C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
......
......
Anna NETREBKO (soprano)

Sempre Libera

Giuseppe Verdi : La Traviata (Violetta)
Vincenzo Bellini : La Sonnambula (Amina)
Gaetano Donizetti : Lucia di Lamermoor (Lucia)
Vincenzo Bellini : I Puritani (Elvira)
Giuseppe Verdi : Otello (Desdemona)
Giacomo Puccini : Gianni Schichi (Lauretta)

Participation de :
Sara Mingardo (mezzo-soprano), Saimir Pirgu (Ténor), 
Nicola Ulivieri (baryton-basse), Andrea Concetti (basse)

Malher Chamber Orchestra
Direction : Claudio Abbado

1 CD (SACD) Deutsche Grammophon n° 00289 474 8812
Enregistré à Reggio Emilia, Teatro Municipale en février et mars 2004



"Sempre libera" est le titre accrocheur du second album d'Anna Netrebko pour Deutsche Grammophon ; "toujours libre" n'est pourtant pas l'esprit attaché à ce programme fort convenu et rituel des jeunes divas depuis cinquante ans au moins. Sans doute cette apostrophe à l'acheteur éventuel fait-elle référence aux photos de couverture et du livret d'accompagnement, où l'on peut voir la jeune cantatrice poser tel un mannequin ou à une cover-girl, toute de cuir vêtue. Ce phénomène date de quelques années et, autant que je sache, c'est avec Anne-Sophie Mutter que la firme allemande avait ouvert le bal. Reste qu'Anna Netrebko n'est pas Mutter (à l'époque déjà une vraie star du violon) et qu'il semblerait que cette esthétique de marketing prenne le pas sur les véritables talents du soliste concerné. Rappelons-nous le fort laid documentaire promotionnel de la chanteuse diffusé sur Arte il y a quelques mois, où elle se promenait dans des décors de télévision très design, chantant en play-back quelques tubes du répertoire lyrique. Anna Moffo ou Leontyne Price avaient déjà donné dans le genre, mais sans chercher à paraître "bimbo" ; en somme, un moindre mal. 

Quoique plutôt agréable à regarder, Anna Netrebko fera t-elle les frais de cette vague "plastique" ? On peut y penser à l'écoute de cet album aux performances vocales et expressives particulièrement limitées. 

Programme convenu, je le rappelais, qui cherche probablement à refléter le répertoire présent et futur (proche) de la cantatrice, donc destiné à donner des idées aux producteurs. Ceux qui misaient sur l'évolution d'Anna Netrebko depuis son premier récital, risquent sans doute d'être déçus. La voix est certes toujours saine, charnue, avec de belles couleurs ambrées dans le médium et le haut médium, mais l'aigu reste limité au-delà de l'ut dièse, et l'on peut se poser quelques questions sur le répertoire choisi par la soprano. Anna Netrebko devrait probablement se tourner vers les rôles d'Ileana Cotrubas dont elle possède, et le calibre sonore et l'étendue vocale (ce que son premier récital au disque, plus réussi, laissait supposer).

Reste que l'on pense plus d'une fois au désastre de Cheryl Studer dans un disque EMI à l'affiche très similaire, et si la voix d'Anna Netrebko est en meilleure forme, l'inadéquation est tout aussi perceptible. Quoique Studer y mît davantage d'émotion, d'art et d'amour (autodestructeur certes)... Car sur ce plan, Anna Netrebko n'est qu'une jolie, scolaire et gentille voix. Ne fût-ce le marketing acharné de l'éditeur, la jeune cantatrice ne devrait aujourd'hui se produire que sur des scènes moyennes et construire un art du "bel canto" qu'elle ne maîtrise que sommairement. 

