un Ballo in maschera pour Decca (en 1961 avec Bergonzi et Nilsson, puis en 1985 avec Pavarotti et Margaret Price), livre une direction nerveuse et flamboyante aux tempi contrastés. Que l'on écoute avec quelle science il réussit à créer un climat lugubre dès les premiers accords qui ouvrent le tableau d'Ulrica et comme il déchaîne un déferlement orchestral impressionnant au début du deuxième acte ou encore comment il parvient à faire pleurer les violoncelles dans l'air d'Amelia, "Morro'". Du grand art.

En somme, cette production classique dans laquelle évolue une distribution de luxe sous la houlette d'un chef électrisant, témoigne de la grande époque du Festival de Salzbourg. Une immense réussite.
  


Christian PETER




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[12/05/05]
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