C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
...
......
Antonio Vivaldi (1678-1741)

Stabat Mater RV 621 pour alto et cordes (18 : 14)
Nisi Dominus RV 608 pour alto et cordes (21 : 12)
Longe mala, umbrae, terrores
motetto in ogni tempo pour alto et cordes (15 : 58) 
Total : 55 : 25

David Daniels, contre-ténor
Europa Galante, direction Fabio Biondi

2001 ? DDD ? Notices en allemand, anglais et français, 
Texte chanté en latin, allemand, anglais et français 
CD Virgin Classics 7243 5 45474 2 3



David Daniels est un chanteur lyrique à part entière, le fait est assez rare parmi les contre-ténors pour être souligné. Il en a les moyens et surtout le tempérament. La voix n'est pas très puissante, mais bien projetée, longue et homogène, la technique solide et le chant frémissant, habité. La "Marilyn Horne des contre-ténors" [sic] brûle les planches et électrise les salles, comme en témoignent le triomphe remporté par ses Rinaldo et Giulio Cesare. Son incarnation fiévreuse et ambiguë de Nerone (L'Incoronazione de Poppea) aux côtés d'Anna Caterina Antonacci (FARAO live) ou le Didymus affolant de sensualité et de pure beauté vocale capté sur le vif à Glyndebourne (vidéo de Theodora) comptent parmi les trésors que plus d'un mélomane chérit jalousement. Les fans du chanteur seront les premiers à vouloir acquérir ce nouveau disque, suivis de près par le cercle plus restreint, mais non moins acharné, des collectionneurs des Stabat et Nisi Dominus du Prêtre Roux dont l'abondante discographie ne cesse de croître ? l'intégrale Vivaldi menée par le King's Consort vient de s'enrichir du Nisi Dominus de Nathalie Stutzmann.

Après un tel éloge, vous devez vous attendre à une surenchère dans la louange ou, au contraire, à une réserve de taille ... Je ne vous ferai pas languir plus longtemps : cet enregistrement déconcertant, irritant à bien des égards et malgré quelques beaux moments, décevra sans doute davantage le vivaldien que le fan de David Daniels, forcément plus indulgent. Les réussites du contre-ténor ne se limitent pourtant pas à l'opéra : sa musicalité rayonne avec un égal bonheur dans des pages aussi différentes que l'onirique et suave Nacht und Träume de Schubert et le poignant Infirmata vulnerata d'Alessandro Scarlatti (respectivement chez VIRGIN et CONIFER CLASSICS), mais la spiritualité s'appréhende sans doute plus difficilement. Faut-il passer son chemin, sans bourse délier ? Si vous aimez vraiment Vivaldi et/ou David Daniels, laissez glisser votre regard jusqu'au dernier paragraphe, puis jeter une oreille chez un disquaire complaisant sur la plage vingt et une ...

Alors que la plupart des chefs étoffent les effectifs, Fabio Biondi opte pour l'accompagnement original : a priori, le quatuor d'archets et la basse continue créent un cadre intimiste, propice au recueillement et à l'intériorité du soliste. Dans la version mythique publiée par DECCA, Hogwood réservait à la voix un traitement essentiellement instrumental, rencontrant d'ailleurs l'humilité (ou la facilité, diront les mauvaises langues) de James Bowman, qui n'a jamais considéré la sienne autrement; Biondi emprunte le chemin inverse et humanise les instruments, incroyablement chaleureux, expressifs et dont le cantabile devrait se marier idéalement à la déploration du chanteur ... Devrait, car ce qui frappe, dès les premières notes, ce n'est pas la justesse de l'expression, mais le chant appuyé, emphatique de David Daniels. Son timbre offre peu de séduction dans le grave, en l'occurrence largement sollicité, c'est sans doute la raison pour laquelle il cherche à grossir et assombrir sa voix, mais il semble également vouloir faire un sort à chaque note comme s'il n'avait pas développé sa propre vision de l'oeuvre et craignait de passer à côté d'une intention. Cette affectation se rappelle constamment à l'auditeur et l'empêche d'entrer dans la musique.

