L'Opéra-Comique
un dossier proposé par Bruno Peeters
 
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L'opéra-comique à l'hôtel de Bourgogne

par Catherine Scholler


(Hôtel de Bourgogne)



La période qui va de l'installation à l'hôtel de Bourgogne, en 1762, jusqu'à la Révolution Française est un âge d'or pour l'opéra-comique.

Porté à l'extérieur des frontières tout d'abord par les forains, ensuite par des troupes de théâtre ambulantes, le genre rayonne à travers toute l'Europe. A la cour de Vienne, le comte Durazzo, directeur des théâtres impériaux, organise une collaboration avec Charles-Simon Favart dans le but de monter des opéras-comiques, et en confie la réécriture à Gluck. Piqué au jeu, celui-ci les réécrira tant et si bien qu'il s'agit quasiment d'oeuvres originales.

Ce rayonnement perdurera au siècle suivant : des opéras-comiques du XVIIIe siècle seront montés, remis au goût du jour, dans le Théâtre Lyrique de Léon Carvalho. Et la vieille comtesse de La dame de pique de Tchaïkovski fredonne une romance de Richard Coeur de Lion de Grétry.

Bien loin du comique gras de ses débuts, les sujets de l'opéra-comique se raffinent, évoluent vers la comédie sentimentale, la pastorale, le merveilleux, le didactisme moralisateur. Les librettistes à qui l'on doit cette évolution étaient considérés comme les auteurs principaux des oeuvres, plus importants que les compositeurs. A la fin des représentations, c'était eux qui venaient saluer, comme le raconte Grimm : "Lorsqu'il (Poinsinet, le librettiste) donna donc son sorcier, le parterre demanda l'auteur ; il ne se fit pas prier pour paraître : non, non, cria le parterre, l'autre. Et l'on fut obligé de chercher Philidor.".

Commençons donc l'état des lieux de l'opéra-comique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle en faisant mieux connaissance avec les principaux librettistes.


Les librettistes

Le plus connus de tous est sans conteste Charles-Simon Favart (1710-1792), l'une des figures les plus importantes de la mutation de la comédie en vaudeville à la comédie mêlée d'ariettes Il commença sa longue carrière sur les théâtres de foire en 1734, avec Les deux jumelles. Durant la période d'interdiction de l'opéra-comique, au cours des années 1745-1751, il partit exercer son métier dans les Flandres. Il fut nommé directeur de l'Opéra-Comique en 1758.

Pendant presque trente ans, il écrivit des comédies en vaudeville, avant de créer, en 1762, la pastorale Annette et Lubin, qui fut l'une des premières oeuvres a être donnée à l'hôtel de Bourgogne. Sa tumultueuse épouse, Marie Favart, fut l'une des interprètes d'opéra-comique les plus admirées de son temps.

Les sujets de prédilection de Favart étaient de la veine sentimentale et moralisante. Cherchant à se rapprocher d'une vraisemblance dramatique, il créa des personnages de paysans d'une naïveté artificielle, s'exprimant dans des patois qui n'existèrent probablement jamais dans les vraies campagnes, mais qui donnaient aux spectateurs l'illusion de la vie champêtre. 

Louis Anseaume (1721-1784), auteur d'environ vingt-cinq pièces, collaborateur de Grétry et de Philidor, était le spécialiste des comédies brillantes et spirituelles.

Jean-François Marmontel (1723-1799) est plus célèbre de nos jours pour sa haine du chevalier Gluck et son engagement farouche dans la querelle des gluckistes et des piccinistes. Librettiste, mais aussi romancier, essayiste et encyclopédiste, ses livrets sont à forte intention moralisante, la vertu y est toujours récompensée et le vice puni. Il fournit en particulier Le Huron à Grétry, livret développant le personnage du bon sauvage qui enseigne à ses hôtes français ce que sont la vraie bravoure et l'honnêteté, ainsi que Zémire et Azor, inspiré de La Belle et la Bête.

