C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
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Gaetano Donizetti (1797-1848)

L’Elisir d’amore

« Melodramma giocoso » en deux actes de Felice Romani,
tiré du livret de Eugène Scribe
pour l’opéra de Daniel Auber Le Philtre (1831),
et créé au « Teatro della Canobbiana »
(aujourd’hui Teatro Lirico) de Milan, le 12 mai 1832.

Nemorino (tenore) : Giuseppe Di Stefano
Adina (soprano) : Hilde Güden
Il Sargente Belcore (baritono) : Renato Capecchi
Il Dottor Dulcamara (basso) : Fernando Corena
Giannetta (mezzosoprano) : Luisa Mandelli

Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Maestro Concertatore e Direttore :
Francesco Molinari Pradelli


Bonus (48’19’’) « Duetti d’amore » :
Giuseppe Di Stefano - Rosanna Carteri
Orchestra Sinfonica di Milano della RAI »
dir. Antonio Tonini (1957 ?)
Otello (Verdi), Iris (Mascagni), Carmen,
Les Pêcheurs de perles
(Bizet), Faust (Gounod)

Enregistré à Florence [Teatro della Pergola ?] en 1955
par Decca (LTX 5155/57)
et reproposé en 2006, « restauré » selon USD 24 Restoration System
par Urania Produzioni discografiche S.a.s., Milano

2 CD Urania URN 22.301
Durées : 79mn. 55’’ (Cd1) – 77 mn. 51’’ (Cd2)
(Liste des plages - sans texte de présentation )

En complément à cette critique,
étude de deux autres versions de l'Elisir d'amore,
avec Giusepe di Stefano, version de 1954 et version de 1957...



Gaetano Donizetti venait de donner en cette année 1832, deux ouvrages sérieux d’ampleur, par la somme de musique et sa qualité : l’impressionnante Fausta, le 12 janvier, et le passionnant Ugo conte di Parigi, le 13 mars. Lui qui ne sut jamais ce que voulait dire se reposer sur ses lauriers, trouva pourtant l’inspiration pour ciseler en quelques semaines ce bijou d’opera buffa sentimental qu’est L’Elisir d’amore, créé le 12 mai. On sait que Felice Romani a tiré son  livret de celui d’Eugène Scribe (Le Philtre), mais il est une coïncidence curieuse que l’on connaît beaucoup moins. Le baryton Henri-Bernard Dabadie ayant créé le rôle de Jolicoeur dans l’opéra de Auber, devait en effet faire de même avec celui de Belcore, personnage correspondant dans l’opéra donizettien !

L’étoile de cet enregistrement est Giuseppe Di Stefano qui le chanta à la Scala notamment, à partir de 1954 avec Rosanna Carteri (puis en tournée à Johannesbourg en 1956), en 1958 avec R. Scotto, et encore en 1964 avec Mirella Freni. Il est une fois de plus éblouissant de son timbre à l’incomparable fraîcheur, et s’il le force un peu parfois, les pianissimi timbrés, entre autres nuances, ne manquent pas, rappelant que l’enregistrement tant loué de 1944 n’est pas si loin. Il donne vie, et merveilleusement, à toutes les facettes du personnage, vivant, vibrant chaque sentiment, chaque accentuation portant la ferveur du désespoir de l’amoureux transi !

Hilde Güden, de la voix pulpeuse qu’on lui connaît, est attentive à son chant gracieux et élégant, comblant ainsi l’éventuel manque de ce frémissement traduisant l’ironie ou la tendresse des paroles.

Renato Capecchi semble fait pour les rôles de « fanfaron-ronchon-mais-plus-ou-moins-au-bon-cœur », du Dottor Bartolo d’Il Barbiere di Siviglia à Fra Melitone dans La Forza del destino, en passant par l’ineffable bourgmestre Vambett dans Il Borgomastro di Saardam, précisément repris avec lui. Son art du chant lui permet en effet d’aborder des rôles semblables mais de styles musicaux différents et son savoir-faire dans l’interprétation complète à merveille l’incarnation de ses personnages.

Fernando Corena est très à l’aise dans le rôle du prétendu docteur distillant cette merveille d’Elisir, valable pour tant d’affections qu’il énumère avec une maestria du chant syllabique. Comme toujours, on retrouve cette pointe d’accent français car malgré son nom, il est suisse. Complétant une belle distribution, Luisa Mandelli est un soprano léger à la voix fraîche mais non inconsistante ni acidulée.

