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Dietrich Buxtehude (ca 1637- 1707)

O FRÖHLICHE STUNDEN

Hans Jörg Mammel (ténor)

La Fenice
Jean Tubéry, direction

Réf. CD : Alpha 113




Joutes inégales

Ce disque est l’un des jalons de la commémoration du tricentenaire de la mort du compositeur de Lübeck, qui a eu le mérite de replacer en pleine lumière non seulement l’organiste virtuose mais le compositeur de musique vocale alors révéré par ses pairs (lire absolument « La Rencontre de Lübeck » de Gilles Cantagrel chez Desclée de Brouwer… quand il sera à nouveau disponible, appel aux éditeurs !!!). Organiste et non cantor, ce qui lui épargne de nombreuses heures d’enseignement au profit de la composition, Buxtehude compose pour les offices, mais aussi pour les abendmusiken, séries de concerts de musique sacrée sans lien avec la liturgie organisés par les riches bourgeois de la ville. C’est à ces séries, germes des futures cantates sacrées, que se consacre le présent enregistrement, proposant sept concerts spirituels entrecoupés de pièces instrumentales. Buxtehude y fait preuve d’une très belle invention, sur des textes poétiques de grande valeur, faisant concerter voix et instruments en joutes méditatives ou allègres d’un souffle puissant, ici finement dramatisées par quelques imitations et correspondances d’ornementations subtiles de la part de La Fenice entre verbe et musique ; un disque qui complète idéalement par son programme plus vocal qu’instrumental le disque de Stylus phantasticus paru récemment sous le même label dans lequel une même pièce se retrouve pourtant, « Quemadmodum desiderat cervus » BuxWV 92, alors interprétée par Victor Torres. Différence de taille à signaler enfin entre les deux enregistrements Alpha, l’utilisation ici du cornet comme instrument concertant principal, en compagnie du violon.

On ne peut employer pour qualifier la prestation de H.J. Mammel des mêmes qualificatifs élogieux que pour celles de Maria Cristina Kiehr et Victor Torres, et cela vaudra pour l’ensemble du disque, après une écoute des deux productions. Constamment en retrait de la Fenice, Mammel déploie un beau lyrisme dans le medium, mais semble peiner dans les limites de registre et les vocalises, qui lui font nasaliser son émission, et surtout malhabile à exprimer la plénitude, la sérénité. L’allégresse lui convient mieux, mais on attend plus de ferveur, d’engagement, de souffle. L’ensemble dégage une unité de ton et d’intention totalement contradictoires avec l’esprit des compositions.
Et le contraste est accentué par la belle maîtrise de La Fenice, hormis quelques dérapages de cornets que l’on aurait pu corriger au montage (comme dans ce « Quemadmodum »). On soulignera d’autant l’inspiration enfin évidente, et le splendide travail d’Angélique Mauillon (harpe) et Juan Sebastian Lima (théorbe), puis du cornet de Tubéry, dans la pièce conclusive « Herr, wenn ich nur dich hab » Bux WV 38, et le tissu des cornets dans le joyeux « O fröhliche Stunden » Bux WV 84, dans lequel Mammel est plus à son aise, mais superficiel.

Dans l’excellente notice qu’il rédige pour l’enregistrement, Hans Jörg Mammel cite une phrase de Mattheson à propos de ce que nous appelons désormais concerto : «Le nom [vient] de certare, lutter, comme pour signifier que, dans un tel concert, une ou plusieurs voix distinctes entrent pour ainsi dire en conflit artistique avec l’orgue ou entre elles, pour savoir qui l’emportera en grâce et en beauté ». Force est de constater que dans cette confrontation, Tubéry l’emporte… Déception relative, pour laquelle il semble bien que le travail du son, inégal et rendant apparentes les séances successives, ait aussi une grande part de responsabilité.

Sophie Roughol




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