Michel-Jean Sedaine (1719-1797) fut fort admiré par les critiques de son temps. Grimm compara même ses oeuvres à celles de Shakespeare. Tout comme Favart et Anseaume, il écrivit ses premiers livrets pour les théâtres de la foire. Véritable auteur dramatique, il collabora ensuite avec Philidor, Monsigny et Grétry.

Son livret du Déserteur est d'une modernité incroyable pour l'époque : mêlant tragique et comique, il donne vie à des personnages bien caractérisés, et introduit un suspense réellement haletant.

Son livret le plus connu, Richard Coeur de Lion, qui introduisit la vogue des sujets à fond historique, est son chef-d'oeuvre, aussi bien que celui de Grétry. 


Les compositeurs

Cette mutation des sujets réclame bien entendu une musique plus travaillée, plus complexe : la comédie mêlée d'ariettes est une transformation radicale. Le vaudeville prend une autre signification : relégué à la fin de l'oeuvre comme section conclusive, c'est un morceau strophique où chaque personnage chante à son tour un couplet, tous s'unissant au dernier pour tirer la morale de l'histoire.
Il n'est pas dans le propos de citer ici tous les compositeurs d'opéra-comique, que les ombres de Blaise, Duni, Dezède ou Champein nous pardonnent.

Pierre-Alexandre Monsigny (1729-1817) qui avait commencé à travailler sur les théâtre de la foire, acquit en peu de temps une réputation suffisante pour que l'ouvrage On ne s'avise jamais de rien soit choisi pour les festivités d'ouverture du nouveau théâtre italien, le 3 février 1762. Il abandonna rapidement les comédies amusantes pour se consacrer à la comédie sentimentale. Plus mélodiste qu'orchestrateur, il était le spécialiste de la musique fraîche, sensible et élégante. Il forma un véritable tandem avec Sedaine, jusqu'à ce que la cécité l'obligeât à cesser de composer. C'est alors qu'il adressa le librettiste à Grétry.

Au siècle suivant, Monsigny sera encore un musicien réputé, Berlioz en particulier louera la musique du Déserteur.

François-André Danican, dit Philidor (1726-1795), est passé à la postérité autant pour avoir été un des meilleurs joueurs d'échecs européens que pour ses oeuvres musicales, il a d'ailleurs écrit une célèbre méthode d'échecs. Elève de Campra, il possédait une solide technique et avait aussi la réputation d'être un orchestrateur audacieux. Il fit en outre plusieurs voyages qui lui permirent de se familiariser avec le style italien. Il jouissait malheureusement aussi d'une autre réputation : celle d'avoir un goût littéraire déplorable, de ne s'adresser qu'à de mauvais librettistes ou de choisir des livrets mal conçus. On lui doit vingt-quatre opéras-comiques dont Tom Jones, La belle esclave, Le bon fils, Le sorcier, Sancho Pança dans les îles... Il composa également des tragédies lyriques.
Il partit en tournée en Angleterre, mais ce séjour devint un exil forcé du fait de la Terreur. Il mourut loin des siens, à Londres.

André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) fut et reste encore le compositeur le plus célèbre de cette époque. Né à Liège dans une famille de musiciens, il étudia à Rome et Bologne grâce à une bourse du chapitre de la collégiale Saint-Denis, et demeura en Italie pendant huit ans. Il se rendit ensuite à Genève où il rencontra Voltaire à qui il demanda - sans succès - un livret d'opéra-comique. Il débuta à Paris en 1768 avec Le Huron et composa plus de vingt opéras-comiques en France, dont quelques-uns uns créés à la cour. Les plus célèbres sont Richard Coeur de Lion et Zémire et Azor. Grimm, partisan acharné de l'opéra italien, ne tarissait pourtant pas d'éloges sur la musique de Grétry.