N'ayant pas eu le loisir de voir et entendre cette jeune femme sur scène, il est permis de se demander si elle offre sur les planches une prestation moins ennuyeuse qu'en studio. De Violetta à Lauretta en passant par Amina, Lucia et Desdemona (voulue par Abbado, nous confie Anna Netrebko), il est bien difficile de ressentir la plus infime émotion, de percevoir la moindre variante de style, la plus petite différence d'approche psychologique (et musicale), sans compter une très faible palette de nuances (ce, malgré les affirmations du livret, citant un quotidien américain "elle ouvre la bouche toute grande pour émettre un pianissimo à peine audible : figure virtuose traduisant une insondable terreur" sic).

On ne retient in fine qu'une Violetta poussive, qui parvient péniblement au bout de son air (les vocalises sont singulièrement lourdes). On pense - dans une moindre mesure - à Cecilia Gasdia au Maggio Musicale di Firenze il y a une vingtaine d'années, sous la direction de Carlos Kleiber (elle fut remplacée après la première par June Anderson). Bien que... même dépassée vocalement, Gasdia faisait passer une émotion dont sa cadette semble incapable.

Sa Lucia (avec glass harmonica) particulièrement - qui fait, lit-on, les beaux soirs des scènes internationales - est ici d'une platitude dramatique affligeante, toujours compensée par un souci du beau son, plein. Nous sommes à mille lieues des Callas, Sutherland, Sills, Aliberti, Gruberova ou Dessay, tant sur le plan émotionnel que sur le plan vocal (notamment des suraigus que la chanteuse ne possède pas). 

Tout au long du disque, les récitatifs sont ennuyeux, les arias chantés avec une voix uniforme, et les cabalettes dépourvues de coloratures (Sonnambula, I Puritani). Ni Desdemona (dont elle n'a pas encore l'épaisseur vocale), ni Lauretta (scolaire) ne compense cette triste approche du bel canto, et l'on se demande ce qui a prévalu au choix de surexposition de cette cantatrice. Anna Netrebko n'a pas encore les moyens dont on veut nous convaincre, et la comparaison avec Angela Gheorghiu, qui apparaît évidente, reste en sa défaveur, quand bien même Gheorghiu peut sembler surestimée.

Passons sur les partenaires tout à fait indignes (notamment les hommes) d'une production de Deutsche Grammophon dirigée par Claudio Abbado. Peut-être ont-ils été choisis pour mettre en valeur la jeune "diva" ?

Alors, faut-il posséder cet album ? Oui et pour un élément jusqu'ici passé sous silence : Claudio Abbado dirigeant le Malher Chamber Orchestra. Souvent inspiré, habité (à l'exception d'une Traviata assez bruyante et banale), le maestro italien capte toute l'attention de l'auditeur (au détriment d'Anna Netrebko, certes).

Entouré de musiciens remarquables, aux sonorités magnifiques, Abbado signe là un accompagnement orchestral tout à fait remarquable de mon point de vue. Avec un très original traitement de l'orchestre dans le bel canto, il permet d'entendre des instruments généralement noyés dans la mélodie générale, et apporte à ces orchestrations, si souvent décriées, une envergure nouvelle. En l'écoutant dans Sonnambula, on regrette qu'il n'ait pas enregistré l'intégrale de ces piliers du répertoire belcantiste. Introduisant de vrais dialogues voix/orchestre, il nous plonge souvent dans l'esprit du concerto, malgré une voix peu concernée.

Petit bémol tout de même pour certaines coupures ou transitions brutales, voire quelques fins tapageuses. Mais ce n'est que vétille en regard du magnifique tissu orchestral qui capte toute notre attention et délivre enfin (!) une émotion. Pour son chef donc, ce disque vaut le détour. Que n'a t-il en face de lui une Renata Scotto...

Notons enfin que d'une part, le livret est un panégyrique parfois grotesque d'Anna Netrebko avec une interview insignifiante (mais très "tendance") en prime et que cet album est un SACD (et non un CD) , passant donc parfois difficilement sur des lecteurs traditionnels. 


Jean VERNE


Commander ce CD sur  Amazon.fr
Netrebko" target="_blank">

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]