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photo - DG  - tous droits réservés
Giuseppe Verdi

FALSTAFF

Commedia lirica in tre atti, sotto un libretto di Arrigo Boito.

Avec Bryn Terfel (Falstaff), Thomas Hampson (Ford), 
Adrienne Pieczonka(Alice Ford), Dorothea Röschmann (Nannetta), 
Stella Doufexis (Meg Page), 
Larissa Diadkova (Mistress Quickly), 
Daniil Shtoda (Fenton), Enrico Facini (Dottore Cajo),
Anthony Mee (Bardolfo), Anatoli Kotcherga (Pistola).

Rundfunkchor Berlin
Simon Halsey, chorusmaster
Berliner Philharmoniker
Claudio Abbado, direction

Coffret de 2 CD Deutsche Grammophon 471 194-2 ; TT :113'27
Enregistré à la Philharmonie de Berlin (Großer Saal) en avril 2001.

Présentation classique en coffret ; mention aux photos d'un Bryn Terfel mimi tout plein en Falstaff bien rembourré, coquettement enrubanné, affublé de sympathiques rouflaquettes et aux mains toutes potelées qui ornent le boitier et la couverture du livret.
Livret d'accompagnement soigné, avec une intéressante notice (différente dans chaque langue, attention !), et surtout un passionnant texte de Claudio Abbado lui-même sur la "révolution par le rire" (sic) opérée par Verdi avec Falstaff, mettant en lumières les subtilités de l'écriture de l'opéra, notamment du point de vue de l'harmonie et de l'orchestration.
Livret original en italien, avec traductions française, allemande et anglaise.



L'irrésistible compère de Windsor
 

2001. "Année Verdi", bicentenaire de sa mort, comme il est difficile de ne pas le savoir. Et, quid de remarquable en cette "année Verdi" ? Pléthore de Falstaff, pardi! Impossible de lui échapper, même sans sa grosse bedaine, Fastaff est partout, au disque comme à la scène : il investit les piliers estivaux (Aix et Salzbourg), pointe son nez fouineur au Châtelet et à la Monnaie de Bruxelles, fleurit en province, et se refait même une jeunesse sur "instruments d'époque".

Quelques mois à peine après la parution de la version lifting "sur instruments d'époque" (ah, c'est vrai que Falstaff ça remonte à drôlement loin comme époque) de l'ultime chef d'oeuvre en forme de pied de nez de Verdi (dirigée par Gardiner), voici donc que DG, la prestigieuse Deutsche Grammophon, nous livre une nouvelle version toute nouvelle toute belle dirigée par l'immense chef qu'est Claudio Abbado, et ce avec un plateau appétissant, jugez plutôt : Terfel en Sir John, Hampson en Ford, et, last but not least, Dorothea Röschmann en Nannetta ! Le tout accompagné bien entendu par l'un des plus beaux orchestres européens, le Berliner Philharmoniker - certes pas un orchestre de fosse, mais une phalange habituée à donner des opéras en version de concert, et puis, quelle phalange !. Après un Requiem largement télé-, radio-, et même webdiffusé, Claudio Abbado s'attaque donc au signor Cavaliere à la panse respectable.

Aaaaaaaah, Falstaff, sa silhouette, son "royaume", sa verve, sa verdeur, sa jeunesse d'esprit, sa coquetterie, ses appétits (et appétances) insatiables et sa délicieuse propension à se faire toujours avoir en pensant duper le bourgeois - qui rêver de mieux, aujourd'hui, pour l'incarner que le gallois Bryn Terfel ? Hein, honnêtement ? Franchement, on ne voit pas. Terfel, pour Falstaff, a tout, la tessiture, le tempérament, et même la carrure (à défaut du bide). Son Falstaff est à l'image des portraits qui ornent le coffret et la couverture du livret : l'air rieur, l'oeil pétillant, la silhouette pesante coquettement enrobée de velour écarlate réhaussé d'une quantité impressionnante d'aiguillettes, l'attitude farceuse, le visage - encadré de splendides rouflaquettes - bonhomme et la main potelée... en un mot : irrésistible ! Dès sa première réplique, impossible de passer à côté : Terfel EST Falstaff ! Et l'on se surprend, en l'écoutant, à revoir mentalement les images de la géniale production donnée l'an dernier à Covent Garden, où il dominait de toute sa stature de rugbyman une distribution pourtant excellente, campant (dans des costumes aux couleurs vives et extravagants au possible, un régal pour l'oeil) un sir John encore vert, envahissant, et finalement si touchant...

Au disque, non seulement on retrouve le Falstaff que l'on a adoré à l'écran, mais on est confondu, captivé, subjugé par l'intelligence du baryton - sa gourmandise, aussi ! Tour à tour cabotin, roublard, hâbleur, mais aussi lamentablement plaintif, contrit, accablé, déprimé, renfrogné, superbe, roué, naïf... Aucune des mille et une facettes du personnage n'échappent à Terfel, qui se délecte de chaque syllabe, de chaque nuance, et va jusqu'à mettre en valeur la moindre assonnance ou allittération du livret de Boïto. Pas convaicu ? Sautez immédiatement à son paggio del Duca di Norfolk, et vous verrez... Impossible de résister à l'incroyable vivacité du débit, à ces mains baladeuses, à ces yeux roulant avec malice, à cette langue qui galope tout en savourant un texte, il est vrai, rigolo comme tout. Écoutez donc les lamentations du contenu du panier de linge à sa sortie de la Tamise. Tendez l'oreille aux " buongiorrrrno, buona donna" obséquieux adressés d'un air dragueur à Mistress Quickly. Et ce chapelet d'injures adressé à Bardolfo au III ! On voudrait tout relever, tout citer... Mais laissez-vous tout simplement contaminer par le trille qui envahit le monde, que diable ! Et vous ne regretterez pas de vous encanailler avec Sir Bryn, cavaliere emportant tout sur son passage avec une morgue, un humour, mais aussi une classe, une finesse et un aplomb dévastateurs...