L’orchestre est chaleureux au possible, coloré, aux sonorités idéales pour cette savoureuse musique racontant une histoire tendre de campagne. On est frappé par le son « charnu » des violons pourtant incisifs et soulignant bien l’ironie de la partition ; le cor soupire avec Nemorino, la trompette cancane en mesure avec la prétentieuse démonstration du charlatan, les cymbales moussent d’un éclat un peu abrupt et rustique de circonstance…Printemps florentin sur lequel règne le Maîtres des maîtres du « golfo mistico » (la fosse d’orchestre), le Maestro Francesco Molinari Pradelli. Il accomplit ici une belle démonstration de cette manière de diriger idéalement équilibrée dont il a le secret, car elle est dramatique, théâtrale au possible… sans être jamais pesante. Il laisse soupirer son orchestre dans les moments de tendresse autant qu’il souligne l’ironie et l’espièglerie irisant la musique on ne peut plus romantique du Dottor Donizetti !

On constate les coupures des reprises, habituelles en ces années, et même dans le cadre d’un enregistrement en studio, la plus gênante étant celle d’une strophe de la chanson finale.

Techniquement, les aigus « saturent » un peu parfois et comme la couverture du verso porte la mention « Stéréo », ce défaut rappelle, en moindre part heureusement, les désastreux repiquages des années 1970, transportant artifiellement en stéréo les enregistrements d‘origine monophonique.

Un régal digne de figurer aux côtés des « live » les plus prestigieux… (et des autres réalisations en studio), en cette époque pâle d’interprètes et où s’agitent des directions d’orchestre cassantes de sécheresse et de rapidité, brûlant les ailes à la musique.

« Duetti d’amore »

Rosanna Carteri est un grand soprano lyrique ayant chanté La Donna del lago, Guglielmo Tell, Mosè, L’Elisir d’amore, Linda di Chamounix mais aussi La Traviata, Otello, Falstaff (Alice et Nannetta), La Bohème, Lohengrin, Suor Angelica, Tosca (!), L’Amico Fritz et Zanetto de Mascagni, Manon, Faust, Roméo et Juliette, Carmen (Micaëla)… et même « Eugenio Onieghin », pour adopter la sympathique graphie italienne. Ce soprano présente un grave consistant et cuivré, un aigu « plein » limpide, et un medium « fruité » rappelant celui de Mirella Freni, mais au lieu de ce typique « frémissement » dans le timbre du célèbre soprano de Modène, Rosanna Carteri offre une pureté de pierre précieuse. Un luxe non superflu en Italie, dans une époque déjà riche en interprètes hors du commun comme Renata Tebaldi, Antonietta Stella, Marcella Pobbe, Clara Petrella, Magda Olivero… Rosanna Carteri se retira de bonne heure, pour se consacrer à sa famille, après avoir heureusement gravé quelques intégrales et récitals.

Dans ces duos avec « Pippo », comme le surnomment affectueusement ses fans, elle est une exquise Desdemona, une impressionnante Iris, jeune et sensible mais consciente de son drame, une fraîche Micaëla et une « Margherita » (Faust) élégante.

On n’attend pas Giuseppe Di Stefano dans Otello… et l’on découvre un héros étrangement juvénile et pas si dépassé que cela par le rôle, même si son aigu final est un peu tendu et que l’on a, l’espace d’un instant, peur de l’entendre ainsi durer. Le rôle du prince Kyoto dans Iris le maltraite davantage, lui demandant plus de tension dans l’émission. Cela conduit le grand ténor à malmener quelque peu sa ligne de chant : il « ouvre » en effet les sons mais pour retrouver vite, dans les passages non en force, une poésie spontanée, une fraîcheur idéale.

On apprécie son chaleureux Don José au timbre clair, noble et racé plutôt que sanguin. Dans Les Pêcheurs… (ou plutôt : I Pescatori di perle, puisque, comme dans le cas de Carmen et de Faust, ces œuvres sont traduites selon la coutume de l’époque), Giuseppe Di Stefano et Rosanna Carteri nous offrent un duo à la chaleur contrôlée pour ainsi dire, avec une passion mesurée, un chant attentif, cherchant… et trouvant la beauté. Dans Faust, l’attaque, par un Pippo exemplaire de diction claire, de « Notte d‘amore, tutta splendor, begli astri d’oro, o celeste voluttà », suave mais élégante, extatique d’abandon mais mesurée et donnant tout leur sens aux paroles, fait croire que l’on entend un opéra italien.