Celle-ci se démoda pourtant pendant la Révolution Française, sans que jamais il ne fût porté atteinte à la renommée du compositeur qui fut, sous Napoléon, l'un des premiers chevaliers de la légion d'honneur. Dramaturge, il privilégia toujours la vérité d'expression à l'hédonisme musical. Théoricien, il rédigea des mémoires, ou essais sur la musique, dans lesquels il expose ses conceptions musicales.
Grétry passa les dix dernières années de sa vie dans l'Ermitage de Rousseau à Montmorency, qu'il avait acheté, et y rendit son dernier soupir.

Nicolas Dalayrac (1753-1809) représente la fin d'une époque, dernier stade de l'évolution des opéras-comiques sentimentaux en ce genre larmoyant qui caractérise les productions de la période révolutionnaire. Il est en effet l'auteur, avec son librettiste habituel, Benoit-Joseph Marsollier, de Nina ou la folle par amour et des deux petits savoyards, prototypes du genre. Après la Révolution et ses oeuvres patriotiques (la prise de Toulon), il s'orienta vers l'opéra à sauvetage, dérivé du genre larmoyant (Camille).


Mise en scène, décors, costumes

Bien loin des sujets mythologiques de la tragédie lyrique, le souci de l'opéra-comique de dépeindre des personnages proches de la vie réelle - ou supposée tels - impliquait une recherche équivalente de l'effet authentique dans les décors et les costumes.

A quoi ressemblait une représentation à l'hôtel de Bourgogne ?

Elle ne se déroulait tout d'abord pas dans un silence religieux. Le public debout au parterre était la portion la plus turbulente de l'assistance. C'est elle qui applaudissait, faisait bisser ou au contraire sifflait, huait et lançait des plaisanteries à voix hautes, qui apostrophait joyeusement le moucheur de chandelles ("rira, rira pas !"), hurlait "paix là !" à ses voisins pour pouvoir écouter. Il arrivait parfois que les soldats viennent rétablir l'ordre, les jours où la représentation était vraiment troublée.

L'Opéra-Comique fut le dernier des trois théâtres privilégiés à asseoir son parterre en 1788, mais pour peu de temps, car le 6 août 1789, les banquettes furent enlevées à la demande du public, qui préférait continuer à payer vingt-quatre sols pour une place debout. Le parterre était exclusivement masculin, les femmes s'installant surtout dans les loges, y occupant parfois plusieurs places, à cause des volumineux paniers de leurs robes.

Ce public n'avait plus grand chose à voir avec les badauds des théâtres de foire : les paysans étaient représentés sur scène, mais n'étaient plus dans la salle. L'assistance, très mêlée, était composée de bourgeois aussi bien que de nobles. L'Opéra-Comique savait aussi plaire à la haute aristocratie, et se déplaçait quelquefois à Versailles.

Ce joyeux tumulte était favorisé par le fait que la salle n'était pas plongée dans le noir : c'était techniquement impossible. Elle fut d'abord éclairée par deux petits lustres placés respectivement dans la salle et dans l'avant-scène, mais vers 1750, on installa un seul grand lustre équipé de bougies. Pour l'éclairage de la scène, on avait substitué aux chandelles des débuts, des lampions à l'huile de pied de boeuf dont la lumière était plus intense, mais qui dégageaient une fumée noire, ce qui créait un écran fumeux entre les acteurs et le public et ternissait rapidement les décors. En 1782, l'Opéra-Comique s'équipa de la toute nouvelle lampe à quinquet, dont la mèche, isolée des courants d'air par un verre protecteur, brûlait avec plus d'éclat et sans fumée, et offrait davantage de sécurité contre les incendies.

Par le fait d'un tradition importée de la comédie italienne, les décors avaient une grande importance à l'Opéra-Comique, et représentaient un investissement important. Lors de la création de La fée Urgele de Favart et Duni en 1765, Grimm écrivit : "Les Comédiens-Italiens ont dépensé 20 000 livres en habits et en décoration pour mettre cette pièce au théâtre ; ils auront de la peine à faire grand profit avec ce spectacle."

