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Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)

FIDELIO


Don Fernando, Martti Talvela
Don Pizarro, Gustav Neidlinger
Florestan, James King
Leonore, Gwyneth Jones
Rocco, Josef Greindl
Marzelline, Olivera Miljakovic
Jacquino, Donald Grobe

Chor der deutschen Oper Berlin
Orchester der deutschen Oper Berlin
Karl Böhm

Mise en scène, Gustav Rudolf Sellner
Décors & costumes, Wilhelm Reinking

DVD DGG


Humain  très humain


Et dire que la routine a ressemblé à ça, à une certaine époque ! Sans vouloir alimenter la nostalgie d’un temps que l’on dit révolu – et que pour ma part je n’ai pas connu – il y a quand même de quoi se poser des questions en faisant ce constat tout bête ; voire écraser quelques larmes amères. Non, décidément des firmes comme DG – ou Arthaus qui a réédité LE Fidelio  de Silja et Liebermann – ne nous aident pas à tourner la page de ces temps à la fois mythiques et si proches, finalement. Ceux qui assènent que l’opéra d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier – ce qui est, d’ailleurs, un truisme que l’on peut interpréter de multiples façons – qui stigmatisent le « star system » et ne concèdent, au mieux, qu’une moue convenue – et tout juste polie – aux Leonore et Florestan du jour, ceux-là verront dans ce disque un encouragement à leur cacochymie. Les autres – dont je suis – verront revenir sur le marché un enregistrement royal… sans en tirer d’autres conséquences que celle, hédoniste, d’y trouver l’occasion de s’offrir le grand frisson ! Quelque chose comme un « grand huit » musical…

Sacrée routine, franchement. Malgré une Marzelline et un Jacquino « simplement » professionnels – elle, très gentiment popote – et une mise en scène qui ne fera se relever personne la nuit ; malgré une caméra très moyennement inventive. Malgré cela – ou à cause de cela – le reste prend les couleurs, les miroitements, la profondeur d’un joyau.

On a souvent écrit que Böhm était un chef « apollinien ». On entend par là quelque chose comme une direction pondérée, équilibrée ; bref de « classicissime », ce qui pourrait facilement passer pour une lecture médiane – pas complètement juste et pas complètement erronée – de ce que peut représenter Apollon. Apollon est une forme d’idéal, de beauté parfaite, parfaitement polie, c’est sûr et c’est même ce qui le distingue avant toute chose ; mais Apollon est lumineux, aussi, lumineux jusqu’à l’extrême, solaire, radiant ; Apollon, surtout, est un tombeur – même si l’histoire le dit peu ; ou que l’on ne veut pas l’entendre – le gros macho hormonal qui marque Daphné à la culotte – sans mauvais jeu de mot – pour mieux la culbuter entre deux roseaux.

Alors, Böhm apollinien ? S’il s’agit de lumière, oui assurément. Il y a chez le chef, une science particulière de la gradation qui va de la moiteur sourde du cachot jusqu’à la lumière incandescente du final ; une prégnance du drame aussi – dans le sens noble du terme, ce qui n’était pas forcément couru d’avance – lapidaire parfois, violente, burinée – le quatuor du II – mais aussi émue, tendre – « Euch werde lohn » - voire enfiévrée, paroxystique – « O nammenlose Freude ». Bref, il y a une vraie direction – voilà pour les « hormones » - ce dont on ne doutait pas forcément mais qu’il faut quand même rappeler, détailler pour en prendre toute la mesure « non-proverbiale », justement !

Böhm avait eu Konetzni et Mödl pour Leonore ; Ralf et Dermota, pour Florestan. De qui a-t-il hérité pour seconder – voire pour susciter – sa lecture ici ? De deux plateaux en fait, qui voient se superposer, comme dans un passage de témoin, deux générations. Bref c’est un peu l’étreinte de l’arrière-garde accueillant les jeunes recrues avant de leur laisser la caserne. Juste quelques noms : Jones, King, Neidlinger, Greindl. Entendre ces quatre là ; les voir surtout ! Là, il y a de quoi se relever la nuit.

Voir le profil d’aigle de Neidlinger ; la bonhomie rustico-paternaliste de Greindl. Voir le sourire incandescent de Jones au final et les larmes de King, son visage éreinté aussi. Voir tout cela et y superposer leurs voix majuscules ! Neidlinger coupant comme une lame bien affûtée et Greindl rugueux, caverneux mais aussi lumineux – c’est plus inattendu – dans son air et au final, encore ; Jones d’une sûreté d’aigus crucifiants – à la fin de l’air ou dans le quatuor du II – épanouie comme l’est le calice d’une fleur sous un soleil baigné de rosée ; Jones moelleuse, irradiée, surinvestie ; et King qui phrase le début de son air comme pourrait l’être un lied, comme le déroulé d’un ruban soyeux jusqu’à l’extase quasi-sacrée, mystique du crescendo ; King qui chante Florestan – là encore, cela relève du truisme mais est-ce seulement si évident ?

Et dire qu’il a fallu attendre si longtemps une réédition…


Benoît BERGER


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