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Isaac Albéniz (1860-1909)

Pepita Jiménez

Plácido Domingo (Don Luis de Vargas),
Carol Vaness (Pepita Jiménez),
Jane Henschel (Antoñona),
Enrique Baquerizo (Don Pedro de Vargas),
Carlos Chausson (le Vicaire),
José Antonio López (le Comte Genazahar),
Federico Gallar (1er Officier),
Angel Rodríguez (2e Officier)

Chœurs d’Enfants de la Communauté de Madrid
dir. José de Felipe
Orchestre et Chœurs de la Communauté de Madrid
dir. José de Eusebio
 
Deutsche Grammophon (2 CDs)
00289 477 6234 – Ø juillet 2004/juin 2005 – 90’52




Essentiellement connu pour ses œuvres pianistiques, Isaac Albeniz n’en fut pas moins un compositeur d’opéra remarquable, comme le prouvaient déjà les enregistrements de Henry Clifford et de Merlin, tous deux récemment parus chez Decca. La gravure de Pepita Jimenez que nous offre aujourd’hui Deutsche Grammophon nous permet enfin de découvrir le premier de ces trois opéras, celui avec lequel il espérait pouvoir ouvrir la voie à un opéra espagnol – la Zarzuela seule parvenant jusqu’alors à inspirer les compositeurs ibériques. Paradoxalement, c’est à Londres qu’Albeniz décide de se lancer dans cette aventure, aidé d’un librettiste anglais, Francis Burdett Money-Coutts, dont le talent n’est pas ici en cause, mais seulement… la langue ! En effet, quelle étrange idée que de composer en anglais des opéras censés promouvoir la veine créatrice de la péninsule ibérique ! Autant Henry Clifford, avec son sujet typiquement shakespearien (nous y sommes en pleine Guerre des Roses), ou même Merlin, légende bretonne d’outre-Manche, pouvaient s’accommoder de la langue victorienne, autant cette pauvre Pepita Jiménez souffre de cet exotisme étrange et dérangeant. Certes, on peut toujours arguer, comme le fait dans le texte du programme José de Eusebio, chef d’orchestre et responsable de l’édition « définitive » de l’ouvrage, qu’Albeniz lui-même écrivit sa musique sur les mots de Money-Coutts, mais on ne peut s’empêcher de ressentir un véritable malaise à l’écoute de ces chanteurs (a fortiori quand ils sont eux-mêmes Espagnols) déclamant un texte dont les couleurs et les inflexions devraient être celles d’un Pérez Galdós ou d’un Lorca…

Cela posé, il est indéniable que nous soyons là en présence d’un opéra de grande tenue – et proposé dans une réalisation exemplaire. Mention particulière tout d’abord à José de Eusebio, qui dirige l’orchestre de la Communauté de Madrid avec une verve incroyable, un sens des couleurs qui rend justice à l’âme de cette musique. La distribution, de grande classe, est dominée par un Plácido Domingo en grande forme, dont l’hispanité, on s’en doute, perce même à travers le texte anglais… Les autres, à l’exception notable des deux grands rôles féminins, tenus par Jane Henschel et Carol Vaness, sont tous hispanophones et savent trouver les accents, les couleurs capables d’innerver le drame (finalement joyeux) qui se joue devant nous. Cette histoire de jeune veuve andalouse amoureuse du fils de l’homme qui la convoite (vous êtes déjà perdus ?) ressemble fort aux meilleures opérettes françaises ou viennoises de la même époque, même si par son orchestration très riche et sa structure continue, Pepita Jiménez se rapproche davantage du « grand genre ».

Peut-être aurait-on pu choisir des artistes moins prestigieux, mais plus adaptés à leurs rôles : en l’occurrence, la merveilleuse Carol Vaness n’est pas toujours une Pepita très crédible (vibrato, largueur de voix, timbre) – contrairement à Jane Henschel, qui campe une Antoñona bouleversante, tantôt matrone à fort caractère, tantôt confidente poignante dans son émotion palpable. Que dire de Domingo, enfin, qui joue ici les jeunes premiers ? La voix n’accuse en rien son âge et rayonne de bout en bout. L’éclat, la vaillance, la jubilation de ce chant font de son Don Luis de Vargas un séminariste simplement confondant de charme et de sex appeal ! Qu’on écoute son air du 2e acte, « Love moves by night », où la voix semble s’électriser peu à peu, pour s’en convaincre pleinement.

On ne saurait trop saluer cette première discographique, qui permet de mieux comprendre le réel succès que connut cette œuvre après sa création à Barcelone (1896), puisque Prague (1897), Bruxelles (1905) et Paris (à l’Opéra-Comique, 1923) eurent le plaisir de l’entendre – bien que dans des versions fort remaniées chaque fois.



   David FOURNIER

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