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Gioacchino ROSSINI (1792-1868)

TORVALDO E DORLISKA


Dramma semiserio en deux actes
créé le 26 décembre 1815 au théâtre Valle (Rome)
Livret de Cesare Sterbini

Dorliska : Darina Takova
Torvaldo : Francesco Meli
Duca d’Ordow : Michele Pertusi
Giorgio :Bruno Praticò
Carlotta : Jeannette Fischer
Ormondo : Simone Alberghini

Prague Chamber choir
Chef de chœur : Lubomìr Màtl

Orchestra Haydn di Bolzano e Trento
Direction : Victor Pablo Perez

Enregistrement live au Teatro Rossini, Pesaro, Festival Rossini août 2006

Dynamic Italy (B000NOKA26)
Durée : 151 minutes




Un opera semiserio… semi réussi

Torvaldo e Dorliska, créé entre l’opera seria Elisabetta Regina d’Inghilterra (octoble 1815) et Il Barbiere di Siviglia (février 1816) (1), relève d’un genre peu exploité par Rossini : le dramma semi-serio. Ce dernier se caractérise entre autres par l’irruption d’éléments bouffes, ici le personnage burlesque de Giorgio, gardien du château, au sein de situations dramatiques.

L’intrigue est typique de l’opéra de sauvetage, dont le plus célèbre représentant est Fidelio. L’action se déroule dans un pays nordique indéterminé. Giorgio attend son maître, le cruel duc d’Ordow, parti en expédition secrète afin d’assassiner Torvaldo dont il convoite l’épouse, la belle Dorliska.

Par hasard, Dorliska, qui a réussi à s’enfuir, frappe à la porte du château du duc. Elle comprend rapidement son erreur, mais trop tard, le duc s’aperçoit de sa présence et la fait enfermer, après lui avoir annoncé la mort de son époux.

Torvaldo, qui est en réalité sain et sauf, s’introduit à son tour dans le château, ayant appris la capture de sa femme. Il se fait passer pour le porteur d’une lettre écrite par Torvaldo avant sa mort, selon laquelle Torvaldo agonisant pardonne au duc sa trahison et exhorte Dorliska à épouser ce dernier. Le stratagème fonctionne et le duc introduit le voyageur inconnu auprès de Dorliska. Malheureusement, à la voix de son mari, Dorliska pousse un cri révélant ainsi la supercherie au duc. Ce dernier, furieux, fait emprisonner Torvaldo, en attendant son exécution. Giorgio est cependant décidé à livrer le duc à la justice et Dorliska parvient à le convaincre de lui confier la clef de la prison afin de rejoindre son époux, malgré l’interdiction formelle du duc. Celui-ci découvre le complot, mais il est trop tard, la foule emmenée par Giorgio met fin à ses agissements funestes.

Cette œuvre est une rareté sur scène, mais il convient de noter que deux enregistrements sont sortis récemment coup sur coup (2), comblant ainsi une lacune de la discographie rossinienne. Comme le notait Brigitte Cormier dans son compte rendu des représentations à Pesaro, si l’œuvre n’a pas connu un grand succès lors de sa création et fut même qualifiée de « médiocre » par Stendhal, elle est en réalité très séduisante, enchaînant avec brio des airs aux accompagnements instrumentaux variés (3) et des ensembles très réussis.

Cet enregistrement est le témoignage de cette recréation de l’œuvre au festival Rossini de Pesaro en été 2006. Cette production affichait une distribution alléchante, réunissant des chanteurs habitués des lieux et du compositeur.

D’où vient alors cette petite déception à l’écoute du disque ?

Tout d’abord peut-être du son de l’enregistrement, un peu sourd, manquant de brillant. On serait prêt à accepter cette perte de qualité sonore si, en contrepartie, on ressentait une véritable excitation due à la scène et au live. Il manque ici cette pointe de folie qui ferait vraiment décoller le spectacle, la faute à la direction d’orchestre un brin trop sage de Victor Pablo Perez.

L’orchestre n’est pas seul responsable. L’enregistrement donne à entendre des imperfections qui pouvaient sans problème passer inaperçues sur scène, mais qui gênent davantage au disque en démontrant que si les interprètes sont rompus aux exigences de l’écriture rossinienne, ils n’ont pas pour autant forcément le format vocal idéal.

Michele Pertusi est actuellement la basse à tout faire du répertoire rossinien et belcantiste en général… Que ce soit en Italie ou en France, il semble de toutes les distributions (4)… Il est incontournable ! Le disque donne une image plutôt flatteuse de sa voix claire à la vocalisation facile. Le chanteur est de plus très engagé, mais on ne peut s’empêcher de regretter que cette clarté du timbre, cette absence de rugosité prive l’incarnation d’une part de noirceur qui siérait à ce personnage maléfique.

La deuxième basse de l’enregistrement est le personnage de Giorgio interprété par Bruno Pratico. Son timbre bien différencié de celui de Michele Pertusi fait merveille dans ce rôle bouffe. Pourtant l’air d’ouverture de l’opéra met en évidence une voix un peu usée, au vibrato marqué, défauts qui se font rapidement oublier devant l’abattage comique du chanteur.

La Dorliska de Darina Takova séduit d’abord par son timbre charnu. Cette première impression flatteuse ne peut cependant masquer, dans son premier air, « Tutto e vano », une certaine placidité dans la caractérisation du personnage, mais aussi un manque d’aisance dans les suraigus et les passages plus virtuoses du rôle. Pourtant l’air de l’acte 2, « Ferma, constante, immobile », la montre sous une lumière plus flatteuse, allégeant efficacement sa voix, elle semble beaucoup plus à l’aise dans ses vocalises.

On pourrait exprimer les mêmes réserves, dans une moindre mesure, vis-à-vis de son Torvaldo. On a pu entendre Francesco Meli dans d’autres ouvrages depuis ce Torvaldo e Dorliska, notamment en Elvino de la Somnambula aux côtés de Natalie Dessay au Théâtre des Champs Elysées ou en Percy d’Anna Bolena avec Mariella Devia à Vérone, autant d’occasion d’apprécier sa voix puissante, au timbre séduisant, son chant élégant et nuancé.

On retrouve dans cet enregistrement une partie de ces qualités, mais le timbre semble un peu plus monocorde et, surtout, son émission n’a pas la souplesse requise pour totalement convaincre. Rien de rédhibitoire, mais on a envie de l’entendre dans d’autres répertoires, notamment le bel canto romantique, qui semble mieux convenir à la voix de ce jeune artiste prometteur.

Peut-être attendait-on trop de cet enregistrement pour ne pas être un peu déçu ? Mais au final, ce disque est une très agréable découverte et se révèle indispensable pour tout amoureux de Rossini.


Antoine BRUNETTO


Notes
(1) Avec qui il partage d’ailleurs le même librettiste.
(2) Le second enregistrement dirigé par Alessandro de Marchi est sorti chez Naxos.
(3) On peut citer le très bel air de la folie chanté par le duc à la fin de l’œuvre.
(4) Semiramide au Théâtre des Champs Elysées, la Somnambula au Châtelet, Anna Bolena à Vérone pour ne citer que quelques spectacles récents.


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