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Matthias Goerne
Live at wigmore Hall

Beethoven :  An die ferne Geliebte, op.98
Schubert : Schwanengesang, D957

Matthias Goerne, baryton
Alfred Brendel, piano

Enregistré en public au Wigmore Hall, Londres
5-7 novembre 2003
Durée : 72'15''

CD DECCA 0 28947 56011 1



Alors qu'il n'en était qu'à ses balbutiements discographiques, Matthias Goerne avait osé chez Hyperion un Winterreise d'emblée magistral mais plombé par un pianiste peu inspiré et une esthétique toute de désolation que l'interprète n'assumait pas encore totalement. Près de dix ans plus tard, le baryton allemand remet sur le métier, pour Decca, les trois cycles schubertiens. La Schöne Müllerin, qui a ouvert ce triptyque, déconcertait par un pessimisme, une noirceur qui pouvait sembler hors de propos dans un tel cycle. Le Winterreise, conduit cette fois-ci par Brendel, donnait ensuite les clés pour pénétrer cet univers sans y ouvrir pourtant la moindre échappatoire. Le présent Schwanengesang, hétéroclite par nature, ne pouvait se plier à cette vision, surtout couplé avec le An die ferne Geliebte de Beethoven dont l'enivrant paysage lyrique ne peut souffrir d'être assombri que par quelques rares nuages, à aucun moment par les coutumières tempêtes que déchaîne l'Allemand.

Ce qu'on entend tout au long de ce concert donné au Wigmore Hall de Londres en novembre 2003 est d'une pudeur dans l'épanchement et d'une jubilation dans le chant auxquels Matthias Goerne ne nous avait pas habitué. On ne le croyait plus capable d'un tel miel dans l'incarnation et de tant de velours dans la voix, qui avaient fait merveille dans son premier récital Schubert chez Decca. L'interprète se départit de sa réserve naturelle et de sa mélancolie qu'on avait fini par croire viscérales pour évoquer des images d'une beauté et d'une richesse remarquables. Aidé et encouragé par le tapis sonore de Brendel, le An die ferne Geliebte semble même parfois lui échapper, tellement l'accompagnateur mène et conduit le cycle tantôt avec tendresse, tantôt avec naïveté, toujours avec poésie. Aux paysages intérieurs du baryton (mezza di voce impalpable dans le deuxième lied du cycle, ou un "ohne Zahl" au souffle inépuisable à la fin du troisième), répond le jeu du pianiste dont la force évocatrice est autrement palpable et visuelle.

Dans le Schwanengesang, la maîtrise technique du baryton demeure confondante. Ce qu'il en fait est toujours pertinent : effets, nuances et rubati sont motivés par la musique et rarement gratuits. Que l'on accepte ces partis pris ou non, c'est à l'auditeur d'en juger selon ses affinités et sa propre vision des oeuvres. Mais le monde qu'il nous fait entrevoir est d'une telle richesse qu'on peut difficilement résister à l'envie d'y pénétrer et de s'y abandonner. Qu'on écoute pour s'en convaincre le "so heiss" perdandosi dans Kriegers Ahnung ou les "gute Nacht" de Herzliebste variés à l'infini, la couleur cuivrée et les reflets mordorés de la voix dans un crépusculaire Herbst ou la jubilation vocale et pianistique de Abschied. Orfèvre des mots et alchimiste du son, Matthias Goerne a trouvé en Alfred Brendel un compagnon de route digne de lui. Espérons que celle-ci soit longue, que les deux artistes mûrissent ensemble leur vision du lied, et qu'ils égrènent dans les années qui viennent des merveilles encore plus abouties au cours de leur itinéraire commun.
 

Sévag TACHDJIAN


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