L'Opéra-Comique
un dossier proposé par Bruno Peeters
 
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Daniel-François-Esprit AUBER

par Bruno Peeters


(Daniel-François-Esprit Auber )


"ce presque rien que le talent sait ajouter
à l'ordinaire pour le faire singulier"
(Hervé Lacombe)

 
 
 

"Auber ! Que ce nom a paru longtemps inactuel". Ainsi commence l'article de Julien Tiersot dans le numéro spécial consacré par l'illustre Revue musicale à l'Opéra-comique au XIXe siècle, numéro de novembre 1933. Près de huit décennies plus tard, que peut-on dire ? Pour Monsieur tout le monde, Auber est une station de métro, tout au plus une statue sur le Palais Garnier. Pour d'autres, avertis mais plus âgés, il représente une époque révolue de l'histoire de la musique, totalement sans intérêt actuellement. Pour certains, par contre, jeunes et de plus en plus nombreux, Auber constitue la quintessence d'un certain esprit français, caractéristique de son époque sans doute, mais dont, par-delà les années, la musique pourrait toujours charmer les mélomanes du XXIème siècle. Contrairement à Boieldieu ou Hérold, ses deux principaux "rivaux", il vécut longtemps (1782-1871), et couvre donc une fort longue période de l'histoire musicale française dont il fut l'un des hérauts principaux.

Mais, si l'opéra-comique, né au XVIIIe siècle, a pu se maintenir si longtemps en tant que genre lyrique spécifique, c'est à lui qu'on le doit, et à lui seul, par la qualité, l'abondance et la pérennité de son oeuvre. 

Certes, il fut aussi l'auteur de quatre "Grands Opéras français et avec La Muette de Portici (1828), l'inventeur même du genre qui allait, durablement, influencer tout l'art lyrique occidental, de Meyerbeer à Wagner et Verdi. Ses trois autres tentatives (Gustave III, Le Lac des fées, L'Enfant prodigue) eurent moins d'impact, mais fuirent suivies alors Guillaume Tell de Rossini puis Robert le diable de Meyerbeer : le genre était lancé ! 

Malgré ce coup d'éclat, pour lequel il restera définitivement dans l'Histoire (même politique, en Belgique assurément, puisque le duo "Amour sacré de la Patrie" fit office de déclencheur de la révolution de 1830), Auber, élevé dans la tradition de Monsigny et de Grétry, lui restera fidèle, et ne composera pas moins de trente-huit opéras-comiques (sans compter les collaborations écrites avec d'autres musiciens tels Vendôme en Espagne ou La Marquise de Brinvilliers).
La Dame blanche de Boieldieu datait de 1825 et Le Pré-aux-clercs d'Hérold de 1832. Le genre de l'opéra-comique brillait de tous ses feux et Auber s'y inséra tout naturellement. Ses premiers succès (La Neige 1823, Le Maçon 1825) attestent de sa maturité. La caractéristique de ces ouvrages par rapport à ses prédécesseurs ? Une solide science contrapuntique acquise chez Cherubini, et la souplesse mélodique apprise évidemment chez Rossini, la rencontre de Scribe enfin qui, depuis Leicester (1823) deviendra son librettiste attitré.

Et c'est alors qu'après le sursaut génial de La Muette de Portici en 1828, Auber commencera à aligner ses opéras-comiques à raison d'un par année, environ. De La Fiancée (1829) à Rêve d'amour 1869), il fournira au répertoire des dizaines d'ouvrages charmants, aux mélodies immédiates et plaisantes, qui feront les délices du public. D'après un recensement du début du XXème siècle (dans la monographie de Malherbe), les oeuvres les plus représentées étaient Le Domino noir, succès absolu, suivi de Fra Diavolo, Le Maçon, La Muette de Portici, Haydée, L'Ambassadrice, Les Diamants de la couronne, La Fiancée, La Part du diable et Emma. Toutes hélas oubliées, hormis quelques unes, triste sort que partage bon nombre d'ouvrages de ce temps jadis glorieux... 