Réemployés d'une pièce à l'autre, les décors représentaient souvent des lieux caractéristiques : paysage champêtre, clairière dans la forêt, place publique, parc, chambre rustique, salle d'hôtellerie, boutique, murailles de château, palais oriental, prison ... 

Après un certain nombre de réemplois, le décor perdait de sa fraîcheur, à l'occasion d'une reprise du Déserteur par exemple, le journal des théâtres note que "la décoration de la prison fait honte aux comédiens".

C'est la même prison qui est réutilisée quelque temps après pour la création de L'Olympiade, drame héroïque parodié sur des musiques de Sacchini, et le même journal s'indigne : "les Comédiens ont fait beaucoup de dépense, & se sont prêtés à tout ce qui était nécessaire pour la représentation de cet ouvrage ; la décoration du second acte est magnifique, ainsi que celle qui termine le troisième, mais ils ont négligé de réparer celle de la prison qui est devenue affreuse ; elle le paraissait encore davantage, par comparaison, & on ne peut que les exhorter à la faire repeindre ou au moins retoucher".

L'opéra-comique est encore un spectacle jeune, et de ce fait rattaché à l'actualité : c'est ainsi qu'en 1770, on trouve des réverbères, tout nouvellement installés à Paris, dans le décor de la place publique des deux avares de Grétry, dont l'action se déroule à ... Smyrne !

N'ayant pas à faire surgir de deus ex machina, l'opéra-comique n'avait pas besoin des machineries de la tragédie lyrique, mais les décorateurs avaient de jolies trouvailles, comme ce miroir magique dans lequel Azor montre sa famille à Zémire, qui était en fait un transparent de papier huilé qu'il suffisait d'éclairer violemment pour faire apparaître le père et les deux soeurs chantant un trio.

Les costumes étaient la propriété des comédiens, et comme tels indiquaient plus souvent la condition de l'interprète que celle du personnage qu'il était censé représenter : il n'était pas rare de voir sur scène des paysannes constellées de perles et portant robes à panier. Les comédiens prirent progressivement conscience du manque de crédibilité de leurs costumes, et agirent en conséquence.
La première, Marie Favart interpréta en 1753 Bastienne en robe de laine, coiffe et sabots, costume plus réaliste, mais encore bien propret. En 1761, pour Les trois sultanes, elle fit venir de Constantinople un habit de dame turque, que lui copia pour son propre usage la Clairon, de la Comédie-Française.

Grétry, dans ses mémoires, décrit le comédien Cailleau, lors de la création de Lucile en 1769 : "pour se costumer avec plus de naturel, il avoit arrêté un paysan dans les rues de Paris, en le priant de lui prêter son habit ; il parut sur scène les pieds poudreux, et, pour la première fois, avec la tête chauve".

Avec la vogue des sujets historiques qui suivit le succès de Richard Coeur de Lion et également des sujets exotiques et féeriques, la recherche de la vraisemblance dans les costumes s'accéléra, y compris en amalgamant des périodes historiques éloignées.

La mise en scène était tout d'abord l'affaire des librettistes, dont les minutieuses didascalies s'allongèrent avec les années, et qui réglaient aussi bien les décors que les pantomimes et les gestes des personnages. Ces didascalies avaient également l'avantage de donner des indications précises aux troupes ambulantes, car l'opéra-comique s'exportait bien, et loin. Pour la mise en place, un des comédiens était chargé du rôle de "semainier" et dirigeait ses confrères.


Deux opéras-comiques

Ces quelques indications sont-elles suffisantes pour pouvoir imaginer à quoi ressemblaient ces oeuvres ?

Essayons de nous transporter le 6 mars 1769, et d'assister au Déserteur, livret de Sedaine, musique de Monsigny.

A la suite d'une innocente plaisanterie, le soldat Alexis croit que sa fiancée Louise va épouser son rival pendant son absence. Il s'abandonne à son désespoir. Immédiatement après son monologue, très réaliste et pathétique, "mourir n'est rien", arrive le brigadier Montauciel, ivrogne comique qui, dans un allegro sautillant empli de rythmes pointés, affirme "je ne déserterai jamais", ce qu'il va évidemment faire, pour aller boire. C'est dans ce très surprenant et rarissime mélange de tragique et de comique que se situe la force de l'oeuvre.

