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Patricia PETIBON

FRENCH TOUCH

1. Valse de Juliette (Gounod, Roméo et Juliette)
2. Lorsque je n'étais qu'une enfant (Messager, Fortunio)
3. J'ai deux amants (Messager, L'Amour masqué)
4. Les Filles de Cadix, chanson espagnole (Delibes)
5. Duo des fleurs (Delibes, Lakmé) (*)
6. Air des clochettes (Delibes, Lakmé)
7. Adieu, notre petite table (Massenet, Manon)
8. Je marche sur tous les chemins... Obéissons quand leur voix appelle (Massenet, Manon)
9. Air de la Fée (Massenet, Cendrillon)
10. Couplets d'Olympia : Les oiseaux dans la charmille (Offenbach, Les Contes d'Hoffmann)
11. Barcarolle (Offenbach, Les Contes d'Hoffmann) (*)
12. Romance de l'étoile (Chabrier, L'Etoile)
13. Couplets de l'éternuement (Chabrier, L'Etoile)
14. Couplets de Lady Eversharp (Hahn, Brummel)
15. Je t'aime, vocalise amoureuse pour soprano éperdue (Aboulker)
 

Patricia Petibon, soprano
Karine Deshayes, mezzo-soprano (*)

Orchestre et Choeur de l'Opéra National de Lyon
Yves Abel

1 CD Decca



La vénérable maison Decca doit se mordre les doigts d'avoir fait entrer la délicieuse Patricia Petibon dans sa prestigieuse écurie. L'idée était pourtant bonne : en offrant à son soprano léger clair et franc, à son tempérament pétulant et à sa diction impeccable l'occasion de ressusciter quelques perles oubliées du répertoire français (comme l'avait fait naguère chez le même éditeur la virtuose mais exotique Sumi Jo, sous la baguette avisée de Richard Bonynge), la firme anglaise aurait pu faire acte de culture et, qui sait, imposer la jeune artiste comme la Bartoli de l'opéra-comique et de l'opérette ! Mais alors que sa vedette italienne fait des cartons avec des Gluck et des Salieri inconnus, Decca a préféré pour ce premier récital jouer la sécurité... avec, hélas, un manque stupéfiant de discernement. Un programme racoleur de "tubes" pas toujours adaptés aux moyens de la chanteuse (espérait-on vraiment la propulser en rivale de Natalie Dessay ?) et des choix artistiques démagogiques ont conduit l'entreprise au naufrage : le coup médiatique risque donc d'être sans lendemain... ce qui serait bien dommage, et pour Patricia Petibon, et pour la musique française.

Saluons une brillante Valse de Juliette en Sol majeur (malgré de curieuses erreurs de rythme), mais passons vite sur des Manon et Lakmé (et une inattendue Giulietta... pour la Barcarolle, bien sûr !) dont les exigences vocales et techniques excèdent nettement les ressources actuelles de la soprano : rien, dans une discographie abondante, ne justifiait ces modestes gravures, de surcroît maladroitement accompagnées (écouter, pour le croire, une hippopotamesque Gavotte de Manon). Quant aux "raretés" du répertoire léger, elles ne réservent guère de (bonnes) surprises. Deux illustres divas actuelles ont déjà remis à la mode les piquantes Filles de Cadix, et les Messager (l'air de Jacqueline de Fortunio et l'inévitable J'ai deux amants) figuraient tous deux l'an dernier dans un album de Susan Graham dirigé par le même Yves Abel... Le répertoire d'opérette, enfin, est-il donc si pauvre en rôles de soprano léger pour que Patricia Petibon en soit réduite à se lancer dans les airs de mezzo de L'Etoile ? Unique inédit, le pastiche d'air à cocottes Je t'aime qui conclut ce disque ne risque pas de détrôner Glitter and be gay dans la même catégorie : musique poussive, texte d'une nullité sans doute voulue... mais affligeante quand même. Deux titres malgré tout font dresser l'oreille : un subtil air de la Fée de Cendrillon et des couplets de Brummel qui auraient pu être électrisants... n'était le traitement de choc que leur inflige la chanteuse.

Car il faut bien en venir à la principale originalité de ce disque, à l'origine du mini-scandale qu'il a déclenché dans le Landernau lyrique : la fameuse "Petibon Touch", mise en oeuvre dans les morceaux à caractère humoristique. A plusieurs reprises, déjà, la critique avait pointé le penchant de la jeune chanteuse à exagérer les effets comiques, à en faire trop... Ici, elle transforme cette tendance en système. Soupirs, rires, exclamations, ajouts parlés, zézaiements, bâillements, voix dans le nez, gargarismes... Dans cette musique "qui évoque bien l'époque des bains de mer et des petits théâtres" (comme nous l'apprend la notice), chaque note, chaque syllabe doit faire rire, et tout est bon pour interrompre le discours musical... quand l'interprète ne nous gratifie pas carrément de commentaires plus ou moins longs (et plus ou moins drôles) après la fin du morceau ! La chanson de la Poupée, déjà en soi un gag musical, sert naturellement d'emblème à cet art du chant, avec entre autres extrapolations une cadence psychédélico-mozartienne qui double la durée de la 2e strophe... et fait perdre définitivement toute cohésion à l'air.

On préférera sourire devant la naïveté du verbiage culturo-branchouille de la notice (en partie due à Patsy Littlegood herself), qui nous explique ainsi que French Touch "propose un univers clos sur lui-même, une petite bulle en marge du Réel qui possède son propre espace-temps". Mais sa traduction musicale, désespérément réductrice, consterne. La cantatrice ne réalise-t-elle pas qu'un disque est fait pour être écouté plusieurs fois, et que les ajouts extra-musicaux ne doivent y occuper que la place la plus réduite sous peine d'overdose rapide ? Pense-t-elle vraiment former le public d'opéra de demain en confondant ainsi l'art de la chanteuse légère avec le métier d'animatrice d'émission télé pour les tout-petits ?... Dans le registre de la tendresse uniquement (Fortunio, Cendrillon), Petibon retrouve la sensibilité, le charme et l'élégance dont on la savait capable depuis sa Stratonice et son Ellen de Lakmé. Attendons la revanche qu'elle nous doit désormais et espérons que l'adorable oiseau vocal, qui semble avoir un peu de mal à voler de ses propres ailes d'artiste, trouvera vite le tuteur qui saura en faire l'Yvonne Printemps du XXIe siècle !
 
 

Geoffroy BERTRAN

 
 



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