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Richard Wagner (1813-1883)

GÖTTERDÄMMERUNG


Siegfried, Wolfgang Schmidt
Gunther, Falck Struckmann
Hagen, Eric Halfvarson
Alberich, Ekkehard Wlaschiha
Brünnhilde, Deborah Polaski
Gutrune, Anne Schwanewilms
1. Norn, Brigitta Svenden
2. Norn, Yvonne Naef
3. Norn, Frances Ginzer
Woglinde, Joyce Guyer
Wellgunde, Sarah Fryer
FloBhilde, Jane Turner

Choeur et Orchestre du Festival de Bayreuth (1997)
James Levine

Mise en scène, Alfred Kirchner
Décors et costumes, RosalieEclairages, Manfred Voss

2 DVD Deutsche Grammophon, 004400734340



Les Dieux sont de retour


Comme Bayreuth reste peut-être plus que jamais un haut lieu de sociabilité, lorsque Rosalie habille le Ring... on court voir les costumes de Rosalie. On se croirait dans un roman de Colette, dans un autre "Claudine s'en va". Vous me direz que ce n'est pas une franche victoire pour Wagner que de regarder sa Tétralogie plus qu'on ne l'écoute ; au moins pour commencer. Mais enfin, regardez-moi dans les yeux : nous faisons tous cela et nous écoutons bien des sirènes quand nous allons à l'opéra (et pas forcément les plus recommandables).

Au moins, pour une fois, on ne va pas à la mise à mort. Et d'autant moins que ce Crépuscule-ci ressemblerait presque à une nouvelle aube. Une aube légère, un peu diaphane. Une aube simple et directe. Et il faut du courage pour renvoyer dans les cordes les interprétations de Chéreau et Küpfer, par exemple. Il faut l'oser ; mais on le peut quand on s'appelle Kirschner et Rosalie.

On peut l'oser quand on a à montrer un Crépuscule à la fois graphique et simplement esthétique. Un plateau souple, mouvant (la mort de Siegfried) et émouvant. Un plateau qui cite intelligemment Wieland comme une référence que l'on a su assimiler et réinventer. Tout cela sans dénaturer l'œuvre ; jamais. Car il s’agit bien, ici, d’une vision de narrateurs, d'illustrateurs qui porte le Crépuscule vers de nouveaux fonds baptismaux et qui renouvelle une certaine canonisation bayreuthienne. En clair, voilà le postulat : et si l’on était au théâtre ; au théâtre avant tout ? La scène entre Hagen et le choeur est simplement époustouflante, de ce seul point de vue, en terme de gestion des masses, de vision coloriste, comme soulevée jusque dans son immobilisme.

Bref les Dieux ont décidé de revenir au Walhalla. Au moins de s'y réinstaller sous d'autres oripeaux ! Les Dieux sont là ; vive les Dieux ! Et quels Dieux ! Qui renouent avec un temps glorieux où l'on ne se sentait pas obligé de pleurer sur la faillite de la maison Wagner. Une faillite en trompe-l'oeil d'ailleurs puisque les grands n'ont pas forcément été les mieux chantants. Voyez Mödl en Waltraute dans le Ring de Böhm ; voyez Jones chez Boulez. C'est à la fois vocalement très discutable mais humainement une traversée dont on sort pas indemne.

Alors ? Alors, justement, Hanna Schwarz (qui est une grande rescapée) partage ici beaucoup avec Mödl... et pas seulement son rôle. Elle partage le mot, l'intensité visionnaire et la voix en lambeaux. Elle partage la courbe paroxystique et les sons hantés. Elle partage l'effondrement glorieux qui fait les déesses éternelles. Et encore n'est-ce qu'une "apparition", dans tous les sens du terme. Polaski, elle,  qui habite le plateau presque en permanence renouvelle à chaque phrase le miracle de la puissance et du truc en plus qui font les grandes Walkyries. L'endurance est majuscule (même si l'Immolation expose tout ce que l'intelligence ne peut pas, ne peut plus). Et qu'importe que les aigus (surtout les derniers) soient un peu bas : si on demandait à toutes les chanteuses en délicatesse avec l'intonation de quitter les plateaux... Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Polaski est un concentré de féminité ; féminité puissante et bruissante du réveil de sa nuit d'amour au… crépuscule, justement.

Et Hagen ? Et Gunther. Grands aussi avec tourments et veulerie. Et Gutrune ? Elle aussi tellement femme ! Et Siegfried ? Aïe ; c'est là que ça coince. Lui est "seulement" homme ; "seulement" fort ténor comme l'était Aldenhoff ou Beirer à une autre époque. Pas franchement touché par la grâce. Enfin, "humain trop humain" c'est encore un bon voisinage.

Ceci dit, si tout cela est possible, cette espèce de dépassement permanent, ce feu si modulé, si contrôlé, c'est que justement tout est sous contrôle. Et pas sous n'importe lequel : sous celui de James Levine. On ne dira jamais assez à quel point Levine est un chef de théâtre né. Sans doute l'un des grands wagnériens de ces dernières années, aussi, et même... dans l'absolu ! Deux Ring déjà (un au disque et un confié au dvd) et ces derniers temps une belles floraisons de captations relayées par Deutsche Grammophon en provenance du MET. C'est assez pour se dire que Levine a la baguette sûre, émouvante et presque émotive. Sensuelle en tout cas ; pondérée, aussi, dans le bon sens du terme, comme celle des grands Kapellmeister du passé. Extrêmement fine tout le temps, sachant sculpter, détailler les équilibres ; sachant, surtout, tendre les grandes arches que demandent le II tout entier où la Marche funèbre, par exemple ; sachant, enfin, distribuer ombres et lumières ; jeter le brouillard et lever les vents de l'oeuvre.

C'est du bon, du très bon Bayreuth ; du grand, du très grand Wagner.


Benoît BERGER



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