Pour retrouver Louise, Alexis déserte son régiment, mais il est capturé, emprisonné et condamné à mort. Tout son séjour en prison est ponctué par les interventions comiques de Montauciel, un des personnages les plus remarquables croqués par Sedaine. Les spectateurs passent en quelques secondes des larmes (après le pathétique "Adieu, chère Louise "), au rire.

Louise parvient à convaincre le roi de gracier Alexis, mais elle est si épuisée qu'à son retour à la prison, elle s'écroule de fatigue avant d'avoir pu annoncer la décision du souverain. Ce suspense est fort habilement construit et très efficace, puisque seul le spectateur sait qu'Alexis ne doit pas être exécuté.

Le peloton d'exécution est déjà prêt lorsque la grâce est enfin annoncée. L'oeuvre se termine dans la joie.

Hormis son livret et sa musique de qualité, cette oeuvre est importance dans l'histoire de la musique, à plusieurs titres. Il s'agit tout d'abord de la première pièce à sauvetage, qui fera les choux gras de l'opéra-comique d'abord, de l'opera semiseria ensuite, d'autant plus que seul ce dernier reprendra le mélange du tragique et du comique. Le déserteur, ancêtre de La gazza ladra ?

Ensuite, et malgré son happy end, la mort est pour la première fois l'enjeu de l'intrigue.

Essayons maintenant de voyager jusqu'au 21 octobre 1784 pour la première de Richard Coeur de Lion, livret de Sedaine, musique de Grétry.

Sedaine est vraiment un dramaturge accompli. L'action commence de manière éclatée par une noce villageoise, sans que l'on sache de prime abord qui est ce troubadour aveugle, ni quelles sont ses relations avec les nombreux personnages secondaires, dont certains ne réapparaîtront plus par la suite. Ce n'est que progressivement que l'intrigue sera clarifiée et menée à son dénouement.

L'unité de l'intrigue est obtenue au travers du personnage de Blondel, écuyer du roi Richard, parti à la recherche de son souverain fait prisonnier sur le chemin de retour des croisades. Il arrive à Linz, se faisant passer pour un troubadour aveugle. Grâce à l'amour interdit, mais partagé, du gouverneur de la forteresse, Florestan, pour Laurette, fille de Williams, gentilhomme anglais exilé et ancien compagnon d'arme de Richard, Blondel apprend qu'un mystérieux prisonnier est enfermé dans un des cachots. Il se souvient, et chante "ô Richard , ô mon roi", qui deviendra quelques années plus tard l'hymne de ralliement des royalistes.

Marguerite, comtesse de Flandres et d'Artois, fiancée de Richard, se trouve elle aussi dans la ville. Elle reconnaît Blondel grâce à une romance que celui-ci joue au violon : Richard l'avait composé pour elle.

A l'acte deux, au fond de sa prison, Richard se désespère. Il se souvient de Marguerite dont il regarde le portrait. Cet air ("si l'univers entier m'oublie") est un morceau très élaboré, dans lequel l'orchestre joue un rôle important, notamment par son introduction symbolisant la gloire royale, hélas passée. La mélodie reste constamment virile et ne sombre jamais dans la mièvrerie.

Blondel se doute que le mystérieux prisonnier ne peut être que Richard. Accompagné de son guide Antonio (rôle travesti) Blondel se poste au pied du château, et identifie le prisonnier en chantant la fameuse romance composée par Richard, qu'il l'entend reprendre du fond de son cachot. Arrêté et conduit par les soldats auprès du gouverneur, libéré sur les instances d'Antonio, Blondel entraîne Florestan à une fête que Williams organise le soir même.