Une tendre inflexion (et dolentem, plage 1 : 0 ' 56) nous y plonge, mais l'inspiration est fugace et s'évanouit alors que des ornements joués par l'Europa Galante (qui n'a jamais si bien porté son nom !) apportent une touche de frivolité totalement déplacée et qui achève de nous dérouter. Même avec la meilleure volonté du monde, Fabio Biondi ne résiste pas longtemps à son penchant pour l'excentricité et imprime sa griffe à la partition : qu'apportent ces coups d'archet volontairement hideux et agressifs dans l'Eja Mater ? ou ce trille instable sur le point d'orgue du Fact ut ardeat ? Autant d'agaceries gratuites et qui paraissent surajoutées. Gérard Lesne a signé une lecture sensuelle et raffinée du Stabat Mater que d'aucuns ont jugée précieuse, mais ses embellissements se fondaient dans une lecture cohérente et assumée.

Tessiture oblige, la voix s'allège et s'épanouit dans le Nisi Dominus, plus impliqué, mais aussi moins accompli vocalement. Les pages virtuoses surprennent le chanteur en difficultés avec une vocalisation qui manque de souplesse et de netteté et un souffle court : quitte à tricher, autant le faire avec habileté, la qualité de la prise de son ne devrait pas trahir les raccords (Amen à 1'02) ... Dans le Vanum est vobis, l'adagio central du Surgite et un Beatus Vir tout en délicatesse, le chanteur se révèle infiniment plus sensible que dans le Stabat Mater, n'était-ce un interminable si bémol à la fin du Surgite (doloRIS). Au lieu de maîtriser l'obsédant bourdon du Cum dederit, Biondi préfère ménager son soliste et bousculer le largo (3'49 au lieu de 4'52 pour Gérard Lesne [Harmonic Records] ou 5'09 pour Andreas Scholl [DECCA]!), dénaturant le caractère hypnotique de la pièce et brisant la magie du motif ascendant chromatique (fructus ventris) qui culmine sur un en apesanteur, un admirable son filé qui se trouve ici écourté et de surcroît troublé par un vibrato envahissant. Il faut entendre Michaël Chance (ARCHIV) étirer cette note avec une suavité et une grâce irréelles pour mesurer pleinement le gâchis. David Daniels serait-il aussi fâché avec les nuances ? Pourquoi, sinon, chante-t-il à gorge déployée un Gloria Patri indiqué mp, dolce ? Las !

Vous l'aurez deviné, l'album de James Bowman avec l'Academy of Ancient Music réunissant les deux chefs-d'oeuvre (DECCA, un disque dont le chanteur avoue qu'il aurait pu lui rapporter des millions s'il avait négocié un pourcentage sur les ventes) trône toujours au sommet du catalogue, en compagnie du vibrant Stabat Mater d'Aafje Heynis (RIVO ALTO/CLASSIC OPTION). L'interprétation de David Daniels donne pleinement raison à René Jacobs qui dénonçait récemment les sirènes du marketing auxquels succombent les contre-ténors et regrettait amèrement qu'Andreas Scholl enregistre les tubes de Vivaldi au lieu d'élargir son répertoire. Mais rares sont les chanteurs qui ont le goût du risque ...

Le motet Longe mala, umbrae, terrores trouve le contre-ténor nettement plus à l'aise. Il faut dire que l'oeuvre semble tirée d'un opera seria et figure, d'ailleurs, à côté d'extraits d'opéra de Haendel dans le programme que David Daniels défendra en tournée avec L'Europa Galante les prochains mois. La voix resplendit, les aigus sont insolents, l'agilité grisante ... Toutefois, ce n'est pas tant le feu d'artifice de la première aria qui devrait marquer l'auditeur que la tendresse nimbée de mélancolie dans laquelle baigne la seconde aria, Descendi, o coeli vox : Descends sur nous, ô voix du ciel. Si je ne craignais pas de verser dans la mièvrerie, je dirais que ces paroles pourraient s'adresser à celui qui les chante (délicieux paradoxe de la prétérition), mais, de toute façon, ce n'est pas vrai : ce lyrisme intense, l'érotisme même de cette voix appartiennent à notre monde. Réjouissez-vous mortels !
  


Bernard Schreuders

 




Commander ce CD sur  Amazon.fr
Stabat%20Mater%20/%20Nisi%20Dominus%20/%20Longue%20Mala<" target="_blank">
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]