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Mario Del Monaco

Coffret hommage au 25ème anniversaire de la mort du ténor
Mario del Monaco
 

« Il favoloso Del Monaco »


Airs d'opéra de Giuseppe Verdi (1813-1901)
Otello, Macbeth, Luisa Miller, La Traviata, Aida, Rigoletto, Ernani, Un ballo in maschera, La forza del destino, Il Trovatore

Airs d'opéra de Giacomo Puccini (1858-1924)
Manon Lescaut, La Bohème, Tosca, Madama Butterfly,
La Fanciulla del west, Il Tabarro, Turandot.

Airs d'opéra de Arrigo Boito (Mefistofele), de Amilcare Ponchielli (La Gioconda), de Pietro Mascagni (Cavalleria rusticana, Isabeau), Ruggero Leoncavallo (I Pagliacci, La Bohème), de Umberto Giordano (Andrea Chenier, Fedora), de Francesco Cilea (Adriana Lecouvreur), de Ricccardo Zandonai (Francesca da Rimini, Giulietta e Romeo), de Vincenzo Bellini (Norma), de Alfredo Catalani (Loreley, La Wally), de Georges Bizet (Carmen), de Jules Massenet (Le Cid), de Richard Wagner (Lohengrin), de Leonard Bernstein (West side story).

Orchestres et chefs divers

Decca 3 CDs




Miracoloso Del Monaco


Fabuleux, Mario del Monaco le fut et pour toute une génération le demeure, son nom étant à jamais associé à celui d'Otello de Verdi, qu'il interpréta plus de quatre cent fois, et plus encore à une école de chant italienne aujourd'hui sans héritier. L'hommage rendu par la maison de disque Decca à laquelle il fut attaché pendant toute sa carrière, offre un portrait fidèle de ce magnifique ténor disparu en 1985. Peu de nouveautés parmi ces trois CDs, l'essentiel du legs de l'artiste ayant été publié sous forme d'intégrales, d'extraits, de récitals et de multiple compilations, à l'exception de ces fragments de Norma de Bellini, gravés en 1958 à Rome avec Giulietta Simionato et Piero de Palma, en prélude à un éventuel enregistrement complet de l'œuvre avec Anita Cerquetti, qui venait de remplacer Maria Callas après sa défection romaine du 2 janvier de la même année.
La grande scène d'entrée de Pollione "Svanir le voci...Meco all'altar di Venere", abordée avec une sérénité de conquérant, un timbre de bronze et des aigus percutants, est tout simplement sublime d'héroïsme et de grandeur, d'autant qu'elle est conduite par un Gianandrea Gavazzeni des grands jours, qui trouve le tempo juste et le ton approprié aux exploits de ce proconsul romain. Lui succède un remarquable duo avec l'Adalgisa fière et stylée de Simionato, "Va crudele, al Dio spietato", qui prolonge les splendeurs milanaises de décembre 1955, où Norma avait pour nom Callas. Ces inédits font à eux seuls tout le prix de ce coffret ; Del Monaco gravera finalement Norma en 1968 (trop tardivement) aux côtés de la jeune et toute puissante Elena Suliotis et de Silvio Varviso.

Trois généreuses galettes tentent de résumer l'art de ce ténor à la voix de stentor, virile, héroïque et charismatique - dont le style fut jugé parfois rudimentaire par manque de raffinement ou de nuance - qui incarnait un certain idéal dans le répertoire verdien, puccinien et vériste, avec quelques incursions dans le grand répertoire français et allemand.
Après des débuts dans des rôles lyriques (Pinkerton, Alfredo..), Mario del Monaco doté d'un matériau vocal large et puissant se spécialise rapidement dans des ouvrages où sa vaillance, l'éclat de son registre vont lui permettre de briller : après Andrea Chénier chanté pour la première fois en 1946, sa rencontre avec Otello est déterminante. Ce personnage clé qu'il fréquentera plus de vingt ans, demeure le rôle de sa vie, la plus aboutie de ses créations musicales et théâtrales. Les extraits rassemblés sur le premier CD, captés au Teatro Colon et placés sous la direction d’Antonino Votto, sont historiques à plus d'un titre, puisqu'ils remontent à 1950 et qu'ils marquent les premiers pas du ténor dans cette pièce. Ce choc frontal, total entre un artiste et un rôle constitue un témoignage à écouter religieusement, tant il est évident que Del Monaco "est" Otello. De l"Esultate"de 1954 avec Alberto Erede, d'une fougue désarmante, au finale avec Karajan en 1961, tout est leçon, tout fait date.
L'insolence (Aida 1952), la pâte vocale (Ballo un maschera 1956), la présence phonogénique rare (Forza del destino 1955), la puissance d'Ernani (1956) ou d'Il Trovatore, avec cet ut glorieux qui conclut "Di quella pira", autant de moments qui méritent d'être écoutés pour eux-mêmes et non forcément les uns à la suite des autres, sous peine d'être "écrasés" par cette voix luxuriante aux aspects de forge, amplifiée par les micros. Une curiosité, les deux airs de Rigoletto et celui de la La Traviata, allégés pour l'occasion, en écho à ses premières amours.