Face à un tel tempérament, difficile pour les autres interprètes de s'imposer réellement, même si certains s'en sortent avec bonheur. Bon trio de commères, un peu sage cependant ; l'Alice d'Adrienne Pieczonka, si elle ne se départit jamais d'un amusement fort sympathique, manque d'insolence et de fantaisie - on est loin de la malice tout de rouerie d'une Geraldine McGreevy, piquante Alice à Aix cet été -, Mrs Quickly obséquieuse et caverneuse à souhait de Larissa Diadkova (tout juste sa prononciation est-elle par endroits un brin curieuse), Meg fade et effacée mais honnête de Stella Doufexis (on aimerait parfois un peu plus d'onctuosité dans la voix, et surtout d'humour, mais dans l'ensemble rien à redire).

Et les compères de ces commères me direz-vous ? Et bien, il en va un peu de même : tous ces messieurs sont très bien ! Hampson étonne en Ford, jaloux comme un tigre et hargneux comme il n'est pas permis de l'être ; Facini est tête-à-claques en Cajus ; quant à Bardolfo et Pistola (respectivement Anthony Mee et Anatoli Kotcherga - le Boris Godunov de la production du Festival de Pâques de Salzbourg dirigée par Abbado il y a quelques années), ils empestent la malhonnêteté et le mauvais vin à des lieues à la ronde.

En fait, côté chanteurs, le seul vrai reproche que l'on pourrait faire serait à l'endroit de Daniil Shtoda, Fenton un peu bêta, cucu la praline, et surtout manquant de finesse. Mais rien de bien rhédibitoire... surtout lorsque l'on tient en face de lui celle qui est sans aucun doute l'une des plus belles Nannetta imaginables aujourd'hui, toute en suavité, en tendresse, en sensualité, mais aussi en malice, en humour et en espièglerie : Dorothea Röschmann. 

Dorothea Röschmann en Nannetta... sur le papier cela sentait déjà le casting génial, et pourtant - pourtant, on n'en est pas moins soufflé par le résultat. Quelle intelligence, quelle musicalité, et surtout, quelle belle sensibilité chez cette jeune soprano allemande dont on ne vantera jamais suffisament les mérites ! Sa voix, toute de rondeur et de velours, au timbre si enveloppant et aux graves si bien posés, confère à la toute jeune Miss Ford un bon sens et une volupté rare - très différente, pour rester dans les interprètes actuelles, d'une autre Nannetta d'anthologie, celle de Miah Persson, rayonnante, pulpeuse et malicieuse à Aix cet été, et surtout à mille lieues des têtes d'épingles habituelles... L'enchantement de minuit est un moment de pure magie, totalement irréel (ah, les sonorités brumeuses et éthérées du Berliner Philharmoniker...) durant lequel on se laisse totalement porter, envoûter par cette voix d'une beauté à couper le souffle ; et ces aigus lunaires ! cette présence radieuse ! C'est tout bête, mais on en reste sans voix, époustouflé et bouleversé par tant de génie et de naturel, en un mot : d'évidence. Sa Nannetta, à croquer, est d'une formidable évidence.

(Et mon petit doigt me dit - bien sûr, il peut se tromper, ce n'est qu'un banal petit doigt, mais sur ce coup j'ai envie de lui faire confiance - que d'ici quelques années, Fräulein Röschmann sera une tout aussi géniale Alice !)

Pour soutenir une telle distribution, il fallait rien moins que les Berlinder Philharmoniker, écrin de luxe - toutes les atmophères de Fastaff sont là, depuis l'Auberge de la Jarretière, bruyante et épicurienne, à la maison des Ford, d'un délicieux raffinement un rien bourgeois, et surtout le Parc de Windsor ! Il suffit de fermer les yeux pour voir le chêne de Herne, noueuse silhouette noire plongée dans la brume livide d'un midnight on ne peut plus british... (mention particulière au cor anglais de l'enchantement de minuit, on croirait entendre un cygne aux allures de spectre)

Claudio Abbado visiblement se fait plaisir (et on le comprend), entraînant ceux qui sont pour cette saison encore "ses" musiciens dans la ronde folle de cette farce qu'est le monde avec un entrain, une énergie et surtout une bonne humeur contagieux - c'est tout simplement jubilatoire !
(seul bémol : la prise des tutti orchestraux, un peu "compacte")

On se laisse volontiers prendre par la main par le maestro pour cette visite guidée de "Windsor, ses maisons typiques, son auberge, et ses joyeux compères et commères" ; et quand les plus éminents joyeux drilles de cette bourgade ont pour nom Bryn Terfel et Dorothea Röschmann, franchement, on en redemande.
  


Mathilde Bouhon



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