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SAMSON ET DALILA

Camille SAINT-SAËNS

Opéra en trois actes
sur un livret de Ferdinand Lemaire

Placido DOMINGO ( Samson)
Olga BORODINA (Dalila)
Sergei LEIFERKUS (le Grand Prêtre)
Richard Paul FINK (Abimelech)
René PAPE (un vieillard hébreux)

Mise en scène : Elijah MOSHINSKY
Décors et costumes : Richard HUDSON

Orchestre et choeurs du Metropolitan Opera
Direction : James LEVINE

Enregistré le 28 septembre 1998

1 DVD DG 00440 073 0599


Cet enregistrement a pour vocation première de fêter le 30e anniversaire des débuts au Met de Placido Domingo (c'était en 1968, en Maurizio, face à l'Adriana Lecouvreur de Renata Tebaldi) et nous verrons à l'issue de la représentation le ténor espagnol, très ému, chaleureusement honoré par la première scène lyrique américaine et la ville de New York. Trois décennies ont passé, pendant lesquelles Domingo s'est affirmé comme l'une des personnalités irremplaçables de la scène lyrique. Le temps a laissé quelques traces sur cette vocalité généreuse, mais sans altérer la miraculeuse jeunesse du timbre ni rien retirer à l'exceptionnel investissement scénique de l'artiste. Samson est l'un des rôles qu'il s'est appropriés ces dernières années, à la scène comme au disque, et qui correspondent le mieux à sa tessiture ainsi qu'à ses moyens actuels. C'est autour de son interprétation que la production d'Elijah Moshinsky avait été créée en février 1998. Pour cette reprise, quelques mois plus tard, Olga Borodina succédait à Denyce Graves en Dalila, tandis que le Met s'offrait le luxe d'un René Pape en vieillard hébreu.

Le spectacle proposé par Moshinsky réussit à renouveler l'imagerie de l'ouvrage, sans tomber dans la provocation gratuite ou le mauvais goût. Au-delà d'une approche dramaturgique et d'une direction d'acteurs des plus conventionnelles, on en retiendra en effet la qualité visuelle, et en particulier quelques images fortes : l'arrivée d'Abimelech et des Philistins qui semblent appartenir à quelque primitive tribu africaine, l'entrée des Philistines, la diagonale rouge dans laquelle apparaît au troisième acte Samson attaché à sa meule, le superbe tableau sacré dressé par les danseurs alors que s'élève le coeur des Philistins... Le décorateur et costumier Richard Hudson apporte bien entendu une contribution essentielle à la construction de cet univers pictural avec un dispositif d'une sage abstraction, qui ose des couleurs franches pour caractériser les Philistins et que complètent les éclairages savants de Duane Schuler. Le troisième acte, très chorégraphique, culmine dans une bacchanale très réussie. Graeme Murphy la transforme en une sorte de rite de fécondité, intrigant, séduisant, originel et tribal. A l'arrivée, cette production de facture traditionnelle mais d'une grande recherche se révèle un vrai plaisir des yeux.

Le Samson intense de Placido Domingo est trop bien connu aujourd'hui pour que son interprétation puisse nous surprendre. Dire qu'il reste égal à lui-même revient à décerner un brevet d'excellence. L'écriture du rôle ne lui pose aucun problème, tandis que son énergie et son engagement généreux appellent une adhésion sans réserve. On reste admiratif devant l'éternelle jeunesse de cet artiste d'exception, indiscutablement le Samson de sa génération, comme on l'est devant l'art de sa partenaire. Alors que tant de mezzos, et non des moindres, sous prétexte de sensualité, ont campé des Dalila d'une insupportable vulgarité, Olga Borodina parvient à camper la séductrice biblique de façon crédible sans renoncer en rien aux exigences du beau chant. C'est en véritable musicienne en effet qu'elle détaille "Printemps qui commence" avec de somptueux piani et un parfait contrôle du souffle. Scéniquement radieuse, elle apporte à Dalila une grande sensualité, avec des accents ensorcelants et des aigus triomphants et, comme Samson, nous succombons sans réserve aux sortilèges de son timbre pulpeux.

Sergei Leiferkus possédait sans doute un certain impact sur le vif, mais son interprétation méritait-elle d'être léguée à la postérité ? Sa trivialité d'accent transforme le grand prêtre en un traître de vaudeville et, à l'écoute de ce chant sommaire, on ne peut s'empêcher de se demander où pouvaient bien être ce jour-là Jean-Philippe Lafont et Alain Vernhes. En revanche, j'ai apprécié l'Abimelech de Richard Paul Fink, très convaincant et débarrassé de cette noirceur trop uniforme qui caractérisait son Klingsor parisien. René Pape est bien chantant mais sa jeunesse ne lui permet pas d'apporter toute leur dimension aux apparitions du vieillard hébreu. 
James Levine nous livre une lecture très professionnelle, équilibrée, précise, qui met en valeur le moindre détail d'orchestration mais à laquelle manque cependant un rien de vigueur et de d'accentuation des contrastes. Cette direction ciselée et parfaitement maîtrisée paraît en effet parfois trop parfaitement dosée, gommant ce que la partition peut comporter de violent, par exemple dans les cordes du prélude. Mais ce sont là réserves minimes, et l'on souhaiterait à l'Opéra de Paris un directeur musical de cette pointure. Ajoutons que les choeurs du Met se montrent une fois de plus irréprochables, en dépit d'une prononciation légèrement exotique, dans un ouvrage qui les élève au rang de protagoniste ; on se souviendra ainsi du choeur des lamentations s'élevant dans la pénombre. Le ballet, omniprésent au troisième acte, est pareillement à son avantage.

Les captations du Met sont décidément une bénédiction pour ceux qui veulent voir et entendre des distributions prestigieuses dans des mises en scène cohérentes et respectueuses. Celle-ci ne fait pas exception à la règle, c'est une soirée mémorable comme on en voit peu de ce côté de l'Atlantique, où peu de représentations allient un tel niveau d'aboutissement artistique et un réel esprit festif.
  


Vincent DELOGE




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