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Thomas QUASTHOFF

Franz SCHUBERT (1797-1828)

Die schöne Müllerin
Cycle de lieder d'après des poèmes de Wilhelm Müller

Thomas Quasthoff, baryton
Justus Zeyen, piano

1 CD DGG
Deutsche Grammophon, 00289 474 5052


Meunière, tu dors ?

Non ! Non et non ! Je vous le dis sincèrement Monsieur Quasthoff, vous m'avez déçu ! Moi qui vous avais suivi confiant, ému dans Bach ou Mahler, j'enrage de cette Meunière. Oh ! Certes elle est bien belle et en cela vous respectez scrupuleusement l'intention schubertienne ! Mais enfin, cher Thomas, foin de beauté !

Il y a au moins deux problèmes à résoudre ici. Mais, soyons juste, le premier ne vous revient pas. Il est même du fait de Schubert. Je m'explique : voici un cycle de lieder qui va incroyablement bien aux voix aiguës. Je pense à Wunderlich naturellement, saisi dans son éternelle fraîcheur ; je pense à Haefliger, autrement mûr mais ténor, toujours ; je pense même à "l'ancêtre" Lotte Lehmann, déplacée certes, mais d'une lumière incomparable. Il fallait être Fischer-Dieskau, avec cette voix brillante, cette sonorité irradiante de hautbois pour garder la jeunesse de ce cycle… et lui donner aussi, timbre de baryton aidant, des tons fauves, automnaux nettement plus métaphysiques. Vous êtes, Monsieur Quasthoff, baryton (baryton-basse même, cela se dit et cela s'entend) et ce cycle sera toujours pour vous un peu terra incognita, un costume dans lequel vous rentrez mais au prix de contorsions dommageables.

Car transposer ces lieder les prive d'un peu de brillant (plage 1, Das Wandern), de jeunesse, de ce jaillissement de sève printanière, presque primale attachée à ces portées-ci (plage 11, Mein !).

Vous ne pouvez rien, non plus, à une prise de son qui, privilégiant les graves de votre accompagnateur/complice, épaissit le ton (plage 11 encore ou 17, Die böse Farbe), englue le discours et vous donne des semelles de plomb là où l'on voudrait celles de Mercure !

En revanche, je vous en veux beaucoup du ton même que vous retenez pour votre interprétation. Cela vous le faites de votre propre chef… et vous le faites mal. Vous nous expliquez longuement (et fort bien d'ailleurs) comment un chanteur de lied est condamné à être ou bien docte ou bien naturaliste. C'est mettre dos-à-dos Fischer-Dieskau et Prey, ce que vous êtes en droit de faire (je souscris même un peu à cette opposition). Mais je vous le dis comme je le pense, je me fiche royalement d'une Belle Meunière du juste milieu ! Je n'en veux pas ! Que m'importe votre Jäger (plage 14) juste énoncé, là où Fischer-Dieskau justement, scande, déclame ? Ce choix d'une indécision permanente se reporte d'ailleurs sur le piano de Zeyen. Comme son jeu est compassé, pondéré (tristes syncopes bêtement métronomiques de Am Feierabend, plage 6). Où est le balancement de Wohin (plage 2) et de Des Müllers Blumen (plage 10) ? Pourquoi cette impression de mouvement saccadé, névrotique de Ungeduld (plage 7) ?

Vocalement même, je ne vous retrouve plus, cher Thomas. Je trouve étonnante (au studio surtout) cette chute du legato lorsque vous abordez le grave de Wohin. Je trouve bizarres les aigus ouverts du début de la plage 4 (Danksagung an den Bach). Je trouve même inquiétant le vibrato large et marqué du Neugierige (plage 6) et de Mein.

Vous me trouvez chipoteur. C'est que je vous aime bien, mieux, je vous aime beaucoup et ce depuis longtemps. C'est surtout que je vois de belles pépites agitées au fond du ruisseau de cette Meunière. J'aime le beau moment de tendresse du Morgengruß (plage 8). Je fonds lorsque vous effleurez délicatement, du bout de la voix Mit dem grünen Lautenbande (plage 13). Je frissonne et les larmes me montent aux yeux lorsque vous entamez sur le mode lunaire, d'un legato décharné les Trockne Blumen (plage 18). De toute façon, la fin du cycle est ce que vous réussissez le mieux. On vous y retrouve tout entier à partir de la plage 17, et c'est même ce qui permet de comprendre tout ce qui manque confusément à ce qui précède. Si vous aviez aussi amplement phrasé la plage 12 que vous le faites de Der Müller und der Bach (plage 19) !

Oui je vous en veux finalement, parce que vous méritiez mieux de ce cycle et lui-même méritait mieux de vous. Vous valez plus que la demi-teinte de ces deux étoiles qui ne dit que trop qu'elle est la triste moyenne d'un début lancinant et d'une fin excitante ! Dommage, vraiment !

 
 
Benoît BERGER

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