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CHANTS D'AUVERGNE
(sélection)

Joseph Canteloube

Véronique Gens, soprano

Orchestre National de Lille-Région Nord/Pas-de Calais
Jean-Claude Casadesus

Enregistré en juillet 2004.

1 CD Naxos 8.557491


Certains compositeurs restent, pour l'éternité, attachés à une seule oeuvre, une seule activité. C'est ainsi le cas de Joseph Canteloube, passé à jamais à la postérité pour son travail de récolement et d'orchestration du répertoire de chansons traditionnelles françaises. C'est un peu dommage pour un compositeur qui vaut mieux que l'image d'infatigable promoteur pétainiste d'une certaine tradition française (ce qu'il fut effectivement, n'en déplaise à ses thuriféraires et sans que cette "collaboration", dans tous les sens du terme, ne vienne invalider son travail) qui lui colle définitivement à la peau. Car cet élève de Vincent d'Indy, chez qui il recueillit le meilleur de l'influence de Franck, s'avère dans ces pièces exhumées d'un terroir (déjà) en déshérence, un faiseur d'un rare talent. Orchestrateur fin, Canteloube sait, pour chaque mélodie, pour chaque micro-histoire, trouver la couleur juste, la caractérisation sonore idéale (magnifique climat automnal, éreinté et capiteux à la fois de la "Pastourelle", plage 6, par exemple). Que l'on vienne à tendre l'oreille, il y a même parfois d'étonnantes couleurs mahleriennes dans ce beau corpus (la bourrée de la plage 3 a ainsi de bien étranges similitudes avec le "Von der Jugend" du Chant de la Terre).

Casadesus a bien compris tout le parti à tirer de ce symphonisme à la fois délicat et débridé, multicolore et kaléidoscopique. De son orchestre lillois, le chef tire des sonorités rares, du jaillissement à l'épure, dans une rythmique souple aux tempi idéalement contrastés. Le chef joue le jeu du "micro-organisme", du monde en soi que constitue chaque mélodie, comme en témoigne la narration fluide de N'aï pas iéu de moi (plage 8 et suivante), du doux balancement initial (la harpe revêt bien des couleurs de la scène de la tour de Pelléas, comme une réminiscence de vieux conte médiéval) à la scansion acérée, acide presque d'un rythme de bourrée rugueuse. Un tel morceau permet au chef de mettre en valeur la cohésion parfaite de son orchestre, comme aussi la richesse individuelle de chaque pupitre : clarté des cordes, petite harmonie virevoltante, délicate dans ses volutes argentées, bois en général d'une couleur coruscante et savoureuse, cuivres rudes... C'est une véritable toile de maître qui s'expose là !

La voix apparaît, dans un tel contexte, comme une autre partie de l'orchestre. Ainsi instrumentalement traitée, immergée (mais jamais noyée) dans ce limpide flot sonore, Véronique Gens déploie un timbre magnifique, onirique, riche de reflets changeants. Technicienne pleinement assumée, la soprano joue de variations infinitésimales du souffle, de dégradés subtils dans la coloration, de délicats infléchissements de la ligne, pour créer ce modelé impressionniste qui marque l'auditeur tout le long du disque. La chanteuse a, qui plus est, considérablement mûri un timbre qui a quitté les hauteurs de ses débuts pour s'épanouir dans le tiers moyen de la tessiture, le grave gagnant même en capiteux, en résonances chaudes (ce dont avait déjà témoigné la récente Santissima Trinità de Scarlatti avec Biondi, et que confirme, par exemple un très beau Passo pel prati, plage 11). A ce jeu-là, líaigu a peut-être perdu un peu de brillant, un peu de sa pure qualité de projection, de cette très légère vibration, de cette radiance qui fait en partie le charme de l'artiste, même si ce n'est jamais le registre le plus sollicité ici. Mais l'art de diseuse est toujours là (et pas seulement parce que Gens parle son auvergnat natal), s'épanouissant avec davantage de naturel dans les mélodies les plus hédonistes, aux lignes les plus longues, phrasées sur un souffle qui semble inépuisable et toujours idéalement timbré (Brezairola, plage 13, ou encore le très sensible Baïlèro, plage 2). Cela n'empêche pas cependant le sourire, le rebond, l'ironie amère aussi du Boussu (plage 12) où la voix, chargée de second degré, rayonne d'une railleuse simplicité.

Au prix attractif auquel Naxos propose cet enregistrement, voilà donc un très artistique plaidoyer pour un compositeur qui n'est mineur que pour ceux qui se refusent le bonheur peu commun d'une musique à la poésie à la fois ténue et immanente, à l'orchestration talentueuse surtout et au charme très délicatement suranné. Il est surtout l'occasion de retrouver un chef qui développe là une vision intensément musicale, un orchestre magnifique qui le suit comme un seul homme dans les chemins de cette harmonisation subtile, et une artiste suprêmement musicienne, attachante, et qui sert ces pièces avec une probité rare. De la musique donc, seulement de la musique diront certains; mais de la fort belle musique toujours, et pas seulement...
  


Benoît BERGER




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