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Lorraine Hunt Lieberson at Emmanuel
Johann Sebastian Bach - Georg Friedrich Haendel

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
"Kommt ihr angefochtnen Sünder", tiré de le Cantate "Freue dich, erlöste Schar", BWV 30
"Wie fürchtsam wankten meine Schritte", tiré de la Cantate "Allein zu dir, Herr Jesu Christ", BWV 33

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Airs, récitatifs et duo de Déjanire, tirés de
Hercules, drame musical en trois actes
Acte I
Récitatif "O Hercules! Why art thou absent from me?"
Air "The world when day's career is run"
Récitatif "Then I am lost! O dreadful oracle!"
Air "There in myrtle shades reclined" **
Récitatif "Ye lying omens, hence!"
Air "Begone, my fears, fly, hence, away"
Acte II
Récitatif "It must be so! fame speaks aloud my wrongs" *
Air "When beauty sorrow's liv'ry wears" ***
Récitatif "O glorious pattern of heroic deeds!"
Air "Resign thy club and lion's spoils"
Air "Cease, ruler of the day, to rise"
Duo "Joys of freedom, joys of pow'r" *
Acte III
Scène de la folie : "Where shall I fly? Where hide this guilty head?"

Lorraine Hunt Lieberson (1954-2006), mezzo-soprano

avec
* Jayne West, soprano (Iole)
** Shannon Snapp, violoncelle continuo
*** Danielle Maddon & Lena Wong, violons

The Orchestra of Emmanuel Music
Direction Craig Smith (1947-2007)

1 CD Avie



Talent intemporel

La mort a du bon et du moins bon. Le moins bon, c’est qu’on n’est plus là et que généralement cela rend les gens tristes. Le bon, en ce qui concerne les artistes, c’est qu’on en profite pour sortir pléthore d’enregistrements qui, sinon, n’auraient pas vu le jour. Cela étant, j’aurais volontiers échangé ce beau disque contre le troisième âge de Lorraine Hunt qui, disparue à 52 ans, n’eut pas même l’occasion de le toucher du bout des doigts.

Le décès d’un jeune artiste est l’occasion d’une pluie de louanges inconditionnelles. Face à la gravité de l’évènement, il n’y a pas de place pour les mauvaises langues ni même pour un milligramme de réserve ; seules les groupies sont admises à la veillée. Critiquer un enregistrement posthume, surtout quand la tombe n’est pas encore tout à fait recouverte de mousse, c’est s’engager à n’en dire que du bien. Qu’à cela ne tienne, dans le cas qui nous occupe, cela ne m’aura demandé aucun effort. Sans doute l’exercice me demandera-t-il plus de concentration quand il s’agira de parler des enregistrements posthumes de Roberto Alagna. Mais j’ai, en théorie, quelques années pour y réfléchir.

Les amateurs de la paroisse 

Ce disque est un double hommage rendu à Lorraine Hunt et à Craig Smith, le fondateur d’Emmanuel Music, un ensemble de musique ancienne attaché à l’église Emmanuel de Boston. Leur démarche, au départ, était d’une parfaite modestie : jouer, entre amis, l’intégrale des cantates de Bach, à l’occasion des services religieux. L’ensemble communautaire berçait en mesure le recueillement de la communauté. Mais alors qu’en nos contrées, où l’enseignement musical est devenu rien d’autre qu’une anecdote, le meilleur des ensembles amateurs en est réduit à faire « coin coin » dans les foires aux boudins, on est stupéfaits face à la qualité et la rigueur d’Emmanuel Music. Certes, 38 années d’activité ont permis de s’exporter, d’enregistrer et de côtoyer des musiciens de grand renom, mais ces 38 années d’exercice n’ont pas détourné l’ensemble de son but initial : faire de la musique pour ses coreligionnaires.

Lorraine Hunt rentre chez Emmanuel Music en 1981 en qualité d’altiste ; rapidement elle demande à Craig Smith une audition comme chanteuse et celui-ci accepte. On se doute de l’intensité du coup de foudre à la lecture de l’historique de leurs concerts communs. Craig Smith est tombé fou-amoureux de la voix de sa cadette et celle-ci n’a jamais abandonné celui qui a contribué à sa découverte. Au seuil du trépas, alors qu’elle avait annulé la quasi-totalité de ses engagements, Lorraine fit encore une tournée de cantates de Bach avec ses amis. Annuler La Scala et Le Met pour tourner avec ses camarades ; voilà un sens des valeurs des plus éloquents.

La mezzo des absolus

Ce disque est merveilleux, même si sa construction est tout sauf emballante, à priori. Deux extraits de cantates de Bach et une sorte de « highlights » de Hercules avec un orchestre quasiment inconnu dans nos vertes contrées, on a vu plus vendeur. Mais voilà, le miracle de la musique veillait sur les âmes de nos protagonistes et le présent enregistrement en est illuminé aux quatre coins de ses tracks.

Lorraine Hunt est une musicienne phare du vingtième siècle ; longtemps après sa mort, son Irène de la Theodora de Händel à Glyndebourne restera comme la référence absolue du bon goût musical, de ce que devrait être la délicatesse féminine sur des planches et même, soyons fous, de l’existence d’un Dieu omniscient et bienveillant. Beauté du timbre, musicalité, justesse et ce don qu’avait la mezzo américaine d’apprendre au mélomane que leurs oreilles ingurgitaient là des instants d’éternité. Tel est l’héritage –substantiel- de Lorraine Hunt.

Hélène MANTE
 

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