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LA FAVORITA

Grand-Opéra en quatre actes d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz
d’après le drame en trois actes
 Les Amans malheureux ou Le Comte de Comminge
de François de Baculard d’Arnaud
(Version traditionnelle italienne de Francesco Jannetti)

Musique de Gaetano Donizetti (1797-1848)

Représenté pour la première fois à l’Académie royale de Musique
(Opéra de Paris), le 2 décembre 1840

Fernando : Giacomo Lauri Volpi
Alfonso XI° : Rolando Panerai
Leonora di Gusman : Franca Marghinotti
Baldassarre : Giorgio Algorta
Don Gasparo : Johan van Haagen
Ines : non indiquée

Omroeporkest en Groot Omroepkoor
Arturo BASILE

Enregistrement réalisé le 6 octobre 1954
au Concertgebouw d’Amsterdam
2 CDs Ponto PO - 1043

Durée 2h32mn
dont 27’ d’extraits de la version française gravés en 1954
Notes et résumé de l’action en anglais.




Un double « Spirto gentil» : Donizetti et Lauri Volpi !

On trouve dans les kiosques à journaux de Bergame une charmante carte postale représentant l’illustre Fils de la Ville, tenant une plume et entouré des titres de ses nombreux opéras. Derrière lui flotte à la manière romantique l’inscription qui le caractérise et qui sont les premières paroles de l’air le plus connu de La Favorita : « Spirto gentil ». Quand on connaît ses qualités humaines, on comprend combien cette expression de « Noble esprit » lui convient. (Rappellons que « gentile » est à rattacher au français « gentilhomme » qui signifie « noble »).

De temps à autre les publications d’enregistrements « live » nous offrent la belle stupeur de découvrir une intégrale d’un grand chanteur n’en ayant pas beaucoup enregistré…C’est le cas de la firme Mitridate dont l’un des quatre labels, Ponto, est spécialisé dans les enregistrements jamais publiés en disque compact… et bien souvent, complètement inédits, pourrait-on ajouter ! C’est du reste le cas de cette incroyable découverte, une Favorita avec rien moins que le grand ténor Giacomo Lauri Volpi (1892-1979) !

Un timbre « clair » et éclatant n’appartenant qu’à lui, une technique sans faille et des moyens héroïques lui permettant d’aborder avec le même bonheur des rôles de ténor aussi différents que ceux de Il Barbiere di Siviglia, Guglielmo Tell, I Puritani, Lucia di Lammermoor, Les Huguenots, par rapport à Aida, Otello, Andrea Chénier ou Turandot…et dix-neuf autres rôles complétant son répertoire. Il chante de 1919 à 1965, écrit cinq volumes donc le plus connu est Voci parallele (1955)… mais, et c‘est le regret le concernant, grave peu d’intégrales, nous léguant surtout des récitals (remontant de surcroît à l’époque du précaire enregistrement acoustique). Alors que son illustre collègue et contemporain Beniamino Gigli (1890-1957) laissa notamment de nombreuses intégrales studio ou d’étourdissants témoignages live. Ceci pour montrer l’importance de cette Favorita retrouvée et apparaissant comme par miracle.
 
Dès que le grand ténor ouvre la bouche pour ainsi dire, on est frappé par la maîtrise d’une technique qui n’a plus cours, nous valant des mezze voci toujours extraordinairement timbrées et si joliment sonores ! Impression qui fleurit plus encore dans le premier air attendu : « Una vergine, un angiol di Dio ». Certes, la voix accuse une certaine fatigue après trente-cinq années d’heureuse carrière. Ainsi l’aigu « bouge » un peu, mais demeure clair, fulgurant comme toujours. Celui notamment qui conclut le Duetto-Finale I° l’aigu nous cloue presque sur place, fulgurant, interminable, dépassant de beaucoup celui de sa partenaire, un peu comme dans ce disque d’extraits en hommage au soprano Gigliola Frazzoni où, lui volant la vedette, le Maestro Lauri Volpi couronnait le Finale I° d’Il Trovatore d’un aigu foudroyant, coupant le souffle à sa Leonora, alors qu’elle est seule à posséder une telle note à cet endroit de la partition !

« Favorita del re !!! » : jamais récitatif ne fut abordé sur un souffle aussi poétique : suavité sans mièvrerie, couleur malgré la douceur, comme dans la romance « Spirto gentil » planant sur ces « larve d’amor » (fantômes, illusions d’amour) susurrés sur le bord des lèvres (1), en une maîtrise parfaite, intact du « souffle diminué ». Non, on ne rêve pas et le duo final confirme notre stupeur face à ces mezze voci aussi sonores malgré la réduction de souffle ! ou, pour être moins technique : on n’en revient pas d’entendre des notes délicatement effleurées… mais en même temps magnifiquement sonores !

Les ténors tentent habituellement de briller dans le spectaculaire aigu final sur « È spenta ! ! ! », véritable cri de désespoir poussé sur le corps de celle qui vient de mourir. Une charge orchestrale conclut l’opéra (2) et certains chefs la prennent à une allure folle pour permettre au ténor de donner l’impression qu’il « tient » la note aiguë plus longtemps. Rien de ce maniérisme ici, Giacomo Lauri Volpi brille non dans la longueur de l’aigu mais dans sa qualité, son assurance, sa clarté, sa plénitude.