A l'acte trois, alors que Blondel retient le gouverneur à la fête, les soldats de Marguerite assiègent le château et délivrent Richard. Magnanime, celui-ci autorise le mariage de Laurette et de Florestan.
L'oeuvre comporte une grande pantomime qu'une didascalie de Sedaine décrit ainsi : "le théâtre change et représente l'assaut donné à la forteresse par les troupes de Marguerite ; Blondel et Williams encouragent les assiégeants ; les assiégés reçoivent un renfort et repoussent l'attaque avec avantage.

Blondel jette alors son habit d'aveugle, et sous celui que couvrait sa casaque, il se met à la tête des pionniers, il les place et leur fait attaquer l'endroit faible dont il a parlé ; l'assaut continue ; on voit paraître, sur le haut de la forteresse, Richard, qui, sans armes, fait les plus grands efforts pour se débarrasser de trois hommes armés ; dans cet instant la muraille tombe avec fracas. Blondel monte à la brèche, court auprès du roi, perce un des soldats, lui arrache son sabre ; le roi s'en saisit, ils mettent en fuite les soldats qui s'opposent à eux ; alors, Blondel se jette aux genoux de Richard, qui l'embrasse. Dans ce moment, le choeur chante vive Richard, sur une fanfare très éclatante ; les assiégeants arborent le drapeau de Marguerite ; dans ce moment elle paraît, suivie de ses femmes et de tout le peuple ; elle voit Richard délivré de ses ennemis ; et conduit par Blondel ; elle tombe évanouie, soutenue par ses femmes, et ne reprend ses esprits que dans les bras de Richard."

... 

Ouf !

Cette oeuvre constitue un des tout premiers opéras historiques. Grétry récidivera dans le genre avec Pierre le Grand en 1790 et Guillaume Tell en 1791. 

On peut voir dans Richard Coeur de Lion une préfiguration du grand opéra romantique, par son sujet et par le grand nombre de personnages - alors que jusqu'ici les opéras-comiques se déroulaient dans un monde confiné - et par l'importance attachée par Grétry à la couleur locale.

En effet, la romance "une fièvre brûlante" tente d'imiter ce que le XVIIIe siècle imaginait être le style médiéval. Pour ce faire, Sedaine et Grétry avaient procédé à des recherches, et c'est à défaut d'avoir trouvé l'original que la romance fut composée "dans le vieux style, pour qu'elle tranchât sur tout le reste". Il s'agit d'un air de forme strophique accompagné au violon, considéré à l'époque comme l'instrument des musiciens du Moyen Age.

C'est également la première fois qu'on trouve dans un opéra, pas vraiment un leitmotiv, mais un motif unificateur (et un signe de ralliement dans l'action) précisément avec cette romance, dont Grétry signale dans ses mémoires neufs citations tout au long de l'oeuvre, chacune avec de légères différences dans l'instrumentation, dans la présence ou non de texte, et dans l'ornementation.


Ecouter l'opéra-comique du XVIIIe siècle

Hélas ! si les baroqueux et les rossinomaniaques ont eu droit à leur renaissance, c'est loin d'être le cas pour les curieux d'opéra-comique.

Deux constatations s'imposent : seules quelques oeuvres de Grétry ont été enregistrées, inutile donc de rêver à Philidor ou à Dalayrac, de plus, jusqu'à récemment, tous les disques cités ont été supprimés de la vente. Fort heureusement, EMI vient tout juste de rééditer trois opéras-comiques de Grétry. Quand aux autres enregistrements, il est toujours possible pour les courageux, les fouineurs, les rats de discothèque ou les échangeurs de tenter de les dénicher d'occasion. 

Richard Coeur de Lion

* Charles Burles, Michel Trempont, Mady Mesplé, direction Edgar Doneux ; 2 CD EMI 5 75266 2
Une réédition à posséder absolument, complétée par Le devin de village de Rousseau.

