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Claudio MONTEVERDI (1567 – 1643)

IL RITORNO D’ULISSE IN PATRIA

Dramma per musica in un prologo e tre atti
Sur un livret de Giacomo Badoaro (d’après Homère)
Arrangement musical : Nikolaus Harnoncourt

L’humana Fragilità - Ulisse : Werner Hollweg
Il Tempo : Werner Gröschel
La Fortuna - Giunone : Renate Lenhart
Amore : Klaus Brettschneider
Soliste du Tölzer Knabenchor

Giove : Jozsef Dene
Nettuno : Hans Franzen
Minerva : Helrun Gardow
Penelope : Trudeliese Schmidt
Telemaco : Francisco Araiza
Antinoo : Simon Estes
Pisandro : Peter Straka
Anfinomo : Paul Esswood
Eurimaco : Peter Keller
Melanto : Janet Perry
Eumete : Philippe Huttenlocher
Iro : Arley Reece
Ericlea : Maria Minetto
Feaci    : Werner Gröschel, Paul Esswood
Fritz Peter, Orlando Montez

DAS MONTEVERDI ENSEMBLE
DES OPERNHAUSES ZÜRICH
Direction : Nikolaus Harnoncourt

Mise en scène et décors : Jean-Pierre Ponnelle
Costumes : Pet Halmen

2 DVD Deutsche Grammophon 00440 073 4268




UN RETOUR UN PEU DIFFICILE…


S’il semble indiscutable encore aujourd’hui que Jean-Pierre Ponnelle et Nikolaus Harnoncourt firent œuvre de pionniers lorsqu’à la fin des années 70, ils entreprirent de monter à l’opéra de Zürich, puis de filmer, trois ouvrages majeurs de Monteverdi, il est clair que, depuis, d’autres lectures les ont montrées sous un jour fort différent et souvent plus passionnant encore…

Et si, avouons-le, nous attendions beaucoup de cette réédition, il semble bien qu’elle se révèle finalement un peu décevante, sauf peut-être pour L’Incoronazione di Poppea, chef-d’œuvre plus proche de nous, sans doute…

Pour ce Retour d’Ulysse, le résultat est d’autant plus mitigé que, paradoxalement, la représentation des dieux, des allégories et des personnages secondaires est fort bien vue et souvent même très réussie, ce qui n’est pas tout à fait le cas pour les protagonistes, à savoir le couple royal formé par Ulysse et Pénélope. …

Pourtant, les décors grandioses, les costumes, somptueux, les maquillages en tout point formidables, les éclairages savants, la communication permanente entre la fosse et la scène et la lecture vigoureuse, voire décapante d’Harnoncourt, constituent autant d’éléments favorables à l’épanouissement de tous les interprètes. Certes, Werner Hollweg, (1) qui chante le rôle d’Ulysse et aussi « L’humaine fragilité » – ce qui n’est pas un hasard, eu égard au charisme qui se dégage de toute sa personne – est magnifique de style et de justesse, alors qu’on peut s’interroger sur le choix de Trudeliese Schmidt pour Pénélope.

Coiffée d’une longue perruque blanche qui lui dévore le visage et revêtue d’une robe – également blanche – un peu large et informe dissimulant la quasi totalité de son corps, cette dernière est plus proche du zombie que de la reine éplorée ; et son maquillage blafard n’est pas sans la faire ressembler quelque peu à Barbara Steele, grande diva du film fantastique, la sensualité et le charme en moins, hélas.
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De fait, cette représentation de Pénélope nous semble quelque peu discutable… Certes, si le Couronnement de Poppée exalte le sexe, le pouvoir et le meurtre, le Retour d’Ulysse est plutôt un hymne à la vertu et à l’amour conjugal. On y tue pourtant (les prétendants) et on s’y suicide (Iro), … Est-il pour autant nécessaire de donner de la fidélité en amour une vision aussi négative et réductrice, comme si celle-ci n’était pas une vertu, mais une tare, qui mène irrémédiablement tout droit au tombeau ?

Or, des Pénélope, nous en avons vu et entendu d’autres, et en tête Janet Baker à Glyndebourne, qui en livra une tout autre lecture, toute de noblesse, d’autorité et d’attente mélancolique et avec un art du chant infiniment plus convaincant… Car, comble de la désolation, l’hallucinée possède peu de projection et une voix blanche qui s’inscrit en creux, avec une absence quasi totale de couleurs. C’est d’autant plus regrettable que l’expression des affetti et la mise en relief du texte constituent la base même de ce fameux « recitar cantando » qui caractérise la musique de toute cette époque et en particulier celle de Monteverdi. Quand on sait quelles belles prestations la regrettée Trudeliese Schmidt nous offrit dans Mozart (Sesto, Idamante), on se demande s’il ne s’agit pas d’une erreur de casting, plutôt surprenante chez Ponnelle, qui connaissait pourtant bien les voix…

Pour le coup, ce choix plombe les rencontres Ulysse/Pénélope, et en particulier le duo final, pourtant sublime, qu’on a connu autrement extatique avec d’autres chanteurs, et qui, dans cette version, est d’une grande platitude, comme édulcoré, on y on cherche en vain la joie des retrouvailles…

De ce fait, face à une Pénélope aussi morne, la délicieuse Janet Perry qui chante Melanto, s’inscrit en majesté. Incontestablement, l’incarnation de la féminité triomphante, c’est elle, et non la reine sinistre dont elle est la suivante. Cette ravissante et lumineuse artiste, dotée d’une voix fruitée et chatoyante qui fit merveille dans Mozart (elle fut aussi l’Adèle d’une inoubliable Fledermaus sous la direction de Carlos Kleiber) rayonne littéralement de fraîcheur insolente et de charme, tout comme le Télémaque du tout jeune Araïza, au timbre fort séduisant…

Saluons encore l’Iro tout bonnement hallucinant d’Arley Reece, l’Ericlea haute en couleurs de Maria Minetto, truculente nourrice et la formidable Junon de Renate Lenhart…

Certes, on pourra regretter une utilisation souvent trop marquée du comique et du grotesque, qui a pour fâcheux inconvénient de dénaturer quelque peu la charge poétique pourtant présente dans l’œuvre, et de rendre ridicules des personnages qui ne devraient pas l’être (par exemple, les prétendants éconduits sont très – trop –tournés en dérision). De la même manière, certains effets qui, vus de la salle, pourraient être réussis, paraissent, sans le recul salutaire de la scène, et avec les gros plans, assez lourds et appuyés.

Reconnaissons cependant qu’avec ses qualités et ses défauts, ce document a le mérite d’exister et qu’il constitue un témoignage essentiel sur le formidable travail mené par Ponnelle et Harnoncourt.

Et si, après Janet Baker, Vesselina Kasarova et Mariana Mijanovic (2) nous ont paru infiniment plus convaincantes en Pénélope que Trudeliese Schmidt, force est de constater que cette dernière, retrouvant Ulysse à la fin de l’opéra – se met aussi, ô miracle – à retrouver un peu de voix…

Il était temps…



   Juliette BUCH


Notes

(1) Werner Hollweg est décédé récemment.
(2) Les versions où elles chantent Pénélope sont disponibles en DVD. 


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