Wolfgang Amadeus MOZART
(1756-1791)
DON GIOVANNI
Ossia il dissoluto punito
Dramma Giocoso in due Atti K
527
Livret : Lorenzo da Ponte
Orchestre du Metropolitan Opera
direction : James Levine
Choeurs du Metropolitan
direction : Raymond Hugues
Mise en scène et décors
: Franco Zeffirelli
Révision : Stephen Lawless
Costumes : Sylvia Nolan et Anna
Anni
Lumières : Wayne Chouinard
Chorégraphie : Andrew
George
Don Giovanni : Bryn Terfel
Il Commendatore : Sergei Koptchak
Donna Anna : Renée Fleming
Don Ottavio : Paul Groves
Donna Elvira : Solveig Kringelborn
Leporello : Ferruccio Furlanetto
Masetto : John Relya
Zerlina : Hei-Kyung Hong
2 DVD N° 073 401, enregistrés
en 2000
et parus chez DG en mars 2005
L'OMBRE DU COMMANDEUR
Pour la première fois dans son histoire, en 2000, le Met ouvrait
sa saison avec Don Giovanni dans la reprise d'une production de
Zeffirelli datant de 1990, revue pour la circonstance par Stephen Lawless,
avec de nouveaux éclairages et des costumes recréés
pour les rôles principaux.
A la vision de ce DVD, on se surprend à soupirer et à
se dire une fois de plus que les New Yorkais ont bien de la chance d'avoir
pu assister à une telle soirée !
Bien évidemment, il ne s'agit pas ici de ces mises en scène
dont nous sommes actuellement abreuvés, qui prétendent nous
imposer une relecture des chefs-d'oeuvre du répertoire, tout en
se prenant fréquemment les pieds dans le tapis ou, souvent, en enfonçant
des portes déjà largement ouvertes par celles qui ont précédé.
D'un grand classicisme, baignant dans une esthétique du plus
pur style XVIIIème, avec des références marquées
à la peinture de l'époque, en particulier celle de Tiepolo,
cette mise en scène est une vraie réussite, sans doute une
des plus belles qu'ait faites Zeffirelli, et ce depuis longtemps. Décors
superbes, éclairages raffinés, costumes somptueux, direction
des chanteurs d'une haute théâtralité : dès
les premiers instants, on sait qu'il s'agit d'une représentation
exceptionnelle, qui fera date, assurément.
Et irrésistiblement, dés les premières mesures
de l'ouverture, on est tenté de se référer à
une autre grande soirée, salzbourgeoise celle-là, dirigée
en juillet 1954 par le grand Fürtwangler avec rien moins que Siepi,
Dermota, Grümmer, della Casa, Erna Berger et le tout jeune Walter
Berry (DVD paru également chez DG N° 073 019 9), tant la direction
musicale de Levine, souveraine, équilibrée, aérée,
jamais apprêtée ni maniérée, rappelle - en plus
rapide - celle du grand maître, surtout par sa profondeur et sa gravité.
Certes, les décors de cette époque, un peu moins les costumes,
qui n'ont pas la splendeur et l'élégance de ceux de Zeffirelli,
semblent bien démodés, mais la direction musicale et l'interprétation
vocale sont d'un tel niveau qu'aujourd'hui encore, cette version vieille
de plus d'un demi-siècle constitue une référence incontournable.
Bryn Terfel avait déjà incarné - formidablement
bien d'ailleurs - Don Giovanni à l'Opéra Bastille (1999)
dans une mise en scène très discutable de Dominique Pitoiset
et retrouvait là ce rôle mythique, avec plus de profondeur
et de maturité.