Yonel Buldrini


Note

(1) Outre les bandes « privées » avec Beniamino Gigli, on retrouve le Maestro Gavazzeni à la tête de l’exécution de la RAI en 1951, devenue disques officiels Cetra, avec Cesare Valletti, Alda Noni et également dans un enregistrement florentin de 1967. Il s’agit en fait de la bande-son de la première expérience, pour la Télévision italienne, d’un opéra filmé en direct durant une représentation et qui, diffusé un dimanche après-midi, rencontra un plein succès démentant les perplexités de tous. Carlo Bergonzi, tout en retrouvant la suavité d’un Gigli, faisait preuve d’une espièglerie inattendue, entouré de l’exquise Renata Scotto et de l’estimable Giuseppe Taddei, ayant tout fait (et bien fait) dans l’opéra italien.

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Nemorino (tenore) : Giuseppe Di Stefano
Adina (soprano) : Rosanna Carteri
Il Sargente Belcore (baritono) : Giulio Fioravanti
Il Dottor Dulcamara (basso) : Fernando Corena
Giannetta (mezzosoprano) : Silvana Zanolli

Orchestra e Coro del Teatro alla Scala di Milano
Maestro Concertatore e Direttore :
Nino Sanzogno

Bonus (26’58’’) Manon (Massenet), extraits.
Rosanna Carteri, Giacinto Prandelli,

Orchestra Sinfonica di Milano della RAI,
dir. Vittorio Gui
Milano, 24 avril 1954.


Enregistré le 23 août 1957
au « King’s Theatre » de Edimbourg

2 CD Myto Records – 2MCD 042.291
Durées : 64 mn. (Cd1) – 74 mn. (Cd2)
Texte de présentation en anglais


La mention « Scala 1957 - Never before released », annoncée sur la couverture rose tendre, en accord avec la musique, était alléchante, et il nous semble bien en effet n’avoir jamais rencontré cet enregistrement dans les listes de vinyles passionnément diffusées sous le manteau. En fait, la précision arrive au verso : du Teatro alla Scala nous n’avons que les forces, l’atmosphère étant celle d’une tournée à Edimbourg.

Le son fort correct nous permet de retrouver un Giuseppe Di Stefano lumineux de son timbre incomparable de fraîcheur vaillante, nous offrant même un aigu inusité à la fin de son duo avec Belcore. Quelques tensions dans les aigus n’entachent pas une interprétation pleine de charme, faisant même, et avec délicatesse, la différence entre le studio et la scène, comme ici un discret hoquet intégré au chant, ajouté au moment où il a un peu abusé… « Dell’elisir mirabile ». Le public s’amuse vraiment et s’esclaffe même dans la scène des « La-la-la-la-la… », où après avoir bu de l’Elisir, il en attend l’effet avec confiance, en jouant, comme dit Adina, à « far l’indifferente » !

On reste sans voix (mieux vaut nous que lui) à l’audition des exemplaires diminutions de souffle, de ses longs passages en mezza-voce, dans « Una furtiva lagrima », évoquant rien moins que ceux d’Alessandro Bonci.

Rosanna Carteri, de son timbre pur et fruité, dessine une exquise Adina (qui perd sa cabalette, tout comme Dulcamara un couplet de sa chanson finale). Silvana Zanolli, de son joli timbre offre une ravissante Giannetta.

Giulio Fioravanti fréquenta beaucoup les rôles du Romantisme italien, avec professionnalisme et élégance, même dans les rôles secondaires : il fut notamment un implacable Lord Cecil dans Maria Stuarda. On retrouve avec plaisir son legato un peu rugueux mais séduisant, comme si un voile un peu rauque couvrait sa voix.

On constate qu’un public non forcément italianisant comme celui d’Edimbourg, suit le texte comique et rit franchement de la fameuse déclaration de Dulcamara entre ses dents : « È Bordò, non elisir. », ou encore de son impayable trouvaille lorsqu’il affirme contre toute attente que son « Elisir » est connu « in tutto l’universo… » (on apprécie la légère hésitation) « …e… in altri siti » !!

Fernando Corena est ici égal à lui-même, chargeant un peu un rôle ne demandant qu’à l’être… avec bon goût. Il va même jusqu’à ajouter, bien que suisse, des expressions d’étonnement typiquement italiennes, venant appuyer sa stupeur lorsque Nemorino lui demande la boisson de la « Regina Isotta ». 

