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Gaetano Donizetti (1797-1848)

Gli Esiliati in Siberia
 ossia
Otto Mesi in due ore

"Melodramma romantico" en trois actes de Domenico Gilardoni,
d'après l'adaptation italienne par Luigi Marchionni du mélodrame de Guilbert de Pixérécourt : 
La Fille de l'exilé ou Huit Mois en deux heures.
Musique de Gaetano Donizetti (1797-1848)
Création le 13 mai 1827, au Teatro Nuovo de Naples.

Éditions Actes Sud / Festival de Montpellier et Radio France OMA 34108
B. Hahn, L. Canonici, A. Antoniozzi, V. Ivanov
Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon
Choeurs de la Radio lettone
Direction : Enrique Diemecke

Enregistré à l'Opéra de Montpellier, dans le cadre du Festival de Radio France-Montpellier, durant la représentation du 12 juillet 1999.

Textes de présentation en français et anglais ; livret en italien, français et anglais
(Durées : CD 1: 62'01 et CD 2 : 72'35)


Huit Mois en deux heures titre original et mystérieux, déjà pirandellien !
Il s'agit, en fait de décrire en deux heures de durée de l'opéra, les huit mois de voyage effectués par une jeune fille russe, partie implorer le tsar, depuis la Sibérie où son père est injustement exilé ! Donizetti remania souvent cette partition entre 1827 et 1845 et elle fut parfois donnée sous le titre Gli Esiliati di Siberi ; comme le Festival de Montpellier a choisi une sorte de compromis de ces versions, il a décidé d'utiliser ce titre.

Les circonstances ayant conduit à cette résurrection sont si rocambolesques qu'il nous faut les citer. Un musicologue américain se consacrait à des recherches sur l'interprétation des opéras à l'époque baroque, voilà qu'un beau jour il descend dans les souterrains de l'Opéra de Londres Covent Garden et, dans un coin obscur et sordide, découvre un mystérieux manuscrit autographe, comprenant un double texte, italien et français ... le président de la Donizetti Society est formel : c'est de la main de Gaetano ! On croit un instant qu'il s'agit d'un opéra inconnu du compositeur mais une autre surprise se fait jour. Accroché à ce manuscrit, on trouve des morceaux de Otto Mesi in due ore, et précisément les feuillets qui manquaient à Naples, où est conservée la partition de cet opéra ! L'infatigable compositeur avait trouvé le moyen d'établir un énième version de son opéra, sur un double texte français et italien ! En hommage à Donizetti, pour le bicentenaire de sa naissance (1797-1997), l'Opéra royal Covent Carden en monta la version italienne sous le titre de Elisabetta. Montpellier ayant choisi une autre version, la comparaison s'avère donc passionnante !

L'appellation de "opéra romantique", nouvelle à l'époque, signifiait l'adhésion du sujet aux critères mis à la mode par le Romantisme, comme la valorisation des sentiments, des émotions, des actions rocambolesques et passionnées. Le paroxysme de ce genre de situations est d'ailleurs atteint au Finale II, où l'on voit un fleuve sortir impétueusement de son lit et envahir toute la plaine (et donc toute la scène!). L'héroïne qui se recueillait sur la tombe de la fille du passeur, est sauvée car la tombe se met à flotter, sous elle !

Un autre aspect donnant plus encore de couleur au drame est l'adoption de plusieurs éléments de ce genre bizarre "semiserio", imposant la présence d'un personnage bouffe (ici le courrier impérial) et une fin heureuse. Dans cette particulière atmosphère mitigée entre comédie et drame, Donizetti tient avec maestria le pinceau musical donnant à son vingt-deuxième opéra la juste couleur de tendresse, de drame et du bon sens ironique lié au personnage bouffe.
Précisément, celui-ci, est fort bien incarné par Alfonso Antoniozzi qui épouse les facettes du personnage à la bonhomie enjouée et généreuse.

Dans un rôle insolite de père-ténor, le comte Potoski, on retrouve avec plaisir le beau timbre clair de Luca Canonici ... mais comme il semble prématurément fatigué ! même pour un père noble injustement exilé ... Sa courageuse fille Elisabetta est une Brigitte Hahn au fort beau timbre dont la fraîcheur rappelle un peu celui de Lella Cuberli.

La contessa Fedora de Christine Barbaux présente malheureusement des aigus parfois un peu durs, voire approximatifs. Le bref rôle du passeur Iwano (bs.) est dignement interprété par Valery Ivanov. Autre rôle épisodique, celui du "Gran Maresciallo" (bs.) qui a monté toute la trame, par jalousie du comte Potoski, ici bien défendu par Nikola Mijailovic qui assume efficacement l'air le plus ornementé de l'opéra.

Dans ses passionnantes notes tentant de "courir après" Donizetti, c'est-à-dire d'établir les étapes des multiples révisions effectuées par l'inlassable compositeur, Alexander Weatherson, président de la Donizetti Society, explique que des personnages se voient dotés de plusieurs airs ... voire plus d'air du tout, selon les versions ...  A ce sujet, heureusement que le piètre tsar de Yann Beuron n'en possède pas : timbre peu flatteur "blanc" à l'anglaise, prononciacion laborieuse de l'italien, se trompant en transformant Potoski en Patoski ! (c'est normal, après l'oubli d'un long exil !) ... et à la place d'un couple verbe+adverbe, disant deux fois l'adverbe !

L'orchestre local et le choeur de la Radio lettone sont fort corrects et même plaisants, tandis que dans la soirée retransmise en direct, des fausses notes surgissaient ... (mais le tsar ne se trompait pas !). La direction du chef Enrique Diemecke insuffle la juste pulsation à l'exécution, laissant "respirer" la partition qu'il ne faut surtout pas tirer vers Rossini. On apprécie le bel équilibre de sa lecture sachant "suivre" Donizetti qui passe indistinctement de l'ironie au drame (ô délicieux Duetto Michele-Elisabetta !).

Une belle initiative du festival de Montpellier / Radio France, faisant écho à la reprise de la tardive version Elisabetta par l'Opéra Covent Garden. Ajoutons que, non seulement le Festival comble les passionnés par cette publication, mais propose avec Acte Sud une fort belle et élégante présentation.
 
  


Yonel Buldrini



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