Comment définir l'opéra-comique d'Auber ? Une somme parfaite d'habileté théâtrale et d'inspiration mélodique agréable ? Il est amusant de reprendre ici quelques opinions de l'époque : "un plaisir artistique et délicat, qui ne soit pas indigne d'un homme de goût", "il fait de jolis mots, et non de longs discours", "voix aimable, rieuse, discrète, causeuse accoutumée à briller dans les soirées du monde élégant", "style léger, brillant, gai, souvent plein de saillies piquantes et de coquettes intentions", "la politesse du génie français", etc. Voilà peut-être des petites phrases qui auront assassiné Auber, du moins au début du XXe siècle, semblant le confiner définitivement dans la catégorie "petit maître' Ernest Reyer a eu, lui, le mot juste, concernant l'opéra-comique : "Fredonner un motif de l'oeuvre qui se joue pour la première fois, c'est la joie du public qui sort, c'est l'espoir du public qui entre". Toute la clé du succès d'Auber est là. Nous sommes redevenus sensibles à ces mélodies si simples, si directes, à la virtuosité extrême (Les Diamants de la couronne), à l'harmonie efficace, à cette joie musicale évidente quoique brillantissime, qui le rapproche de Rossini. Auber pourrait constituer du Maître de Pesaro, par la science et l'éclat de son écriture. Notre époque adulant les opéras les plus ébouriffants de Donizetti et de Rossini devrait bien se pencher sur les ouvrages d'Auber dans lesquels elle trouvera certainement autant de trésors vocaux et dramatiques que chez ses confrères de la Péninsule. Science certaine, airs et duos charmants (Le Cheval de bronze, Fra Diavolo), ensembles et finales brillants et raffinés (Gustave III, Les Diamants de la couronne), tout est présent pour le plus grand plaisir de l'amateur d'opéra, même quelques scènes émouvantes (Le Domino noir, Manon Lescaut). Bien sûr, l'opéra-comique n'est pas la tragédie lyrique, ni Auber, Gluck ou Wagner. "N'exigeons pas certains mérites qu'il n'eut jamais et ne pouvait avoir" (Malherbe). Auber a diverti son public de manière charmante, et peut nous enchanter aujourd'hui encore. J'aime cette phrase de son biographe Charles Malherbe : "Est-ce une illusion ? Il me semble voir Mozart le rencontrer sur son chemin, lui adresser un sourire en passant, et lui confier une marque d'estime, le soin de porter sa canne ou son manteau."

Démarquons-nous de l'aspect historique - aussi important soit-il - d'Auber pour lui accorder une pure attention musicale, à la lumière de nos connaissances actuelles. Si le genre de l'opéra-comique connaît un regain d'intérêt, tout comme tout le répertoire lyrique français du XIXème siècle, l'oeuvre d'Auber doit nous interpeller, car le charme mélodique et la virtuosité incomparable des ensembles sont éternels, styles et nations confondus. Schönberg admirait Milhaud comme Wagner, Auber. Qui sommes-nous pour le dénigrer, lui qui enivra tant de générations ? A propos de Wagner, exquise anecdote. Wagner lui racontant l'action de Tannhaüser, Auber, se frottant les mains, lui répondit gaiement : "Ah ! Il y aura du spectacle ! Ca aura du succès, soyez tranquille !" (La revue musicale, Op. cit. ). Tout Auber est là : gouailleur, urbain, l'homme des femmes, du café Tortoli et du Bois de Boulogne, ne cherchant pas la profondeur, mais la joie d'une musique bien faite. Il apporta au genre une perfection absolue, due certes à un grand travail, mais sans égale, et qui perdurera jusqu'à la fin du XIXème siècle et influencera un grand nombre de compositeurs, transcendant la tradition rossinienne initiale pour, finalement, devenir, à l'étranger, la figure emblématique de la musique française (le pauvre Berlioz étant ici bien exclu). Après Hérold et Boieldieu, il codifie le genre, sans le savoir évidemment, tout en lui laissant la souplesse requise, ce qui permettra à ses successeurs de poursuivre dans cette voie (Thomas, Gounod, Saint-Saëns, David, Bazin, Poise, Delibes, Chabrier, Messager même... ). Il a surtout permis à son pays de s'exprimer en ce domaine rare et difficile qu'est le "joli, gracieux, léger" (Reyer) et qui formera une certaine vitrine de la France dont elle aurait mauvaise grâce à se défaire.

J'espère avoir pu démontrer le talent et surtout le grand intérêt de la musique d'Auber. Vous trouverez ci-après une discographie de ce compositeur, trop succincte hélas, mais essentielle. Manquent quelques intégrales importantes : Haydée surtout, mais aussi Le Maçon, Le Dieu et la Bayadère, Le Philtre, L'Ambassadrice, Le Lac des Fées, L'Enfant prodigue et Le Premier Jour de Bonheur. Espérons et croyons en l'actualité d'Auber, et au plaisir qu'il pourra toujours nous prodiguer.
 

Bruno Peeters
Bibliographie

La Revue musicale n° 140, ėL'Opéra-comique au XIXe siècle', novembre 1933.

Hervé Lacombe, Les voies de l'opéra français au XIXe siècle, Fayard 1997.

Paul Landormy, La musique française de la Marseillaise à la mort de Berlioz, Gallimard 1944.

Charles Malherbe, Auber, Librairie Renouard, coll. "Les Musiciens Célèbres", Henri Laurens éditeur.
 

Discographie

Le Cheval de bronze, Marty, On stage OS 4716

Les Diamants de la couronne, Jourdan, Mandala MAN 5003/05

Le Domino noir, Bonynge, Decca 440 646-2

Fra Diavolo, Soustrot, EMI 75481-02

Gustave III, Jourdan, Arion ARN 368 220

Manon Lescaut, Marty, EMI 763 522

La Muette de Portici, Fulton, EMI 749 28 42

Marco Spada (ballet intégral), Bonynge, Decca 468 586-2

Ouvertures et ballets rares, Andersson, Sterling CDS-1039-2
 
 

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