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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

DIE ZAUBERFLÖTE

Singspiel en deux actes
sur un livret d’Emmanuel Schikaneder (1791)

Sarastro, René Pape
Königin der Nacht, Erika Miklosa
Pamina, Dorothea Röschmann
Tamino, Christoph Strehl
Papageno, Hanno Müller-Brachmann
Papagena, Julia Kleiter
Sprecher, Georg Zeppenfeld
Monostatos, Kurt Azesberger
Erste Dame, Caroline Stein
Zweite Dame, Heidi Zehnder
Dritte Dame, Anne-Carolyn Schlüter
Drei Knaben, Solistes du Tölzer Knabenchor
Erster geharnischter Mann, Danilo Formaggia
Zweite geharnischter Mann, Sascha Borris
Erster Priester, Andreas Bauer
Zweiter Priester, Danilo Formaggia

Arnold Schönberg Chor
Mahler Chamber Orchestra
Claudio Abbado

2 CD Deutsche Grammophon, 00289 477 5789




Flûte enchanteuse


Claudio Abbado dirige la Flûte de Mozart. C’est l’argument éditorial de DG pour ce nouveau coffret. La « revue de presse » collée à l’avant du (très beau) boîtier est d’ailleurs éloquente ; par exemple : « l’inspiration de cette soirée passée avec Abbado survivra bien longtemps après la clôture de l’année Mozart ». Je cite cette « manchette » mais je ne m’inscris pas en faux. J’insiste même : Claudio Abbado ou ce que peut le geste musical sur une partition rebattue.

Je ne suis même pas sûr qu’aucun mot puisse vraiment qualifier cette Flûte, la façon qu’Abbado a de la faire sonner. Je dis « sonner » parce que cette interprétation-là sonne vraiment et résonne. Le chef italien (qui n’est pas le mozartien du siècle, il faut bien le dire… Tristes Noces) tire du Mahler Chamber Orchestra des trésors de sonorités, de dynamique, des trésors de théâtre en fait. Ecoutez les trilles des cordes à 1,25 du premier air de Papageno ; écoutez la tendresse du duo Pamina/Papageno, la « solarité » de la flûte de l’air de Tamino (plage 14), cette marche incisive annonçant Sarastro au I, la tension sous-jacente mais aussi la montée vers la lumière de la scène des épreuves ou le fruité, enfin, des deux finales (la prise de son, exceptionnelle, me paraît être pour beaucoup dans cette pure réussite sonore).

La direction du chef étonne et subjugue, déconcerte, trop habitués que nous sommes à la rigoureuse partition, à l'opposition d'un monde "baroqueux" et d'un monde "romantique". Abbado en fait fi ; mieux il en tire le meilleur. La vision privilégie l'avancée du discours, l'enchaînement des épisodes, une narration fluide à la fois marquée par la pudeur, la candeur et une humanité dense, chargée de symboles. Cette direction libre, épousant le texte dans ses moindres inflexions, déjoue les pièges de tous les dogmatismes.

A cette main éruptive, à cette main d’enlumineur aussi, répond une distribution appelée à faire date. Là où René Pape, ainsi, rejoint les plus grands (c’est son lot depuis quelques années d’assurer la relève des monstres sacrés dans Beethoven, Wagner et Mozart), Dorothea Röschmann, elle, impose une sorte de mètre-étalon renouvelé en Pamina. Elle ne fait pas table rase des Seefried, Janowitz et Popp du passé ; elle les prolonge ; elle en ranime les fastes ; elle en réveille les mannes ! Elle a LE timbre du rôle, l’éloquence aussi, le courage, la féminité bruissante… Que dire aussi d’Erika Miklosa ? Qu’elle a plus que la sûreté d’aigu de la Reine, ce qui est déjà beaucoup. Elle a cela qui est une mécanique, de précision certes, mais qui n’est pas tout. Je ne vois guère que Popp et Moser, la seconde surtout, vipérine et chez qui hystérie et génie se sont assez souvent confondus, pour lui être comparées. Les autres sont toutes un peu dépassées par ce format d’un héroïsme torrentiel (mais le timbre lui, corsé, est finalement assez quelconque) sacrificiel presque. Christoph Strehl donne en Tamino un prince héroïque et plein de classe ; un Tamino mâle, conquérant, fier.

Je résume donc : Abbado assure à lui seul deux étoiles ; sa distribution une de plus. Alors où s’est perdue la quatrième que, après tout, ce coffret neuf, profond, porteur d’un message mozartien puissant aurait mérité ? Eh bien ! Elle s’est perdue d’abord du côté d’un trio de dames juste propre ! Mille excuses, mais j’ai trop dans l’oreille la Première Dame de Jurinac (chez Karajan) pour accepter celle-ci. Les trois ont, en général, des duretés stridentes. Dommage ! Petit dérapage aussi du côté de Papageno. Hanno Müller-Brachmann n’est pas en cause. Il possède son rôle, indéniablement et même fort bien. Il met une humanité trouble, lourde à son oiseleur et assure des moments parmi les plus intenses du coffret (toute sa scène, CD 2, plage 20). Mais… Mais il n’a tout simplement pas la voix de Papageno : la sienne est sombre, dense, concentrée. On y aurait préféré plus de brillant, de clarté… Je l’aurais même bien échangé contre l’Orateur de Georg Zeppenfeld. Müller-Brachmann y aurait touché à l’éternité (une espèce d’alter ego de Hotter) là où son collègue, blanc récitaliste, parle une langue de bois tout de même un peu creuse.

Une réserve en forme de détail plus qu’un reproche. Presque rien en regard de tout ce que peut apporter ce live parmi les plus excitants, sans doute, de l’année Mozart. On n’attendait peut-être pas, à tort, d’Abbado cette vision jeune, émerveillée de l’œuvre. Quand deux maîtres se rencontrent…


   Benoît BERGER

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