De sa direction vive et piquante, Nino Sanzogno, en maître de l’alambic, nous distille ici le plus pimenté des trois élixirs, le plus capiteux étant celui de Francesco Molinari Pradelli, et le plus savoureux, nous allons le voir, celui de Gianandrea Gavazzeni.

Les extraits de Manon ne nous disent rien de plus sur le talent de Rosanna Carteri, Manon raffinée et sensible, mais nous rappellent le beau timbre et le style d’un ténor estimé en son temps : Giacinto Prandelli.

Yonel Buldrini



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Nemorino (tenore) : Giuseppe Di Stefano
Adina (soprano) : Renata Scotto
Il Sargente Belcore (baritono) : Giulio Fioravanti
Il Dottor Dulcamara (basso) : Ivo Vinco
Giannetta (mezzosoprano) : Luisa Rossi
« Orchestra e Coro del Teatro Donizetti Bergamo »
Maestro Concertatore e Direttore :
Gianandrea Gavazzeni

Bonus (18’50’’) Récital Renata Scotto
V. Bellini, La Sonnambula : « Ah ! se una volta »
G. Verdi, Otello : « Ave Maria ».
Piano : Gerald Moore, London, 26 mars 1965.


Enregistré le 14 octobre 1961
au « Teatro Donizetti » de Bergame

2 CD On Stage 4712 / 2CDs
Durées : 69 mn. 04 (Cd1) – 69 mn. 02 (Cd2)
Texte de présentation en anglais


Une atmosphère survoltée pour cette soirée bergamasque, due à… tout et à tous !  D’abord le lieu, donizettien au possible, ce bijou de 1400 places comble d’un public à l’attente pleine de ferveur, les chanteurs, pratiquement ce que l’on pouvait trouver de mieux au monde à l’époque, et enfin un chef ayant idéalement compris cette musique.

La publication en Cd de cet enregistrement n’est pas aussi récente que les deux précédentes comportant le même Giuseppe Di Stefano, mais on pouvait voir là une occasion de faire le point sur les Elisir avec le grand ténor. Si une sorte de bruit de fond persiste mais ne couvre jamais les voix ni l’orchestre, les Cd présentent un son amélioré par rapport à une précédente publication vinyle (Movimento Musica).

Quelques années ont passé mais Giuseppe Di Stefano offre toujours la même fraîcheur de timbre, la même ferveur d’interprétation, et si le chant est parfois un peu moins soigné (duo avec le Dottor Dulcamara), son enthousiasme communicatif sert un rôle aimé et bien connu de lui. Par ailleurs les nuances d’une technique éprouvée ne manquent pas et rattrapent quelques incertitudes, comme de magnifiques moments d’émission en mezza-voce, où la diminution de souffle ne « détimbre »  pas le son !  Cette maîtrise et cette ferveur du chant font que, notamment après Una furtiva lagrima, « viene giù il Teatro », selon l’expression consacrée signifiant littéralement : le théâtre descend, s’écroule. Pleuvent alors d’unanimes demandes de bis et lorsque l’orchestre effleure à peine la suite de la partition, la réplique émue d’Adina, la salle reprend ses acclamations et ses demandes mais le maestro tient bon… la note, qui dure, bizarrement, jusqu’au calme revenu et le bis n’est pas concédé. (Le même M° Gavazzeni le permettait en revanche, en 1953 au San Carlo de Naples, avec un Beniamino Gigli de 63 ans, et probablement avec l’accord du grand ténor. On l’entend dans une bande « privée », différant apparemment des publications en Cd de l’Elisir giglien).

On retrouve avec plaisir Renata Scotto, capable d’aborder les parties brillantes de son timbre déjà scintillant par nature. D’autre part, son époustouflante maîtrise de la technique vocale et du souffle fait merveille dans les moments de chant « spianato », littéralement « aplani », c’est-à-dire dépourvu de virtuosité, et laissant l’expressivité pratiquement à la seule mélodie. La grande artiste réduit alors l’intensité de son timbre, incisif au point d’en être tranchant, en des nuances dignes de celles de son partenaire. Les deux airs qui complètent l’enregistrement de L’Elisir rappellent d’une part son art de la mélodie bellinienne et la maestria avec laquelle elle aborda des rôles plus tardifs du XIXe siècle.

