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"Tragédiennes"

Lully Armide
« Enfin il est en ma puissance »
Ouverture
« Venez, venez, Haine implacable »
Passacaille

Campra Le Carnaval de Venise
« Mes yeux, fermez-vous à jamais »

Rameau Hippolyte et Aricie
Prélude Acte III
« Cruelle mère des amours »
Chaconne

Rameau Castor et Pollux
« Tristes apprêts »
Chaconne

Les Fêtes de Polymnie
« Que ses regrets m'ont attendrie »

Mondonville Isbé
« Désirs toujours détruits »

Leclair Scylla et Glaucus
Ouverture
« Et toi, dont les embrassements »
« Brillante fille de Latone »
Airs des démons

Royer Le Pouvoir de l'Amour
« L'objet qui règne dans mon âme »

Royer Zaïde
« Dieu des amants fidèles »

Gluck Iphigénie en Aulide
« Dieux puissants que j'atteste... Jupiter lance la foudre »

Gluck Armide
« Enfin il est en ma puissance »

Véronique Gens, soprano
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset

Durée : 70'05
Enregistré du 11 au 15 juin 2005 à Paris, Eglise ND du Liban
1 CD Virgin Classics 00946 346762 2 9



Rigueur et beauté

Lorsque le timide soprano du trio d'Atys devint, sous la direction de Christie, Rousset et Minkowski, la plus exquise des héroïnes de tragédies lyriques, on pensait que le papillon était enfin sortie de sa chrysalide. Qui aurait pu prévoir que cette sublime Aricie, cette délicate Phébé pourrait également être un jour la plus touchante des Phèdres, la plus envoûtante des Télaïres, et surtout la plus fascinante des Armides !

Que ce soit celle de Lully ou de Gluck, on n'avait entendu monologue aussi terrifiant, nuancé, bouleversant, malgré une discographie qui n'est pourtant pas avare en remarquables réussites. Dans l'air « Venez, Haine implacable », Véronique Gens n'hésite pas à enlaidir certains sons, guidée par la fureur et la passion du personnage et son instinct de musicienne. Au contraire, elle ose dans le « Venez secondez mes désirs » de Gluck une lenteur qui souligne la délectation et l'ivresse avec laquelle la magicienne s'abandonne à la passion amoureuse. Un legato que l'on croyait réservé à la musique italienne, dénué de toute haine vengeresse, qui hisse ainsi Armide au rang des plus douces amantes de la tragédie en musique.

Pourtant, malgré la véhémence de l'incarnation et la fureur des passions, ce disque semble le plus abouti et le plus raisonné des récitals de la soprano français. La fréquentation des récitatifs mozartien et debussiste, et plus généralement d'autres répertoires, a permis à Véronique Gens de porter un regard neuf sur cette musique qu'elle a servie pendant des années. Un recul artistique et esthétique qui lui permet à la fois une plus grande maîtrise technique et rhétorique en même temps qu'une totale liberté vis à vis des partitions qu'elle aborde. Aurait-elle osé, il y a dix ans, ces ports de voix répétés dans les airs d'Isbé et de Zaïde ? Et les discrets, mais poignants, effets, qu'elle s'interdisait jusqu'à présent, trop soucieuse d'un chant lissé, droit, propre dans ses moindres ornements ?

Le travail opéré par Gens et Rousset est dans une certaine mesure comparable à celui effectué par Dominique Blanc et Chéreau sur la Phèdre racinienne : retrouver l'essence humaine qui se cache derrière la forme immuable et figée du genre. Mais si pour ce faire, Chéreau déstructurait totalement l'alexandrin, les musiciens du présent enregistrement au contraire respectent scrupuleusement la rhétorique classique et la poussent à bout pour en faire jaillir l'humanité qu'elle renferme. Et l'on se surprend à penser que peut-être les torrents de larmes que le public du XVIIIème siècle déversait à l'écoute de ces oeuvres n'étaient pas seulement le fait d'une sensiblerie à fleur de peau mais bien la preuve de la force cathartique de tels ouvrages.

Un disque qui, discrètement, à l'image de la carrière de Véronique Gens, s'impose par sa rigueur et sa beauté comme l'un des plus beaux consacré à ce genre.



   Sévag Tachdjian

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