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Arnold SCHOENBERG (1874-1951)

GURRELIEDER
 
Waldemar : James McCracken
Tove : Jessye Norman
Waldtaube : Tatiana Troyanos
Bauer : David Arnold
Klaus-Narr : Kim Scown
Sprecher : Werner Klemperer

Boston Symphony Orchestra
direction Seiji Ozawa
Tanglewood Festival Chorus
1979

2 CDs
Editions PHILIPS « The Originals »



Auteur de lieder et de deux poèmes symphoniques majeurs, Verklärte Nacht et Pelléas et Mélisande, Arnold Schönberg n’a que vingt cinq ans lorsqu’il entreprend la réalisation d’un grand oratorio profane, en réponse à l’annonce d’un concours lancé par le Tonkünstlerverein de Vienne. Débutée en 1900, cette partition plusieurs fois interrompue pour raisons personnelles, ne verra le jour qu’en février 1913, dirigée par Franz Schreker en personne. Schönberg n’imaginait pas que les Chants de Gurre, longue séquence en vers de l’écrivain danois Jens Peter Jacobsen allait lui inspirer l’œuvre la plus colossale de l’histoire de la musique, requérant la participation du plus grand orchestre jamais utilisé. Cinq chanteurs solistes, un récitant, trois chœurs d’hommes à quatre voix, un chœur mixte à huit voix, cinquante bois et cuivres, dix cors, sept trompettes, sept trombones (de quoi faire pâlir la « Symphonie des Milles » de Mahler) sont donc nécessaires pour raconter la légende du roi Waldemar et de son amour pour la belle Tove, qu’il installe dans son château de Gurre. Cependant son épouse jalouse, Waldtaube, la fait assassiner. Frappé de douleur, Waldemar maudit Dieu et se voit condamné après sa mort, à sortir chaque nuit de sa tombe accompagné de ses suivants, pour aller chevaucher jusqu’à l’aube. L’écriture musicale extrêmement complexe ne fait appel à cet ensemble monumental que pour créer des atmosphères contrastées, des effets de timbres et des couleurs inédites, propres à illustrer les comportements humains tels que l’amour, la jalousie, la trahison et la religion, comme un hommage à la partition-référence Tristan et Isolde de Wagner. Les moments spectaculaires, ou de masse, à la polyphonie savante, sont pourtant rares, se situant surtout dans la dernière partie de l’œuvre qui se conclue sur le plus fabuleux des levers de soleil de toute l’histoire de la musique.

Seiji Ozawa à la tête du Boston Symphony Orchestra et du Tanglewood Festival Chorus, est le maître d’œuvre incontesté de cet enregistrement qui date de 1979 (et déjà reporté en cd). Impressionnant de maîtrise et de concentration dès le prélude introductif, le chef plante un décor aux lignes frémissantes, tout droit sorti d’une toile impressionniste, les sonorités vaporeuses des instruments laissant filtrer la lumière de façon impalpable. De plus, son geste ample et sa pensée méditative mettent en évidence avec une clarté parfaite, chaque linéament de cette architecture, ou les structures sont successives. Paysages lunaires, tension croissante, embrasement intérieur qui rappellent une fois encore Wagner, miroitements orchestraux alla Strauss et gravité, caractérisent la première partie ; la seconde, terminée plus de dix ans après, étant placée sous le signe du désespoir, avant l’élévation, symbolisée par un admirable crescendo tendu vers l’astre du jour, dont le style marque l’évolution artistique du compositeur, passé du post-romantisme à l’atonalité. Malgré les dimensions monumentales de l’œuvre et sa profusion mélodique, Ozawa réussit l’exploit de la traiter comme une vaste pièce de musique de chambre, soulignant la grandeur et l’humanité de son propos, grâce à la cohésion qu’il sait établir entre solistes, chœurs et orchestre. Reconnaissons que le plateau dont il dispose est de tout premier ordre : avec son timbre sombre et cette espèce d’impatience dans la voix, James McCracken campe un Waldemar à la fois valeureux et tourmenté (proche de la figure d’Otello, rôle dans lequel il s’illustra de nombreuses années).Très en voix pour l’époque, le ténor malgré cette émission engorgée, très reconnaissable, possède une dimension héroïque qui rend la douleur de son personnage attachante. Jessye Norman ne chante pas : elle sculpte. La rondeur de son timbre, la douceur de son expression, les accents capiteux qu’elle dispense à la séduisante Tove et qui semblent glisser comme les rayons de la lune, sont proprement captivants. Autre partenaire de luxe, Tatiana Troyanos, magnifique interprète de Waldtaube, même si la tessiture très grave la montre un peu bridée, tout du moins attentive et précautionneuse, quand nous la voudrions moins plastique ; l’intensité et la beauté du chant sont là et c’est merveille de retrouver cette grande artiste. Le paysan à la voix empâtée de David Arnold, la courte prestation de Kim Scown en bouffon Klaus et le récitant haletant, mais chuintant de Werner Klemperer, s’intègrent artistement à cette fresque grandiose, à placer juste devant la magistrale réalisation signée Simon Rattle avec les Berliner Philharmoniker (Emi 2002). Un must.


                                    François LESUEUR
 
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