Les interprètes du « Sargente » Belcore oublient souvent que ce soldat fanfaron et un peu ridicule possède néanmoins une certaine prestance et une élégance qui séduisent Adina, qualités que Giulio Fioravanti incarne avec bonheur et pour notre plaisir.

Ivo Vinco, habitué à des rôles on ne peut plus sérieux, se tire bien de Dulcamara, ne perdant pas de vue la prestance du personnage… et même dans sa caricature du Senator Tredenti (Sénateur Trois-Dents), dans la chanson avec Adina au début du second acte, où il affecte la prononciation d’un vieillard édenté !  Au lieu d’un Dulcamara « gras » et parfois excessivement truculent, on découvre un Dottore au maintien altier et pince-sans-rire, mais n’oubliant pas la bonhomie malicieuse : « (È Bordò, non elisir.) ».

Luisa Rossi n’a pas l’honneur de voir son nom indiqué dans la distribution mais prête néanmoins son timbre frais à sa Giannetta gracieusement piquante.

Donizetti, avec l’humour qui le caractérise, se traitait parfois dans ses letteres d’ « Arlequin bergamasque », gentil pléonasme puisque le célèbre personnage est né dans la même ville que lui !  La Ville devait pourtant donner le jour à un autre Arlequin, le Maestro Gavazzeni, dont les nombreuses couleurs n’ornent pas le costume mais la palette de types d’opéras différents qu’il aborda, et pas seulement dans le répertoire de cette Terre d’Italie ayant inventé le genre !  Du reste, le Maestro Gavazzeni étudiant la partition expliquait qu’il y trouvait une saveur, voire des échos des musiques de la campagne bergamasque au temps de Donizetti. Peut-être avons-nous ici une sorte d’explication « congénitale » de l’adéquation parfaite entre le chef et la musique de son illustre compatriote qu’il doit « concertare », concerter, avant de diriger.

Nombreux seraient les passages de l’œuvre que l’on pourrait citer afin de montrer avec quelle poésie amoureuse il aborde cette musique, dans son ironie comme dans sa tendresse …

Au premier acte, dans l’air « Della regina Isotta… », les violons chantent, concurrençant la pétulante Adina de Renata Scotto, sur un ample tempo de valse qui « respire » comme nulle part ailleurs… Il en va de même quand l’air de Belcore passe au tempo identique, sur les paroles « Cede a Marte, dio guerriero », ou dans l’attaque du duo Nemorino-Adina « Esulti pur, la barbara ».

Ah ! cette élasticité unique, lors des tempi à deux temps comme pour le chœur de paysans émerveillés par l’entrée de la carriole du Dottor Dulcamara, ou pour la marche allègre ouvrant l’acte II, ou encore dans la chanson « La Nina gondoliera », atteignant ici un rythme idéal. De même, on ne peut que goûter la nuance dans la troisième strophe, enfin retrouvée, de cette chanson reprise comme Finale de l’œuvre. Le tempo se fait en effet plus lent et marqué, avec les violons plus incisifs comme pour souligner l’ironie finale du charlatant qui vante encore son produit au sergent dépité !… (qui souhaite d‘ailleurs à sa carriole de verser en chemin). De toute façon l’aigu final de « Pippo » domine tout, et le public chaleureux couvre pour la dernière fois l’une des charges orchestrales menées tambour battant mais mesuré, par un Maestro Gavazzeni en état de grâce et galvanisant, jusqu’à la dernière note, l’orchestre du Teatro Donizetti.

Quelle leçon de laisser vibrer la musique, par rapport aux chefs d’aujourd’hui, à la direction sèche et précipitée à force d’être serrée, et commettant l’erreur de penser qu’accélérer est dramatiser. On ne tire pas Donizetti vers Rossini, on ne fait pas de champagne brut et rugueux à force d’être pétillant, avec de l’asti spumante si mousseux, suave et au goût de raisin prononcé, sinon on risque de distiller un élixir aigre, éventé !


Trois restitutions admirables de la tendre poésie à la fois mélancolique et espiègle du Maestro-Dottore Donizetti : un Elisir tour à tour capiteux (Francesco Molinari Pradelli), pimenté (Nino Sanzogno) et savoureux : G. Gavazzeni… mais toujours délicieux !

…et d’ailleurs, comme dit ce bon Dottore en attaquant joyeusement le Finale : « Ei corregge ogni diffetto… » (il corrige tout défaut !).

Yonel Buldrini
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