Le lendemain de la première, plusieurs critiques enthousiastes
évoquèrent le grand Cesare Siepi et c'est en effet bien à
lui que fait penser Terfel. A la fois raffiné et vulgaire, noble
et presque plébéien, parfois roué, parfois naïf,
il est tout à la fois, en un mot, cet impie "grand seigneur méchant
homme" dont les artistes les plus éminents, à l'opéra
comme au théâtre dans la pièce de Molière, ont
donné une lecture souvent "historique ". Plus proche de Ruggiero
Raimondi que de Roger Soyer (deux grands interprètes de Don Giovanni
sous l'ère Liebermann), Terfel livre du personnage un portrait saisissant,
impérieux, royal, doté d'un magnétisme puissant, d'une
splendeur vocale rare et d'un italien d'une grande pureté, qualités
qu'on peine souvent à trouver réunies chez le même
interprète, du moins depuis Siepi.
Autour de lui, un plateau de rêve, dominé par la Donna
Anna quasiment idéale de Renée Fleming, là aussi splendide
vocalement et scéniquement. Tout au plus peut-on lui reprocher quelques
coquetteries alanguies et autres ports de voix qui sont, on le sait, son
péché mignon et que la grande Grümmer ne se serait certainement
pas permis, surtout sous la direction du Maître Fürtwangler.
Mais à part ces quelques broutilles, quelle technique, quelle voix,
quelle beauté et quelle présence ! La soprano américaine,
que l'on dit volontiers placide, sort ce soir là de ses gonds et
dame quasiment le pion à Elvire qui, elle, semble plus introvertie
et moins incandescente. La prestation de Solveig Kringelborn dans ce rôle
est cependant de haute tenue et d'une grande musicalité, non sans
rappeler, par sa noblesse douloureuse et outragée, celle de Della
Casa.
La Zerline de Hei-Kyung Hong, légère, mutine et d'une
précision musicale absolue, évoque non pas Erna Berger, mais
une autre chanteuse qui fit les beaux soirs de Vienne et de Salzbourg :
la délicieuse Graziella Sciutti. De plus, elle renoue avec la tradition
d'une Zerline soprano, la tendance marquée, lors de ces dernières
décennies, à confier de plus en plus ce rôle à
un mezzo ne s'étant pas toujours avérée totalement
satisfaisante.
Ferrucio Furlanetto offre un pendant tout à fait adéquat
et plausible au vil séducteur. Roué, mais souvent terrifié
par les turpitudes du "plus grand scélérat que la terre ait
jamais portée" - comme le dit Sganarelle - il n'en "fait pas trop",
contrairement à son habitude, tant sur le plan vocal que théâtral.
Certaines de ses confrontations avec Terfel sont tout bonnement vertigineuses,
en raison de la fascinante mise en abyme provoquée par le fait que
tous deux ont également chanté en alternance les rôles
du maître et du valet.
Le Don Ottavio de Paul Groves semble légèrement en retrait,
un peu terne et compassé, et la comparaison avec Anton Dermota est
plutôt à son désavantage. Mais ce fin mozartien livre
une interprétation qui, sans être renversante, reste d'une
grande qualité.
Le Masetto de John Relya, tout comme le Commandeur de Sergeï Koptchak,
est digne d'éloges. Petit détail révélateur
: l'armure de statue vengeresse de ce dernier, à la fin de l'opéra,
ressemble étonnamment à celle du Commandeur dans la mythique
production salzbourgeoise, comme un lointain rappel de l'immanence de la
justice divine.
Les choeurs et l'orchestre du Met sont, comme toujours, au diapason
et sonnent magnifiquement.
On l'aura compris, à part les quelques légères
réserves mentionnées plus haut, il s'agit là d'une
nouvelle version de référence, dans la "tradition", certes,
mais "la grande", celle qui fait si cruellement défaut désormais
sur les scènes d'opéra de par le monde. On se dit aussi qu'on
aimerait bien, pour les festivités de l'année 2006, pouvoir
assister à un spectacle d'un tel niveau, où la musique et
l'esprit de Mozart se voient souverainement respectés.
Las, au regard des dernières nouvelles, les perspectives, à
Paris du moins, s'annoncent plutôt sombres, et l'on risque fort,
encore une fois, de se résigner l'an prochain à devoir franchir
l'Atlantique.
Juliette BUCH
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[19/04/05]