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Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

DON PASQUALE


« Dramma buffa » en trois actes de M. A. (Giovanni Ruffini)
d’après le livret Ser Marc’Antonio d’Angelo Anelli
mis en musique par Stefano Pavesi (1810)

Création le 3 janvier 1843, au Théâtre des Italiens de Paris.

Don Pasquale : Ruggero Raimondi
Ernesto : Juan Diego Flórez
Norina : Isabel Rey
Il Dottor Malatesta : Oliver Widmer
Un notaro : Valeriy Murga
Un maggior-domo : Thomas von Grünigen
Servi di Don Pasquale : Elsbeth Treichler, Alex Minder
Chœurs de l’Opéra de Zurich
Chef des Chœurs : Jürg Hämmerli
Orchestre de l’Opéra de Zurich (« Opernhaus Zürich »)
Direction musicale :
Nello Santi

Mise en scène : Grisha Asagaroff
Décors et costumes de Luigi Perego,
Lumières de Jürgen Hoffmann

Enregistré en 2006 à l’ « Opernhaus Zürich  »
Sous-titres italiens, anglais, français, allemands, espagnols et chinois
Texte de présentation et synopsis par plage en anglais, français et allemand
Decca DVD 074 3202
(Durée 130 mn.)




Un Don Pasquale aigre-doux


La couverture du coffret montre Ernesto, ce qui ne s’est jamais vu pour Don Pasquale, mais peut se concevoir pour un interprète d’exception comme Tito Schipa… ou peut-être Juan Diego Flórez, il est vrai interprète de choix. Il prête en effet à Ernesto la chaleur de son chant, techniquement abouti, et vibrant quant à l’interprétation. Sa présence physique, dotée d’un prestige naturel, évite l’aspect un peu niais dans lequel le personnage, cousin en cela d’Alfredo (La Traviata) peut tomber. N’en déplaise à Figaro, le ténor espagnol est encore
Jonas Kaufman chez Decca laJonas Kaufman chez Decca vedette des extraits de Il Barbiere di Siviglia, présentés en complément et se terminant, encore après le Finale prévu par Rossini, par le long aigu - de 9 secondes ! - concluant son grand air « Cessa di più resistere ». Il brille à nouveau dans les extraits de La Fille du régiment qui suivent.

Ruggero Raimondi campe un Don Pasquale étonnant de verdeur, pour le rôle, mais pas pour lui, jeune encore par la voix et la présence physique. Isabel Rey n’est plus tout à fait dans le même cas… mais il faut plutôt considérer son timbre corsé et cependant se pliant agréablement aux contours de la colorature. Oliver Widmer est un Dottor Malatesta efficace malgré un timbre un peu « vert » pour un personnage diplomate, habile mais au bon cœur certain et dont on attendrait un peu de « rondeur ». Dans une partie quelque peu secondaire, comme celle du notaire correct de Valeriy Murga, les chœurs de l’Opéra de Zurich sonnent impeccables, comme l’orchestre, sous la direction d’un Nello Santi renouant avec la manière dramatique d’un Francesco Molinari Pradelli, théâtral et grave même dans un opéra bouffe. On entend trop souvent en effet le pauvre Don Pasquale, tendre et mélancolique à la manière de Donizetti, « tiré » vers Rossini, par une direction précipitée et sèche, comme si l’on voulait retirer sa douceur à l’asti spumante pour en faire un champagne rugueux à force de sécheresse ! Nello Santi (capable pourtant lui aussi, et dans ce même lieu, de tempi démentiels où il fallait toute la virtuosité d’une Cristina Deutekom pour le suivre), ne gomme en rien les passages comiques ou espiègles, mais laisse simplement s’installer l’atmosphère mélancolique, voire dramatique voulue par Donizetti.

La mise en scène Grisha Asagaroff oscille entre les époques 1900-1920 et un 1900 revu de curieuses touches modernes : le costume de baigneuse (!) de Norina au second tableau de l’acte I, ou les extravagantes couleurs, plus fuchsia que jamais, du changement apporté par elle dans la maison du pauvre Don Pasquale. La scène tournante permet d’impressionnants changements « à vue » des décors, ce qui nous fait pardonner au metteur en scène de ne pas utiliser la magie du rideau qui tombe ou s’ouvre, adoptant la moderne extinction des lumières. La tentation existe aussi d’utiliser la scène tournante de manière incongrue : le début de l’acte II, pour le grand air d’Ernesto se déroule à l’extérieur de la maison de son oncle et un serviteur lui apporte ses bagages. A la fin de son air, il s’éloigne tristement de la maison. Seulement voilà, dans le Finale II°, il doit réapparaître avec ces paroles : « Pria di partir, signore… Avant de partir, monsieur, / Je viens pour vous dire adieu ».

On remarque de petites bizarreries pas vraiment gênantes, comme cet attrait de D. Pasquale pour les oursons en peluche, montrant probablement son infantilisme. Seule outrance dérangeante car sonnant faux est ce trait de caractère d’homme à femmes donné au Dottor Malatesta. On le voit en effet « chercher » l’accorte servante de Norina (ajoutée par la mise en scène !), ou encore, alors qu’il est assis à côté d’elle, s’approcher peu à peu de Norina, jusqu’à se montrer « pressant »… puis avoir finalement un geste de dépit lorsqu’elle le repousse. Un geste tombant à plat, tant il est hors de propos, car on sent bien qu’il ne joue pas en lui expliquant le rôle qu’elle doit exécuter mais que, véritablement, de manière primaire, automatique, il « essaie » : il tente de séduire (ou plutôt « d’emballer » !).

Une attitude plus intéressante et donnant à penser, est constituée par les mimiques de Don Pasquale. En effet, de manière voulue par le metteur en scène, ou l’artiste d’envergure qu’est Ruggero Raimondi, ce dernier adopte souvent un visage dur, méfiant, soupçonneux. Un exemple : lorsqu’à la fin, magnanime, il doit dire « Tutto dimentico… J’oublie tout, soyez heureux ; / Comme je vous unis, que le ciel vous unisse ! », il faut voir en cet instant, l’expression de son visage, durcie, fermée, avec laquelle il prononce la phrase de pardon ! Durant l’air final, il ne se déride pas, demeure perplexe et refuse même avec dépit une câlinerie gentille de Norina ! Dans le duo avec le Dottor Malatesta (dont ils offrent un sympatique bis partiel de l’inénarrable stretta finale) il arbore une carabine ! il est vrai un peu « neutralisée » quant il en menace le Maestro Santi ! (mais là encore, avec une mimique de visage pas vraiment détendue…).

Ce n’est plus le Don Pasquale rêveur de Donizetti, avec cette naïveté charmante du Romantisme, mais pas non plus une bouffonnerie outrancière vidée du contenu affectif et un peu mélancolique de la vieillesse.
Au contraire même, le Don Pasquale plutôt encore « bien vert » de Ruggero Raimondi, naturellement mince, élancé et élégant, dispute la vedette à Juan Diego Flórez, idole du public qui déborde d’enthousiasme après ses prestations.

Une lecture de Don Pasquale étonnante et à connaître.


Yonel BULDRINI


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