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Roberto Devereux

« Tragedia lirica » en trois actes de Salvatore Cammarano
tirée en partie de la tragédie
Elisabeth d’Angleterre
de François Ancelot

Musique de Gaetano Donizetti (1797-1848)

Création : Naples, Teatro di San Carlo, 29 octobre 1837

Elisabetta Prima Tudor, regina d’Inghilterra (soprano) : Edita Gruberova
Roberto Devereux, Conte di Essex (tenore) : Roberto Aronica
Lord Duca di Nottingham (baritono) : Albert Schagidullin
Sara, Duchessa di Nottingham (mezzosoprano) : Jeanne Piland
Lord Guglielmo Cecil (tenore) : Manolito Mario Franz
Sir Gualtiero Raleigh (basso) : Steven Humes
Un paggio (basso) : Nikolay Borchev
Un familiare di Nottingham, (basso)  : Nikolay Borchev

« Der Chor der Bayerischen Staatsoper »,
chef des Choeurs : Andrés Máspero

« Das Bayerische Staatsorchester »
dir. Friedrich Haider

Mise en scène : Christof Loy
décors et costumes : Herbert Murauer
lumières : Reinhard Traub

Enregistrement réalisé au « Bayerische Staatsoper » de Munich,
durant une ou plusieurs des représentations effectuées les 18, 22, 26 et 31 mai 2005.
1 DVD Deutsche Grammophon Gesellschaft 00440 073 4185

Durée totale : 135mn.
Notes et synopsis en anglais, allemand et français.
Sous-titres italiens, anglais, espagnols, français, allemands et chinois



Heureusement, un DVD peut devenir CD…

Quelle période artistique et humaine entoure la création de Roberto Devereux, le cinquante-sixième des soixante-dix œuvres théâtrales de Donizetti !  Gaetano-l’Infatigable revient en effet de Milan où le Teatro alla Scala créait, le 17 mars 1837, la cantate In Morte di Maria F. Malibran, dont il composa l’ouverture, partageant l’hommage avec les estimés Giovanni Pacini, Saverio Mercadante, Nicola Vaccai et Pietro Antonio Coppola. A Naples décède Nicola Zingarelli, directeur du Conservatoire, et Gaetano en assume non seulement la direction intérimaire mais compose en trois jours une Messa di Requiem en la mémoire de Zingarelli (et dont la partition serait aujourd’hui perdue). Etonnamment lucide alors que le choléra faisait rage, il révise Rosmonda d’Inghilterra en Eleonora di Gujenna et compose la cantate La Preghiera di un popolo, fort bienvenue en cette terrible période. Le destin ne devait pas s’arrêter là et réserver au compositeur lombard l’un des plus tragiques moments de sa vie. Il perd un troisième enfant, mort comme les autres peu après la naissance et connaît ensuite la douleur de voir son épouse suivre ses enfants dans la tombe. Dans un état de prostration infini, dont nous témoignent des lettres poignantes de douleur pudique, il doit honorer son contrat avec la maison d’opéra la plus prestigieuse d’Italie, le Teatro San Carlo de Naples. « Il sera pour moi l’opéra des émotions », écrira Gaetano et à juste titre car dans tous les sens de l’expression : Roberto Devereux est en effet l’un de ses plus beaux et peut-être le plus dramatique de ses opéras.

La Radio bavaroise avait diffusé en direct la représentation du 19 janvier 2004 ; pour la reprise donnant lieu à l’enregistrement en DVD, deux des protagonistes changèrent. Roberto Aronica succède avec bonheur à Zoran Todorovich dont la vaillance et l’engagement rachetaient les petites défaillances. De sa voix souple et chaleureuse, il dessine un Roberto élégant mais sensible… (ne méritant certes pas de finir en caleçon et maillot de corps !…).

Albert Schagidullin, en duca di Nottingham, possède une noirceur élégante mais aussi la noblesse de chant du baryton grand-seigneur donizettien. On l’entend même varier la reprise de sa cabalette terminant le premier tableau, chose rare mais que tentait déjà Paolo Gavanelli en 2004, pourtant Nottingham de moindre prestance. Jeanne Piland nous propose une Sara di Nottingham plutôt mûre, de son timbre charnu et avec un souffle parfois un peu court, que compensent cependant un chant attentif et scrupuleux des nuances, et une interprétation sensible.

Edita Gruberova est toujours une Elisabetta remarquable, une fois acceptée la minceur de timbre, qu’elle tente de compenser en effets dramatiques… un peu appuyés parfois. On loue encore ses sons filés, un legato exemplaire, une intacte virtuosité faisant d’elle le premier élément de cette production. Visuellement, on est frappé par ses mimiques très marquées et parfois caricaturales. Elles sont peut-être voulues par le metteur en scène mais prouvent en tout cas combien la grande artiste vit, ou plutôt vibre son rôle !  Un peu comme Beverly Sills, follement éprise de lui au point de vouloir l’interpréter encore et toujours, malgré le danger qu’il représentait pour sa voix, avec le raccourcissement de carrière certain qu’il occasionnait. Bien sûr, « Gruby », pour reprendre le surnom affectueux de ses fans, a plus la voix d’une Maria Stuarda, d’une Linda ou d’une exquise Parisina, hélas jamais abordée, mais on comprend la fascination opérée sur elle par ce rôle déchiré et déchirant. On souhaite de tout cœur que la donizettienne Elisabetta dei Tudorri née, comme elle le dit si bien, du « tremendo ottavo Enrico » (du terrible Henry VIII) ne tue pas, en plus du pauvre Roberto, la voix de la diva slovaque.

Lorsqu’elle se présente aux ovations d’un public debout, son visage témoigne de l’intensité avec laquelle elle a vécu son interprétation, et un peu plus tard, après de nombreux saluts, elle aura retrouvé un semblant de sérénité, après le bouleversement que lui laisse son investissement dans un tel rôle et un Finale aussi intense.

Les chœurs de l’Opéra de Munich, en plus d’une présence scénique saisissante en variété et en justesse des attitudes, se montrent musicalement efficaces. Friedrich Haider mène l’Orchestre d’État de Bavière avec une belle tension mais alla tedesca, à savoir – et c’est le cas de le dire ! - tambour (un peu trop) battant, en intensité de son, en sécheresse de direction et en rapidité. On ne peut toutefois lui donner tort de jouer le jeu de l’analyse enthousiaste de l’opéra qu’il propose dans le bonus : « Tout y est exacerbé, poussé à bout, au paroxysme. (…) Pour moi, c’est l’Elektra du Bel Canto. »

Les coupures sont légères (dans les cadences de fin de morceaux ou dans les charges orchestrales finales), par contre, on relève encore celle qui rogne les ailes au grand Finale secondo, au moment de son paroxysme, hélas, lorsque la grande phrase de la Stretta (débutant avec le terrible « Va !!! » d’Elisabetta) atteint une ultime variation à l’octave supérieure, dans un effet étourdissant, comme pour tenter d’exprimer l’exaspération maximale et générale de ce moment si fort.

La vision du metteur en scène place l’opéra dans l’Angleterre d‘aujourd’hui et fait de Roberto Devereux une pièce quelconque qui essaie de fonctionner avec (ou malgré) une musique romantique à l’extrême. Costumes et tailleurs contemporains nous racontent une autre histoire et leur chic impeccable mais fonctionnel et strict empêche toute poésie de fleurir, tout charme d’opérer…

Curieusement, cette « actualisation » devant mettre l’oeuvre à la portée de tous, se contredit en gestes appuyés à l’ancienne, en mimiques outrées jusqu’à la grimace… Bref, on perd l’esprit rêveur du Romantisme, prenant prétexte de ses chères époques historiques pour s’évader du monde… Ici, point de rêve mais un réalisme à la grisaille triste et sordide, imposé aux pauvres spectateurs, venant précisément à l’opéra pour oublier, dans l’art, leur propre époque !

Durant l’ouverture, on ne coupe pas à l’habituelle pantomime distrayant le public de la concentration préparatoire si magique face à un rideau fermé. Un morne homme d’âge mûr pousse tristement une cireuse dans un bureau où tout est gris ou noir. Les gens afférés qui vont et viennent nous sont étrangers, on n’a pas envie de les écouter, de les voir vivre, de se mettre dans leur histoire. Le seul « accord » avec la musique est de les présenter plus ou moins en nombre et en mouvement, selon qu’on se trouve à un passage calme ou tourmenté de l’ouverture.

Le pauvre rideau est encore la victime de ce refus moderne de la merveilleuse théâtralité de sa fermeture coordonnée avec les charges finales de l’orchestre (d’autant qu’avec l’opéra romantique elles sont retentissantes et dramatiques !). Non, au lieu de cela, une laide extinction de lumières, cinématographique, venant ainsi sceller cette trahison de l’esprit d’une époque.

Un Devereux réussi de plus pour la Signora Gruberova, avec un Duca di Nottingham de haut niveau, DVD qui heureusement peut s’écouter… seulement.



   Yonel Buldrini


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