L'Opéra-Comique
un dossier proposé par Bruno Peeters
 
.[ Sommaire du Dossier Opéra Comique ] [ Archives de la revue ]..
 

 
......
Naissance d'un genre

par Catherine Scholler


(Foire Saint Laurent)



Il est difficile de donner une date de naissance exacte à l'opéra-comique. Ainsi, Le jeu de Robin et Marion d'Adam de la Halle, datant de 1275, peut-il être considéré comme l'ancêtre du genre ? Oui, si l'on considère le mélange du parlé et du chanté dans l'ouvrage, non, si on estime que les chansons d'origine populaire de ce trouvère restent extérieures à l'action.

Cependant, une date fondatrice est sûre dans l'histoire de l'opéra-comique, il s'agit du 14 mai 1697. Ce jour là, Louis XIV, influencé par les comédiens-français, ordonne la fermeture du théâtre italien de Paris et la mise sous scellés de l'hôtel de Bourgogne qui abritait la troupe, chassée à trente lieues de la capitale.

En ce temps là, il y avait à Paris six foires, dont deux étaient extrêmement populaires : la foire Saint Germain et la foire Saint Laurent.

La foire Saint Germain se déroulait pendant deux mois, de février à la Passion, et était plutôt dédiée au commerce de luxe : articles de mode, bijoux, verre, porcelaine, instruments de musique, estampes. Installée rive gauche de la Seine, c'est à dire dans le quartier de la noblesse, là où s'élevaient palais et hôtels, elle attirait le peuple le jour et l'aristocratie, de préférence la nuit, car elle était ouverte sans interruption. Elle était composée de deux halles couvertes parallèles réunies par cinq travées également couvertes, et dans lesquelles on avait tracé neuf rues au cordeau.

La foire Saint Laurent était ouverte de fin juillet à fin septembre, et se situait à peu près dans le quartier actuel de la Gare de l'Est et du Faubourg Saint Martin. Plus démocratique et à vocation utilitaire, c'était la foire des artisans, des commerçants et des bourgeois. Comme elle avait lieu pendant l'été, elle se déroulait en plein air. Suprême idée de marketing : elle était dotée d'une remise à carrosses, un parking en d'autres termes, ce qui attirait la clientèle campagnarde.

Ces deux foires étaient des lieux très animés de la vie parisienne, et depuis le moyen âge, il s'y produisait des jongleurs, des montreurs d'animaux, des danseurs de corde et des petits théâtres de marionnettes, d'abord en plein air, ensuite dans des loges, sortes de baraques permanentes dans lesquelles étaient montés des échafaudages pour les spectacles et tendues des cordes pour les acrobates.

Au moment de la fermeture du théâtre italien, les forains entrepreneurs de spectacles s'avisent de ce fond de commerce libre de tout droits qu'est le répertoire italien, et décident de monter certains de ses spectacles. Comme le public regrettait vivement le départ des comédiens italiens, il se presse aux représentations. 

De ces origines populaires naît un théâtre plein de vitalité, tourné vers la satire et la parodie, quotidiennement enrichi par l'actualité, tournant d'une foire à l'autre et se renouvelant sans cesse. Les spectacles alternent le parlé et le chanté, comme ceux du théâtre italien.

Mais ce succès porte ombrage à la Comédie Française, qui contre-attaque et porte plainte dès 1597. En 1706, une sentence interdit aux forains de représenter tout spectacle comportant un dialogue. Peu importe, les pièces en monologues jouées par un acteur unique, les autres personnages se contentant de gestes ou de mimiques, obtiennent un triomphe.

L'inventivité dans les spectacles se retrouve dans l'habileté des forains à transformer les contraintes en facteur de succès. Ainsi, après avoir prohibé les dialogues, un nouvel arrêté de 1709 interdit même l'usage de la parole : les forains montent des pantomimes, en brandissant des écriteaux de toile enroulés sur des cylindres portant les textes des répliques. Ils obtiennent également, en échange d'une redevance conséquente à l'Académie Royale de Musique dont c'était le monopole, l'autorisation de chanter et d'utiliser un décor.

Lorsqu'on leur interdit jusqu'au chant, ils firent chanter l'assistance, à qui on fournissait préalablement les paroles. