C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
....
......
NABUCCO

Giuseppe VERDI

Nabucco : Juan Pons
Isamele : Gwyn Hughes Jones
Zaccaria : Samuel Ramey
Abigaille : Maria Guleghina
Fenena : Wendy White
Il Gran Sacerdote : Stephen Morscheck
Abdallo : Rafael Suarez
Anna : Alexandra Deshorties

Mise en scène : Elijah Moshinsky
Décors : John Napier
Costumes : Andreane Neofitou
Lumières : Howard Harrison
Réalisation : Brian Large

Choeurs et Orchestre du Metropolitan Opera de New York
James Levine

1 DVD Deutsche Grammophon, 00440 073 0779




Soir de routine au Met, captation d'une utilité toute relative, chef-d'oeuvre bien mal servi par un ensemble d'inspiration moyenne : voilà quelques appréciations que l'on serait tenté d'attribuer à ce nouveau Nabucco paru sous "étiquette jaune". On passe un peu vite sur l'ensemble, on le voit plus qu'on ne le regarde et on l'entend plus qu'on ne l'écoute vraiment ! L'opéra étant lui-même d'une veine mélodique nerveuse, d'une sève violente, bariolée, d'un dramatisme épique, on en revient imperturbablement à rejeter sur les différents maîtres d'oeuvre la faute de l'intérêt mitigé que l'on éprouve devant cette production. Disons que regarder ce disque que l'on voudrait chargé d'échos de feu et de sang, c'est un peu prendre le train fantôme assis dans un cossu fauteuil chippendale... un certain hiatus. 

Soir de routine, disions-nous ? Sans doute mais pas seulement. On passera bien vite sur la mise en scène de Moshinsky qui place les participants plus qu'elle ne les déplace et, comme l'indique la notice, "prend l'histoire biblique au premier degré". Pas grand chose de ce côté-là, donc, et chacun est un peu laissé face à lui-même, face à sa petite "cuisine" dramatique pour animer son personnage, entre placidité doctrinale (Ramey), grand-guignol (Pons) et hystérie convaincue (et même convaincante, chez Guleghina). Pour le reste, les décors sont sympathiques et regardables, un peu manichéens quand même lorsqu'il s'agit de matérialiser le "bronze babylonien et le rocher hébreu", et l'ensemble, très bien éclairé (c'était déjà l'une des grandes réussites du Tristan de même origine), ne souffre finalement vraiment que de costumes assez ridiculement colorés et démonstratifs (ah ! la tenue "royale" d'Abigaïlle et l'espèce de palette d'aquarelles qui sert de pectoral à Zaccaria...). Rappelons quand même que Brian Large, maître ès-captations depuis trente ans, réussit le pari d'animer de sa caméra ce propos convenu, remettant en scène les jeux compacts de la foule chorale et scrutant du bout de l'objectif les affres de la passion sur les visages des chanteurs (Guleghina en sort très humanisée).

Qu'est-ce qui fait alors que la routine générale de l'ensemble arrive à être dépassée ? Où le spectateur posément assis devant son téléviseur trouve-t-il ce plaisir, ce petit frisson d'émotion qui lui traverse l'échine ? Sans doute pas chez les comprimarii "locaux" et "metropolitanéisés", qui se croient un peu à Hollywood, dans un péplum de série B, gestes larges, voix trompettantes (on met du temps à se remettre de l'Ismaele de Mr Jones, tendu jusqu'à la rupture, desséché dans ses contorsions de Domingo des mauvais jours) ou présences simplement bonnasses (Wendy White en Fenena qui ne saisit même pas l'occasion de son furtif "dischiuso" pour marquer ne serait-ce qu'un tout petit peu la mémoire de l'auditeur).

On peut, en revanche, compter sur James Levine pour tirer de sa somnolence l'auditeur atone. Avec sa remarquable phalange, le chef souffle la tempête du drame dès une ouverture très maîtrisée, aux cuivres acérés et aux cordes virulentes. La rythmique est là, implacable qui lui permet de mener son équipe au terme de la représentation dans un esprit de théâtre vivant particulièrement réjouissant. En reste-t-il seulement encore beaucoup des chefs comme celui-ci, aussi solides, d'une inspiration tendant toujours vers le haut, maîtres de tous les répertoires, de Mozart à Puccini, de Rossini à Wagner ?

Juan Pons en Nabucco joue de l'urgence que Levine met dans les moments clés du drame pour camper un roi peinant à s'humaniser, plus guerrier qu'introspectif ("Dio di Giuda" tombe à plat mais la cabalette qui suit, avec sa strette guerrière, emporte l'adhésion), dont la voix grise a aujourd'hui plus de trame que de véritables couleurs. L'artiste pourtant met de la conviction dans son personnage, se donne sans compter, au risque de sombrer parfois (le duo avec Abigaille est assez pénible) et reste finalement assez marquant. Samuel Ramey, comme Pons, est plus maintenant un soldat de la vieille garde qu'un jeune fantassin piaffant. Zaccaria expose même cruellement tout ce que la voix a perdu en terme d'émail, de couleur, de simple projection, le grave coincé, l'aigu sec, décoloré et l'ensemble affichant un vibrato trémulant que toutes les ressources de l'art ne peuvent plus masquer. Mais quel art malgré tout ! Usé peut-être, Ramey l'est avec panache, impeccablement stylé, maître de la ligne toujours, vrai prophète bel cantiste osant même quelques variations dans sa cabalette de la première partie.

Reste le cas Guleghina. On craint un peu les fureurs de la dame qui, lionne scénique, n'est pas toujours de la plus extrême distinction musicale. Organe herculéen, ambitus titanesque, la chanteuse se révèle une Abigaille de choix, plastiquement impressionnante et vocalement brillante. On se doute que les grands éclats du rôle ne lui posent guère de problèmes (même si l'extraordinaire saut d'octave de son récitatif au II est assez empiriquement négocié), depuis son entrée rude, violente de grave, dardée d'aigus pointés comme des javelots d'acier. Le rôle est chanté à 200%, sans économie, un peu brut de décoffrage parfois, mais sans que l'on puisse reprocher à l'artiste d'être en-deça des moyens exigés par Verdi. Ce que l'on attendait moins et dont on se réjouit c'est la capacité que Guleghina s'invente d'amollir son larynx d'airain le temps d'une cavatine très artistement négociée, très tenue à défaut d'être orthodoxement bel cantiste, comme la mort de l'héroïne pudique et d'une belle plénitude.

De la routine donc, mais de la belle routine tout de même, transcendée par quelques très belles prestations (direction, orchestre et au moins Nabucco ponctuellement, Abigaille régulièrement et Zaccaria toujours), et qui réservera à l'auditeur (plus qu'au spectateur stricto sensu) de bons moments... Et puis les Nabucco régulièrement disponibles sont-ils à ce point légion que l'on accepte de se priver d'une version supplémentaire ?
  


Benoît BERGER




Commander ce CD sur  Amazon.fr
Nabucco%20-%20DVD" target="_blank">
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]