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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

INTEGRALE DES LIEDER

Sophie Karthäuser, soprano
Stephan Loges, baryton
Eugène Asti, piano

2 CDs Cypres, CYP1650




La mélodie du bonheur


Il y a un malentendu persistant autour du monde du Lied et qui tient à la personnalité écrasante de géants comme Schubert, Schumann, Brahms et Wolf. Pour beaucoup, l’art du Lied est en effet synonyme de ce – grandiose – quatuor ; pour beaucoup aussi – et qui sont souvent les mêmes – c’est un art austère, exigeant, minimaliste, illustré – hors les quatre compositeurs précités – par quelques personnalités compulsives : Fischer-Dieskau, Shiraï, Goerne etc…

Bref, le Lied est un autre monde du lieu commun. Mais en parler revient à parler d’opéra, de symphonie : le genre est à la fois un et multiple. Et ceux qui chercheraient – ou fuiraient -  ici Schubert, ou Schumann ou Wolf risquent d’être ou bien déçus ou bien incroyablement ravis. Car tout génie qu’il fut – ou justement parce qu’il le fut, je ne sais pas – Mozart n’a rien composé de semblable à ces maîtres du XIXe siècle. Ses mélodies se rapprochent plus des prémices glorieuses de Reichardt ou Hummel.

Le Lied de Mozart est souvent strophique ; il a réservé à ses opéras les grands développements de l’aria. Rares sont les pièces comme « Dans un bois solitaire » ou « Abendempfindung » qui connaissent le beau lyrisme des œuvres scéniques contemporaines. La mélodie mozartienne est un monde sans apprêt ; le monde d’une notation rapide et presque fragile ; le monde d’un enfant prolongé. L’art semble relever de la récréation. Simple comme du Mozart…

Est-ce pour cela que le Lied mozartien a peu suscité de vocation ? Sa légèreté populaire a-t-elle rebuté les grands pèlerins de l’estrade plus enclins au le spleen schubertien ? Il est vrai que les mélodies du grand Wolfgang sont globalement peu payantes, sans grandes démonstrations ni vastes narrations. « An die Freude » est un petit compliment en hommage au médecin qui l’a guéri à l’âge de 12 ans… C’est tout dire.

Mais le naturel ne s’invente pas. Est-ce là la vraie raison de la réserve des marathoniens du Lied vis à vis de ce répertoire plus exigeant qu’il n’y paraît ? Qui sait… Deux références s’imposent ici : Schwarzkopf  - avec Fischer-Dieskau – et Seefried. C’est un paradoxe apparent de parler de naturel s’agissant de Schwarzkopf ; mais fabriqué ou non, son chant sonne vrai, malgré son côté vieille comtesse ! Pour Seefried, la question ne vaut pas. Elle chantait à cœur ouvert… Et ce fut même peut-être son problème !

C’est justement à cette dernière que Sophie Karthäuser fait penser. Cela était vrai de sa fabuleuse Susanne des Noces à Lyon. Cela l’est ici encore. En faut-il de l’art pour que son chant paraisse ainsi évident ! Avec la belle plénitude de son timbre solaire, Karthäuser emporte l’adhésion à chaque mélodie, à chaque note presque. Ecoutez seulement « Die Alte », si finement campée et sans outrance, ce qui est mieux ; « Der Zauberer » et son monde bouillonnant ; « Das Veilchen » si finement décantée ; la longue méditation lunaire de « Abendempfindung » et ses modulations infinitésimale.

Stephan Loges ne se positionne pas au même niveau ; disons, pas de la même manière. Lui n’a pas tout à fait l’acuité vocale qu’il faudrait ici ; pas tout à fait le brillant. Il faudrait un Papageno à fleur de peau – à fleur de nerfs ? – à ces piécettes ; un chanteur de Ländler. Schreier et Prégardien, avec leurs voix si dissemblables ont laissé des interprétations plus directement prenantes des mélodies abordées par Loges. Ainsi le second, en live à Salzbourg, emportait autrement, comme à la bravade, le « Lied der Freiheit », ici « juste » sage. Loges semble gêné – ce qui est le comble – comme sur la réserve. Une réserve double, d’ailleurs, puisque le très beau « Lied der Trennung » lui voit déployer des ressources insoupçonnées dans une plainte plastiquement magnifique.

Derrière le rayonnement de Karthäuser et le phrasé de Loges, il y a cependant aussi – surtout ? – le piano magnifique de Eugène Asti. Ici une réserve qui est une paille : pourquoi ne pas avoir joué le jeu du pianoforte ? Pourquoi ne pas avoir cherché le rugueux, le petit surplus de caractérisation que l’instrument aurait apporté ici – c’est particulièrement flagrant dans « Komm, liebe Ziether » ? Voyez ce que cela pouvait donner chez Von Otter et Melvyn Tan – chez Archiv – indépendamment des réserves que l’on peut attacher à ce disque. A côté de cela le jeu de Asti est fabuleux et fabuleusement caractérisé – « Lied der Trennung », encore ; fluide quand il le faut – « Ridente la calma » ; espiègle parfois, pudique souvent, toujours juste – « Sensucht nach dem Frühling ».

Du coup, avec ses quelques petites imperfections et ses bonheurs immenses, l’entreprise mérite d’être saluée et encouragée.


Benoît BERGER



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