Consacré à Puccini et au vérisme, le second CD comporte de véritables merveilles, Mario del Monaco s'étant emparé de la plupart des œuvres qui appartiennent à ce courant musical. Insurpassable, son des Grieux (intégrale avec Renata Tebaldi, sa partenaire attitrée et Molinari-Pradelli de 1954), nuancé et phrasé avec urgence et désespoir, donne le frisson. Les trois tirades du révolutionnaire Andrea Chénier (1957), empoignés par l'orchestre étincelant de Gavazzeni, peut-être un soupçon moins enflammées qu'à la scène, où le ténor se lâchait et osait l'impossible, sont un baume à nos oreilles aujourd'hui si rarement comblées par tant de conviction vocale. Le "Cielo e mar" est, en comparaison à celui de l'intégrale studio au cast exceptionnel (Cerquetti, Simionato, Bastianini, Siepi et Gavazzeni 1957), un peu plus engorgé et moins accompli dans l'expression. Admirables les deux airs tirés de Mefistofele de Boito (intégrale de 1958), débordants d'énergie, mais également de noblesse, tout comme les airs de La fanciulla del west (Franco Ghione 1954 et Erede 1953) à la projection intense et d'une éloquence qui rappelle la mémorable soirée florentine avec Eleanor Steber et Dimitri Mitropoulos en 1954.
Les excès véristes, pêchés mignons du ténor qui se laissait parfois aller à quelques déchaînements inutiles, sanglots et autres cris, se vérifient dans Il Tabarro, où le coffre thoracique du chanteur se déploie avec trop de violence, alors que les extraits de Cavalleria rusticana (Tullio Serafin 1960) préférables à la version de 1967 avec Suliotis et Tito Gobbi, le montrent impressionnant de vérité dramatique.
Curieusement le "Nessun dorma" de Turandot antérieur d'une année à l'enregistrement complet avec Inge Borkh, Tebaldi et Erede (Rome juillet 1955) est grelottant et mal positionné, tandis que les airs de Cavaradossi (Tosca 1952), sonnent volumineux et froids.

Après Verdi et Puccini qui lui valurent tant de succès auprès du public, nous retrouvons la voix torrentielle de Mario del Monaco et cette propension aux décibels qui, convenons-le peut lasser, dans des pages plus rares de Loreley (1954), Isabeau (1964), Wally (ici en 1956 avec Erede dans une prise de son parfaite, supérieure à l'intégrale tardive avec Tebaldi), ou Giulietta e Romeo de Zandonai (compositeur dont il exhuma avec Magda Olivero la magnifique Francesca da Rimini à la Scala en 1959), où toute la séduction de ce timbre se fait entendre, sans cette dominante métallique qui entachera les dernières années.

A fuir en revanche l'air de La Bohème de Leoncavallo "Musetta !.. O gioia della mia dimora", à la diction confuse et aux sons trop ouverts (1964) qui met à nu l'usure des moyens, malgré un aigu toujours sonore. Précisons que le ténor subit un grave accident de voiture en 1963 et qu'il revint sur scène après huit mois de convalescence. Antérieure à la version complète dirigée par Thomas Schippers en 1963 avec Regina Resnik, la "Fleur" de Don José, placée sous la houlette de Erede (1956) est déclamée dans un français exotique, tout comme l'air du Cid de Massenet "O souverain, ô juge, ô père", qui souffre d'une expression un peu plate. Le final de Lohengrin "In fernem Land", toujours avec le maestro Erede en 1955 est une splendeur. Un an avant d'aborder le rôle en scène à Milan, Del Monaco malgré une certaine opacité dans l'interprétation, mais dans un allemand plus qu'honorable, une émission haute et claire, s'impose dans une partition qui ne sera malheureusement suivie que par le Siegmund de La Walkyrie, à Stuttgart en 1966, seules incursions wagnériennes. Inutile de perdre son temps en revanche à l'écouter s'égosiller dans "Tonight", "Be my love", ou autres mélodies grossières et tape-à-l’œil.

Malgré quelques réserves, cet hommage à l’un des plus grands ténors du XXème siècle, accompagné de photos rares et de textes bien documentés, est hautement recommandable, en complément des intégrales toujours au catalogue et des nombreuses représentations captées en direct. Ceux qui ont eu la chance de voir Del Monaco en scène évoquent encore avec émotion l’impression qui émanait de sa personnalité. Le disque n’a sans doute pu préserver que partiellement le magnétisme de l’artiste, mais rendons-lui grâce d’avoir su engranger tant de moments inoubliables. Si la curiosité vous pique, n’hésitez pas à vous tourner vers les documents filmés, il y en a beaucoup (Otello au Japon en 1959 vient de sortir chez VAI), qui ne devraient pas vous décevoir.



François LESUEUR





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