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Claudio MONTEVERDI

L'ORFEO


Livret d’Alessandro Striggio

Furio Zanasi (Orfeo)
Monica Piccinni (La Musica)
Anna Simboli (Euridice, Proserpina)
Sara Mingardo (Messaggiera, Speranza)
Antonio Abete (Plutone)
Sergio Foresti (Caronte)
Luca Dordolo (Apollo)

Concerto Italiano
Direction : Rinaldo Alessandrini

1h43, 2 CDs, Naïve, enr. février 2007




« Ca vous chiffonnerait tant que ça, un Orphée gay ? » Orphée ? ,
Camille Laurens (nouvelle publiée avec le livret)

Orphée est gay ?


Il est des années fastes, où la vendange est double, et le nectar aussi ambré que subtil. 2007 nous prodigue deux crus monteverdiens de très haute qualité : L’Orfeo par Claudio Cavina (Glossa), et celui de Rinaldo Alessandrini. Et les deux interprétations paraissent étonnamment proches, alors que leurs packagings respectifs jouent sur l’ambigüité d’un nouvel objet, le livre-disque.

Si Emmanuelle Haïm (Virgin) avait choisi de faire de l’Orfeo un opéra romantique avant la lettre, Rinaldo Alessandrini, fort de son expérience du compositeur mantouan, a au contraire tiré la partition vers le madrigal et la poésie. Les chœurs échouent aux seuls solistes comme à l’époque, et l’orchestre adopte un effectif chambriste inférieur à celui que la partition gravée spécifie. L’action est fragmentée en tableaux distincts, où les solistes soignent tout particulièrement l’élocution et la polyphonie, n’hésitant pas à ornementer copieusement, et à faire admirer leur maîtrise du mezza di voce, gruppi et trilli. Rinaldo Alessandrini se délecte d’ailleurs dans les notes de programme à détailler les accents, cascades diminuées, diminutions et autres fioritures du temps, avec le même plaisir qu’un Ton Koopman rajoutant de nouvelles appogiatures chez Bach.

Furio Zanasi reprend un rôle qu’il connaît sur le bout des doigts et qu’il avait notamment interprété avec Jordi Savall (DVD Opus Arte). Peut-être la hauteur du diapason y est-elle pour quelque chose, mais son incarnation d’Orphée se révèle ici autrement plus chaleureuse et profonde. Les graves moelleux et stables rendent parfaitement le désespoir altier du demi-dieu, tandis que le phrasé toujours judicieux laisse ça et là entrevoir par un défaut de cuirasse une touchante humanité. Certes, son Possente Spirito ne rivalisera jamais avec la virtuosité sidérante de Nigel Rogers dans la version Jürgen Jürgens de 1974 (Archiv) - que nous continuons inlassablement à rappeler à l’attention de nos plus jeunes lecteurs - mais il s’en dégage une émotion contenue poignante. A ses côtés, les piquantes Monica Piccinni et Anna Simboli séduisent par leur langoureuse sensualité, et la pureté légère de leur timbre. Une carrière de douces chanteuses de jazz pourrait leur tendre les bras… Pour en revenir à nos bergers et à leurs moutons, l’impérieux Pluton d’Antonio Abete devrait songer à faire remplacer le peu convaincant gardien des lieux confié au puissant mais métronomique Sergio Foresti. D’autres rôles déçoivent aussi quelque peu : le timbre de Sara Mingardo est toujours aussi opulent, mais l’artiste paraît singulièrement absente, surjouant une Messagère de récital plus soucieuse de ses ports de voix que du sort de son amie ; transformant l’Espérance en beauté glaciale dictant ses paroles pour la postérité. Enfin, Luca Dordolo se débrouille tant bien que mal avec les coloratures redoutables de son duo apollinien dévalé trop rapidement, et plutôt mal que bien. Et l’un des bergers - dont nous tairons le nom puisque le livret nous les livre tous en vrac – agace par un timbre forcé et strident, à la limite de la justesse.

Heureusement, le Concerto Italiano n’accuse aucune faiblesse et sait se montrer tour à tour ample, lascif, énergique ou timide selon les moments. On louera en particulier la transparence des pupitres, l’inventivité discrète du continuo, et l’austérité grandiose des cuivres. De plus, l’orchestre s’accommode des sautes de tempos très abruptes du chef. Alors que Canina présente une œuvre tendrement équilibrée, Rinaldo Alessandrini tient à secouer l’auditeur en imposant des ruptures inattendues au drame. Le chœur des bergers est ainsi interprété une première fois de façon solennelle, percussions à l’appui, tel un rituel sacrificiel, avant que sa ritournelle ne nous décoiffe par sa folle allure. Plus généralement, le chef paraît décidé de nous en mettre plein les oreilles pour les fanfares, danses et ritournelles, comme pour mieux faire passer les immenses étendues de déclamation madrigalesque après ces bouillonnements sonores. Ce parti-pris systématique est discutable, et porte selon nous quelque peu atteinte à la fluidité de la partition qu’elle segmente artificiellement. Il a le mérite d’injecter une sorte de fougue dialectique, un peu à la manière de Minkowski chez Haendel.

Avant de conclure, touchons un petit mot sur l’objet lui-même : le livre-disque. Format carré, reliure cartonnée, papier semi-glacé et illustrations couleurs, Naïve sort la tenue des grands jours. Hélas, si l’essai musicologique de Rinaldo Alessandrini est succinct et instructif, la longue nouvelle de Camille Laurens (une histoire branchée à l’eau de rose sur fond de discussion monteverdienne) a probablement été griffonnée un jour blafard où l’Espérance avait abandonné l’auteur à son triste sort. Surtout, Glossa avait fait mieux au printemps avec son format petit in-8, demi-reliure toile, papier vergé, édition limitée, qui comportait un ensemble d’articles historiques et musicologiques très complet. Côté livret, on peut tout de même se demander pourquoi personne ne réédite la magnifique traduction de Vincent d’Indy, partiellement en vers.

Pour finir, si cet enregistrement n’atteint pas la luxuriance de Garrido (K 617) et l’âpre détermination d’Harnoncourt (Teldec), il se range sans conteste parmi le panier de tête des Orfeo qu’on a plaisir à réécouter, en dépit de quelques réserves. Les amateurs de cette approche madrigalesque se tourneront également avec bonheur vers le rêveur Claudio Cavina qui offre une alternative toute aussi réussie avec des timbres plus charnus, malgré une vision (encore) plus contemplative.



Viet-Linh NGUYEN



PS : En dépit de l’abondante discographie et filmographie de l’œuvre, on se demande ce que font les sopranistes, quand on sait que les trois représentations de Mantoue en février et mars 1607 firent appel à deux castrats, sans doute pour les rôles d’Eurydice, de Proserpine et de la Musique.




Jean-Philippe THIELLAY




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