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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

Requiem, K 626

Conclu par Sigismund Neukomm

Hjordis Thébault, soprano
Gemma Coma-Alabert, mezzo-soprano
Simon Edwards, ténor
Alain Buet, baryton-basse

Kantorei Saarlouis
Chef des chœurs, Joachim Fontaine

La Grande Ecurie et la Chambre du Roy
Jean-Claude Malgoire

1 CD K617



Un coup d’épée dans l’eau


Les œuvres inachevées ont toujours suscité curiosité, fascination et phantasmes.

Le Requiem de Mozart en est un bon exemple. La légende d’un Salieri recueillant les dernières volontés de Mozart mourant est tenace et a encore été entretenue par le film de Milos Forman, Amadeus. En réalité, il n’en est rien, ce serait Franz Xaver Süssmayr qui (d’après Constance et sa sœur) s’entretint avec Mozart de l’achèvement du Requiem. C’était donc lui le mieux à même de compléter l’œuvre après la mort du compositeur. C’est pourtant vers Joseph Eybler que Constance se tourne. Celui-ci renonce après avoir travaillé sur quelques mouvements, tout comme Maxililian Stadler qui travailla sur l’Offertoire, et c’est finalement Süssmayr qui s’attelle à la redoutable tâche.

Souvent adoptée les yeux fermés, cette version fut aussi fortement critiquée pour ses maladresses et ses ajouts considérés par certains comme « hors-style ». De nombreuses révisions ont ainsi vu le jour dont les plus célèbres sont celles de Franz Beyer (il s’agit d’un simple « nettoyage » de Süssmayr, adopté par Bernstein ou Kuijken), celle de Robert Levin (présentant de grandes différences par rapport à Süssmayr, on peut l’entendre dans la version de Donald Runnicles) ou encore celle du musicologue H.C. Robbins Landon (enregistrée par Bruno Weil). Certains autres s’en tiennent pourtant à la version de Süssmayr, comme Nikolaus Harnoncourt ou John Eliot Gardiner qui affiche même dans la notice de son enregistrement un texte intitulé « Les mérites de Franz Xavier Süssmayr » !

Le débat fait donc encore rage autour de cette œuvre emblématique.

Ce que nous propose aujourd’hui Jean-Claude Malgoire n’est pas une nouvelle révision de la version Süssmayr, ni même une nouvelle mouture du Requiem. Il nous fait découvrir, après la version Süssmayr, un mouvement conclusif, Libera me, composé par un musicien autrichien en séjour au Brésil, Sigismund Ritter von Neukomm, en 1819.

Rien n’indique vraiment que Mozart comptait conclure son Requiem par un Libera me, ce verset étant en effet traditionnellement exécuté en plain-chant lors des offices des morts. Mais Mozart composait-il son Requiem pour un office religieux ou bien pour le concert ?... auquel cas, un Libera me aurait effectivement pu couronner l’œuvre. Mais alors n’aurait-il pas aussi composé le Graduale et le Tractus, venant après le Kyrie, eux aussi exécutés en plain-chant ? Pourtant, entre le Kyrie et le Dies Irae, les deux seuls mouvements de la main quasi-exclusive de Mozart, nulle trace de ces mouvements...

Par ailleurs, Mozart aurait fait part à Süssmayr de son souhait de conclure le Lux aeterna par une reprise de la fugue du Kyrie. Ce retour d’un thème entendu au début de l’œuvre n’est-il pas en soi parfaitement conclusif ? Un mouvement supplémentaire n’aurait-il pas été incongru ?

La question de la pertinence de ce Libera me reste donc entière, et l’on a du mal à partager le sentiment de Jean-Claude Malgoire qui dit avoir toujours été « frustré » par la fin de Requiem de Mozart/Süssmayr.

Qu’est-ce qui a donc motivé Neukomm pour la composition d’un Libera me venant couronner une œuvre fort célèbre et, déjà, célébrée ?  Faut-il voir là le geste orgueilleux d’un obscur musicien voulant venir adjoindre son nom à celui de Mozart ?  Par ailleurs, pourquoi n’a-t-il pas composé un Graduale ou un Tractus venant après le Kyrie ?  Pourquoi n’a-t-il pas plutôt retouché le travail de Süssmayr ?

A la question de l’orgueil, il faut sans doute répondre par la négative puisque le compte-rendu que Neukomm fait lui-même du concert où l’on exécuta son Libera me ne dit pas un mot sur son travail. Il semble qu’il ne faille voir là que le geste d’un musicien de son temps (le romantisme naissant) concevant un finale à la mesure de l’œuvre (pas moins de 7 minutes pour ce Libera me alors que les autres n’excèdent guère les 5 minutes).

De là à dire que « l’ultime œuvre de Mozart livre enfin le mystère de sa conclusion » (sic !), il n’y a qu’un pas que le marketing a allègrement franchi. Publicités à sensation en pleine page de journaux et magazines, spot télévisé (grotesque) passant sur France 3, la firme K617, qu’on a connue plus rigoureuse et sérieuse, n’a pas lésiné sur les moyens.

Le jeu en valait-il la chandelle ?

Doublement non.

Non, car ce Libera me n’apporte rien de convaincant. Musicalement, l’écriture est habile mais sans grande inspiration, surtout par rapport aux sommets que Mozart atteint dans les autres numéros de son Requiem (même si on se limite à ce qui est uniquement de sa main, sans les ajouts de Süssmayr). Neukomm fait entendre par ailleurs dans son Libera me des bribes du Dies irae et de l’Introit (le texte l’y invite certes) ce qui fait que, avec la fugue du Lux aeterna qui précède (et qui est une reprise de celle du Kyrie), on a tout de même l’impression d’entendre à la fin de cette version un pot-pourri des plus célèbres mélodies de ce Requiem...

Non, car l’interprétation ne viendra pas bouleverser la discographie, ni même la faire vibrer. Là encore, on a connu le label K617 autrement plus intéressant (pensons ne serait-ce qu’à Gabriel Garrido !). Non pas que Malgoire démérite vraiment (pourtant, ses tempi fort rapides agacent, comme si l’on voulait vite arriver vers le finale de Neukomm), mais que dire d’un orchestre aux cuivres envahissants et aux timbales trop sourdes (jouées avec des baguettes à têtes de tissu et non à têtes en bois), un quatuor de solistes transparent, un chœur, pardon, une chorale, absolument indigne ? (il suffira d’écouter le Confutatis pour être absolument horrifié). N’insistons pas, tout cela frôle le patronage et le coup médiatique.

Pour se rafraîchir les oreilles, on écoutera, côté version traditionnelle, le superbe enregistrement dirigé par Peter Schreier (Philips) et côté version à l’ancienne, l’enregistrement de Gardiner (Philips) ou encore le très intéressant travail de Christophe Spering (Opus 111) qui choisit de faire entendre les pages du Requiem exactement telles que Mozart les a laissées : passionnant !


   Pierre-emmanuel LEPHAY

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