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Richard STRAUSS (1864-1949)

SALOMÉ

Enée, Placido DOMINGO
Cassandre, Jessye NORMAN
Didon, Tatiana TROYANOS
Chorèbe, Allan MONK
Narbal, Paul PLISHKA
Iopas, Douglas AHLSTEDT
Ascagne, Claudia CATANIA
Anna, Jocelyne TAILLON
Panthée, John CHEEK
Hylas, Philip CREECH
Priam, John MACURDY
L’ombre d’Hector, Morley MEREDITH
Hélénus, Robert NAGY
Deux soldats troyens, John DARRENKAMP et James COURTNEY
Mercure, Julien ROBBINS
Hécube, Barbara CONRAD
L’ombre de Priam, James COURTNEY
L’ombre de Chorèbe, Allan GLASSMAN
L’ombre de Cassandre, Jean KRAFT
Un soldat troyen, Vernon HARMAN


Orchestre et Choeurs du Metropolitan Opera
Direction musicale, James LEVINE

Mise en scène Fabrizio MELANO
Costumes et décors, Peter WEXLER

Réalisation, Brian LARGE

Enregistré au Metropolitan Opera de New York, octobre 1983

2 DVD DG, 00440 073 4310 (juin 2007)
250’ – Pas de bonus



Troie ? Carthage ? Rome ! Rome immortelle !


Grand opéra à la française ou tragédie lyrique héritière de Lully, de Rameau et du dernier Gluck comme le soutient John Eliot Gardiner (1) ? Le Metropolitan a choisi la première option et fait de ces Troyens, donnés en cinq actes et en une soirée, une impressionnante démonstration de force, grâce à une luxueuse distribution avant tout et à la mobilisation de toutes les ressources de la scène new-yorkaise (ballets, casques à plumes, décors tournants…). La chose, en 1983, est au demeurant remarquable : faut-il redire que Paris a dû attendre 2003 et le spectacle produit par le Châtelet et le Grand théâtre de Genève
(2) pour apprécier ces quelque quatre heures de musique, « chef d’œuvre de l’art lyrique français » (3) ?

Ce DVD
(4) est l’écho de soirées historiques de la saison du centenaire du Met, à  l’automne 1983, reprises de la création in loco des Troyens, dix ans auparavant. En 1973, Enée était Jon Vickers et Shirley Verrett assumait les deux principaux rôles féminins, avant que Christa Ludwig lui succède en Didon la saison suivante. Hasard sans doute, c’est exactement vingt ans plus tard, en 1993, qu’une nouvelle reprise a été proposée avec Gary Lakes, Maria Ewing (Didon) et Thomas Hampson en Chorèbe. Pas beaucoup de Français dans le tas, à part Françoise Pollet en Cassandre dans cette dernière reprise.

L’absence de francophones est, disons-le tout de suite, un des handicaps de cette production de 1983. Placido Domingo est souvent incompréhensible (les valeureux « Troyens » deviennent les « troians » qui ont beaucoup de « cor »..) tout comme Paul Plishka, tandis que leurs deux partenaires féminines s’en sortent mieux mais sans éliminer une désagréable impression d’extranéité.

Sur le plan scénique, le metteur en scène italien Fabrizio Melano se coule parfaitement dans la tradition du Met : aucune surprise, ni bonne, ni mauvaise. Les enjeux publics et privés du drame sont bien mis en valeur, dans une grande fidélité au livret. Aucune transposition ici, aucune audace : les soldats bien statiques sont armés et casqués ; les vierges effarouchées autant qu’évanescentes. On pourrait presque s’étonner, dans ce contexte un rien poussiéreux, de l’entrée du cheval, réduit à un squelette de dragon peu spectaculaire ! Quant au drame, avec les monstres sacrés qui composent l’affiche, le travail du metteur en scène a dû être facilité. Côté foules, le suicide des vierges troyennes comme les mouvements de soldats sont rendus avec efficacité, mais l’ensemble a vieilli. Rien des ballets originaux, rendus dans leur quasi intégralité, ne nous est épargné et le grotesque n’est souvent pas loin (entrée des corps de métiers au deuxième acte).