Pour donner une idée de la voix de Franca Marghinotti, Leonora de bon niveau, on pourrait dire qu’elle possède un timbre pâteux à la Stignani et coupant à la Cossotto, mais avec l’avantage de voir ces caractéristiques moins marquées. En retrouvant Rolando Panerai, on retrouve son aisance (il ajoute même dans son air un aigu que personne fait !), son panache et la solidité de son métier. Le Baldassarre de Giorgio Algorta n’est pas des plus impressionnants mais demeure néanmoins efficace.

L’interprète non précisée d’Ines lui prête sa voix tremblotante mais dessine le personnage avec une certaine efficacité et Johan van Haagen est un Don Gasparo correct.

Arturo Basile offre rigueur et impact dramatique dans l’ouverture la plus sombre de Donizetti, alternant ces accords menaçants et chargés de mystère, et un recueillement presque lugubre. Sa direction seconde à la fois les effusions et anime le drame en évitant toute lourdeur. Il est dommage que le Maestro brime le superbe ensemble concertant du Finale III° en le prenant trop vite, d’autant qu’il obtient des chœurs un bel effet jamais entendu, au moment des cadences conclusives de la Stretta.

L’« Omroeporkest » comme le « Groot Omroepkoor », c’est-à-dire de la Radio néerlandaise, agissant au célèbre Concertgebouw d’Amsterdam, se montrent à la hauteur de leur tâche, galvanisés par le Maestro trop tôt disparu. On note avec curiosité la nouveauté d’entendre chanter les chœurs féminins qui viennent éclairer les passages choraux de l’acte IV… ne prévoyant que des moines sur scène !

La « sélection » proposée en complément date de la même année 1954 et présente l’originalité du choix de la version française. Donizetti connaissait le français et écrivait d’ailleurs à propos de son Dom Sébastien roi de Portugal devenu Don Sebastiano : « Pauvre traduction italienne ! C’est une horreur à cause de la censure. » Il ne supervisa malheureusement pas les deux traductions italiennes de La Favorite, dont on sait au moins pour la seconde encore en usage aujourd’hui, qu’elle est moins précise, voire confuse en certains points. On peut se demander alors, ne considérant que l’harmonie de l’art, s’il ne vaut pas mieux entendre une traduction italienne parfois approximative mais toujours harmonieuse à l’oreille, plutôt qu’une rigide langue originale, correcte certes, mais pauvre de style, sèche et difficile à animer ?… On éviterait ainsi ces insupportables « e » muets accentués (« Un angeee, une femmeee inconnueee »), les « r » « roulés », les laides résonances nasales (« Sur ton élu, Seigneur, descen-ends »).

Une fois ces sonorités et « tics » acceptés, il faut reconnaître le « fini » du travail car non seulement les timbres sont plutôt agréables et le chant sérieux et appliqué, mais il est aussi chaleureux et vécu. Les interprètes ont même le mérite de faire vibrer leur expression, avec un texte aussi plat dont on devine les pauvres rimes (même si elles sont « riches » !).

Le ténor Guy Fouché (Fernand ) présente des sonorités parfois un peu nasales mais son timbre demeure agréable, son chant délicat, avec un beau phrasé et des aigus solides. Que l’on apprécie ou non le timbre du baryton Charles Cambon, son roi Alphonse XI est digne et sa diction aussi scrupuleuse que celle de ses partenaires. On remarque ses aigus car ils sont inhabituels aux endroits concernés mais aussi parce qu’ils sont particulièrement ronds et timbrés.

Simone Couderc, en « pauvre fille abuséeeeeuh » (Léonor), présente un vibrato serré parfois expressif, parfois gênant… Au moins, le brillant de son timbre nous sauve des sonorités poitrinées des mezzo-sopranos pâteux ou sombres auxquels on confie le rôle habituellement. La basse non nommée est un peu « limite » dans le Finale original qu’on a la chance d’entendre (mais l’absence de choeurs empêche de se faire une idée réelle du morceau). L’Orchestre de l’Association des Concerts Pasdeloup sonne efficace sous la direction mesurée de Jean Allain. Bizarrement, la sélection n’a pas retenu l’air le plus connu de l’opéra, on n’entend donc pas le « Spirto gentil »… (ou plutôt ici : « Angeeuh si piüüürrr » !).


Pour les donizettiens finis, les fans de Giacomo Lauri Volpi ou simplement pour ceux qui veulent apprécier un don vocal hors du commun et avoir une idée du chant non maniéré mais riche de véritables nuances, chant un peu oublié aujourd’hui à force de ne plus l’entendre…

…et prolongeons la rêverie finale, l’instant d’imaginer entendre un jour Giacomo Lauri Volpi dans d’autres live retrouvés (I Puritani, Lucia), avec comme partenaire un autre phénomène, qu’il dépassait alors en notoriété : la Signora Maria Meneghini Callas !


   Yonel Buldrini


(1) « A fior di labbra », selon l’expression iatlienne consacrée, que le Dr. Joseph Fragala (in : www.grandi-tenori.com) a raison d’employer : « Lauri-Volpi was the prince of mezze voci "a fior di labbra" ». A défaut de pouvoir dire littéralement à fleur de lèvre, on fera appel au verbe effleurer.

(2) Cette fin dramatique et spectaculaire fut substituée au Finale original vers 1860 et donc non de volonté donizettienne ; elle est toujours en vigueur dans la version italienne.


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