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Haendel profane

Admeto, introduction, récitatif & air : "Orride larve"
Flavio, air : "Rompo i lacci"
Concerto grosso op. 3 n°3 en sol majeur
Cantate : Mi palpita il cor
Rodelinda, duo : "Io t'abbraccio"*
Sonate en trio en fa majeur HWV 389
Samson, air : "Then long eternity"
Allemande
L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato
air : "May at last my weary age"

Robert Expert, contre-ténor
Patricia Petibon, soprano*
Ensemble Amarillis

Enregistré à la Chapelle des Parlementaires,
Paris, Mai 2004

1 CD Ambroisie, AMB 9958



Voilà un récital bien habilement déguisé et un argument qui a au moins l'attrait de la nouveauté. Le postulat est simple : les notions de sacré et de profane sont si intimement mêlées au sein de l'oeuvre haendelien, transgressant les limites des genres, dans la thématique comme dans la réalisation musicale même, qu'il apparaît impossible de les dissocier. Les preuves abonderaient dans le sens de Robert Expert et de ses compagnons de jeu : l'artiste cite par exemple l'écho de l'arioso liminaire de la cantate Mi palpita il cor et le thème, mis en miroir ici, de l'air "Then long eternity" de Samson. Parole d'Expert donc que cet argumentaire aux allures tout de même un peu "capillotractées"...

Faut-il pour autant bouder son plaisir simplement musical ? Certes pas, empressons-nous de le dire. D'abord parce que Robert Expert s'est adjoint les services de complices aussi éminents que Patricia Petibon, le temps d'un trop bref duo, et de l'ensemble Amarillis, que l'on a toujours plaisir à retrouver. Le son général est toujours aussi beau, celui surtout du hautbois et de la flûte d'Héloïse Gaillard, ici mise particulièrement à l'honneur, pour de troublants duos concertants avec le contre-ténor (pl. 9 surtout, hors du temps, pl. 20 aussi). En soliste comme en "simple" accompagnateur, l'ensemble possède les clés de l'univers haendelien, dont il rend avec une faconde incomparable et une richesse de ton toujours renouvelée, la douceur arcadienne comme les tourments dramatiques (très beau soutien de l'air de Flavio pl. 2).

La voix de Robert Expert, au milieu de cet écrin joue de couleurs changeantes, d'un chant nuancé jusqu'au maniérisme presque, d'une saveur textuelle qui laissent pantois. Le timbre est riche, et le médium surtout se signale par sa rondeur (air de Samson, pl. 18), juste à mi-chemin des émissions trop audiblement artificielles et des voix plus "carnées", aux couleurs plus affirmées. La réalisation n'est cependant pas exempte de failles et de micro accrochages qui surprennent en studio. Si Expert est absolument incomparable dans l'élégie (l'air de la cantate Mi palpita il cor, redisons-le, constitue l'un des sommets de l'album et une interprétation qui frôle la référence, comme aussi le morceau sur lequel l'artiste prend congé), les mouvements rapides comme les dynamiques élevées ont tendance à le mettre en difficulté. Les vocalises, très appliquées, peinent à s'envoler et le registre grave rugueux lorsque le soutien du souffle s'avère déficient, peut même aller jusqu'à s'avérer creux, presque rauque (air de Flavio pl. 2). Formellement donc il y a là quelques pailles que la prise de son met cruellement en avant et qui auraient mérité quelques retouches.

L'artiste par ailleurs est maître de la "pose" vocale, un prodigieux alchimiste sonore, un très fin rhéteur en somme, à l'éloquence très codifiée. Non pas que la sincérité lui manque, cependant. Mais l'émission de contre-ténor, par définition éminemment fabriquée, volontairement transcendante même et sans prise directe avec le réel, plaide de toute façon contre tout effet de naturel. Il n'y a pourtant qu'à réécouter la cantate Mi palpita il cor par Gérard Lesne pour éprouver ce sentiment de rayonnement, de spontanéité qui manque, hélas, encore un peu à l'art très personnel de Robert Expert. Le duo de Rodelinda interprété avec Patricia Petibon, surenchérit dans l'affrontement de deux mondes, de deux sensibilités. Il faut entendre comme le cadre très intelligemment ciselé par le contre-ténor est mis en pièces par le soprano à l'approche moins calculée, moins apprêtée et plus immédiate. Il y a en fait chez Expert une grille de lecture d'une intelligence rare dans la perception des enjeux de cette musique, une débauche de moyens esthétiques et de subtilités qui déconcertent à la première écoute, pour peu que l'on n'y soit pas préparé.

D'où vient alors ce besoin de retourner plusieurs fois à ce disque, à certaines de ses plages ? Sans doute est-ce que le travail de Robert Expert et de ses collègues transcende les limites d'une expertise clinique du disque. L'objet est beau, l'univers très personnel, le plaisir de faire de la musique à plusieurs suinte de chaque note, aussi (pour Expert, l'expérience du duo avec Patricia Petibon relève ainsi d'une "forme d'extase mystique"), et l'on reste à des années-lumières de ces galettes "cartes de visite" fabriquées dans les bureaux des directeurs de majors, sans l'humanité fertile qui émane de ce disque. Il y a là une vraie musicalité, un programme à la fois architecturé et varié, une solide expérience de ce répertoire aussi, autant de raisons qui font que ce récital, qui n'est pas un récital Haendel de plus parmi d'autres, mérite que l'on s'y arrête.
  


Benoît BERGER




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