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Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)

Tristes déserts...


Tristes déserts…
Sans frayeur dans ce bois…
Non, non, je ne l’aime plus…
Amour vous avez beau…
Rendez-moi mes plaisirs…
Oiseaux de ces bocages…
Quoi, je ne vous verrai plus…
Epitaphium Carpentarii
Les Stances du Cid
Celle qui fait tout mon tourment…
Auprès du feu, on fait l’amour…
Veux-tu, compère Grégoire…
Beaux petits yeux d’écarlate…
Ruisseau qui nourrit dans ce bois…
15-20. Orphée descendant aux Enfers

Gérard Lesne, haute-contre et direction
Cyril Auvity, taille
Edwin Crossley-Mercer, basse-taille
Chantal Santon, Kaoli Isshiki, dessus,
Magid El Bushra, haute-contre

Il Seminario Musicale

Enregistré du 9 au 12 octobre 2006
à l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache
1 CD ZIG ZAG TERRITOIRE –  070302 –  74’



Tristes apprêts, pâles flambeaux


Gérard Lesne a cinquante ans, un âge plus que respectable en particulier dans sa catégorie vocale. Même fatiguée, sa voix reste belle, chaleureuse, émouvante, du moins lorsque les exigences de la partition n’excèdent pas ses moyens. Sans surprise, l’artiste épouse à merveille l’humeur douce amère de pages intimistes telles que Oiseaux de ces bocages ou l’inédit Ruisseau qui nourrit dans ce bois, perle singulière avec sa basse lancinante à la viole. Il faut dire aussi que les micros recueillent le moindre murmure, l’inflexion la plus ténue, et flattent la trame fragilisée de ce qui fut l’un des timbres de contre-ténor les plus riches jamais enregistrés.

En revanche et contrairement à ce qu’affirme le contre-ténor, Charpentier n’avait pas du tout le même type de voix que le sien. Le compositeur était une haute-contre, c’est-à-dire un ténor élevé et non un baryton mêlant ses registres de poitrine et de fausset. Ce n’est bien sûr pas qu’une question de vocabulaire. La plupart des pièces qui composent cet album ont très probablement été créées par Charpentier en présence de sa protectrice Marie de Lorraine et elles n’ont en tout cas jamais été écrites pour un contre-ténor. Il suffit d’écouter Paul Agnew dans les Stances du Cid (ERATO) pour mesurer tout ce qui oppose ces deux vocalités, au-delà même des couleurs : l’émission franche de la haute-contre a un tout autre impact et la noblesse, le mordant de ses accents magnifient le dilemme du héros cornélien, alors que l’ambre délicat du contre-ténor, couronnée d’aigus suaves, lisse et affadit le verbe sublime du tragédien. L’étonnant et très spirituel Epitaphium Carpentarii comme la cantate Orphée descendant aux Enfers requièrent un souffle, une envergure dramatique et un sens du phrasé que Gérard Lesne ne possède pas davantage. L’interprétation d’Henri Ledroit (RICERCAR) demeure la référence, mais également la seule alternative disponible pour ces oeuvres bien trop rares au disque.
 
«  Mon parti pris dans cet enregistrement de privilégier une prononciation moderne au point de renoncer à rouler les " r" est la suite logique de ma lecture de ces œuvres : les servir avec simplicité, humilité, sans aucune surinterprétation ». Loin de moi l’idée de mettre en cause la sincérité des intentions de Gérard Lesne – n’y a-t-il pas autant de conceptions de la simplicité que d’individus ? –, mais son style ne m’a jamais paru « simple », naturel, sobre... En l’occurrence, même s’il ornemente peu, sa diction très étudiée et quelques coquetteries trahissent un goût certain pour le raffinement, une prédilection pour la joliesse du détail et l’émoi fugitif au détriment de l’élan spontané, de l’expression directe et soutenue. Affaire de tempérament, de complexion, sans doute. Les airs à trois (Beaux petits yeux d’écarlate ; Veux-tu, compère Grégoire) déploient bien plus de verve grâce aux interventions vigoureuses de la taille et de la basse-taille, Cyril Auvity et Edwin Crossley-Mercer, également parfaits dans les duos d’Ixion et Tantale.

Autour de la fidèle Blandine Rannou, Il Seminario Musicale livre un accompagnement proche de l’idéal. Le Chœur des Anges (Epitaphium Carpentarii) ne lui donne guère l’occasion de briller, mais je voudrais signaler les débuts au disque d’un très jeune contre-ténor que j’ai découvert récemment en concert : Magid El Bushra, doté d’un grain de toute beauté, moelleux et pur, mais dont la technique laisse encore à désirer. Néanmoins, un nom à suivre.



Bernard SCHREUDERS



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