* Peter Edelman, Hubert Zingerle, Marinella Pennicchi, Flavia Bernardi, Barbara Pichler, Mattia Nicolini, Coro lirico Grétry di Bolzano, Orchestra dei Giovanni del Conservatorio Claudio Monteverdi di Bolzano, direction Fabio Neri ; 2CD Nuova Era 7157/58

Ce dernier est un enregistrement public réalisé en 1990. Le dictionnaire de la musique vocale l'appelle pudiquement "version d'attente". Les critiques de l'époque parlent d'" accents impossibles, choeur et orchestre tout juste convenable, solistes allant du passable au pire". De quoi refroidir toutes les ardeurs... 

Le jugement de Midas (parties chantées)

* Elwes, Sluis, Vanhecke, Gari, Bastin, Verschaeve, Elwes, Choeur de la chapelle royale de Paris, la petite Bande, direction Gustav Leonhardt ; 1 CD Ricercar RIC 063.033

* Louis Devos, Jean-Jacques Schreurs, Bernadette Degelin, Loretta Clini, Chris de Moor, Formation de chambre du Nouvel Orchestre Symphonique de la RTBF, direction Ronald Zoliman ; 1CD Koch Swann 3-1090-2

La Caravane du Caire

Jules Bastin, Gilles Ragon, Philippe Huttenlocher, Guy de Mey, Vincent Le Texier, Isabelle Poulenard, Greta de Reyghere, Choeur de chambre de Namur, Ricercar Academy, direction Marc Minkowski ; 2CD Ricercar RIC 100084/085

Hormis les récentes rééditions, c'est peut-être l'enregistrement le plus facile à trouver... malheureusement il ne s'agit pas d'un opéra-comique, mais d'un opéra-ballet, créé à l'Académie Royale de Musique !

Lucile
* Jacqueline Sternotte, Stefano Memma, Chris de Moor, Royal cercle choral Jupille Saint-Armand, ensemble des solistes de Liège, direction Emmanuel Koch ; 1 CD Duchesne CD-DD 80252

Denys le tyran

* Simone, Segni, Franceschetto, Donzelli, Choeur Ars Pulcherina Artium, Orchestre international d'Italia-Opera, direction Stefano Vizioli, 1 CD Nuova Era 6850

Zémire et Azor

* Masquelin, Garino, Kelly, Coquaz, Voli, Léonard, choeur et orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie, direction Alan Curtis ; 2 CD Rodolphe RPC 32.525/26

* Mesplé, Bufkens, Gorp, Louis, Orliac, Simonka, choeurs et orchestre de la RTB, direction Edgar Doneux ; 2 CD EMI 7697012

L'amant jaloux

* Brewer, Bastin, Mesplé, Burles, Perriers, orchestre de chambre de la RTB, direction Edgar Doneux, 2CD EMI5 75263 2

Un peu dépité, le chercheur d'opéra-comique pourra toujours se tourner vers ces sites que les internautes mélomanes connaissent si bien, et qui vendent des enregistrements live. 

Divine surprise : le nom de Monsigny y est référencé ! on peut faire l'acquisition d'une vidéo du Déserteur, captation d'une représentation de 1996 au courageux théâtre de Compiègne, (Dudziak, Lafon, Saint Palais, Chevalier ; Swierczewski), et toujours en vidéo, un Cadi dupé qui inspira Gluck (Orliac, Garino, Pena, Froger, Loup, Sieyes, Jarry ; Wallez ; festival d'Albi 1977). On trouve sur le même site une vidéo de Zémire et Azor (Gless, Herbillon, Coquez, Kelly ; Curtis ; Liège 1987). 

L'enthousiasme est toutefois douché quand on s'aperçoit que ces trois vidéos sont de "fair quality"... 
Après cette maigre moisson, nous allons abandonner l'opéra-comique en 1783, date à laquelle il déménage Salle Favart, à l'endroit même où s'élève aujourd'hui le théâtre de l'Opéra-Comique. De grands bouleversements sont à venir, qui mettront la vie musicale française entre parenthèses pendant quelques années. Mais l'opéra-comique sera le premier à renaître de ses cendres, et viendra le temps des Boieldieu, Auber, Hérold...
 
 

Catherine Scholler
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