Les deux décors de Peter Wexler sont là encore efficaces. Pour Troie, guerrière et agressive, ont été bâties des tours verticales qui peuvent être déplacées en disposition semi-circulaire, en particulier pour laisser aux craintes de Cassandre un espace à sa taille, le réalisateur du DVD Brian Large dégageant ici et là les expressions des visages en gros plans ; pour Carthage,  « plus féminine et plus lyrique », selon Wexler, a été choisie une plate forme ronde, avec de grandes tentures ovales dans le fond, plutôt réussie.

Dans cet écrin on ne peut plus traditionnel, les chanteurs se livrent à fond.

Jessye Norman d’abord : habituée du rôle de Cassandre dans lequel elle avait débuté en 1972 à Covent Garden, elle est hallucinée et hallucinante au sens propre du terme. Sa voix, énorme et contrôlée à la fois (duo avec Chorèbe), paraît au zénith et sa présence scénique en fait une Cassandre idéale. Son Chorèbe est le baryton canadien Allan Monk. Peu connu en Europe du fait d’une carrière essentiellement nord américaine, il assure crânement le rôle et se montre un partenaire solide, mais sans grand relief.

Placido Domingo est un Enée d’exception dans tous les sens du terme. S’inscrivant difficilement du fait de ses qualités mêmes dans la lignée des ténors à la française, il escamote les parties élégiaques du rôle au profit d’une conception très « Heldentenor » qui s’appuie sur des aigus magnifiques. Ovationné après ses « Inutiles regrets », Domingo campe, à 42 ans, un Enée particulièrement excitant, à la mode du Met. Voyez son entrée dans Carthage qui fait songer à Otello. Aucun problème avec cet Enée-là : les troupes troyennes et tyriennes seront galvanisées. Mais l’inconfort relatif du rôle conduira le ténor espagnol à – sauf erreur – ne plus le reprendre sur scène. Plus langoureux, ses duos avec la Didon de Tatiana Troyanos sont des moments rares où les deux voix se mêlent à merveille et leur « nuit d’ivresse » dégage une sensualité brûlante.

Retrouver la mezzo américaine pour cette soirée, exactement dix ans avant sa mort, est assez émouvant. Le rôle de la reine tyrienne lui va bien, à la fois dans les vocalises de son air d’entrée (« Chers Tyriens ») et dans sa mort qu’elle chante comme un long lied (« Adieu fière cité »).

Le reste de la distribution est solide, avec des mentions spéciales pour Paul Plishka en ministre de Didon et pour Jocelyne Taillon – la francophone de l’étape – en Anna.

Last but not least, le maître des lieux, James Levine, laisse éclater, pendant ces quatre heures, son amour pour Berlioz, qu’il fait sonner très moderne, notamment dans la chasse royale et orage, heureusement donnée sans ballet. Les quintettes, sextuors et autres ensembles sont au point et portent une belle force dramatique (notamment au I « Châtiment effroyable … Laocoon, un prêtre »).

Au total, un DVD dans la meilleure tradition du Met, précieux témoignage de stars donnant le meilleur d’elles-mêmes dans le grand opéra de Berlioz et son univers … qui reste largement étranger à la plupart des interprètes de cette production. Grâce à Levine et aux trois solistes, il vient toutefois prendre dignement sa place dans une « DVDgraphie » encore très réduite, aux côtés de la version parisienne de 2003 (5) sans doute plus créative.

Jean-Philippe THIELLAY


Notes
(1) Voir les articles consacrés aux Troyens dans le dossier consacré à Berlioz par Forum Opera
(2) et la critique des Troyens au Châtelet.
(3) Termes d’Albéric Magnard dans « Le Figaro », le soir de la création de l’intégrale à Karlsruhe en 1890.
(4) Sorti en VHS en 1998 et en DVD en 2002, sous label Pioneer Entertainment, mais seulement en Région 1 (Amérique du Nord).
(5)  www.forumopera.com/critiques/troyens_dvd.htm



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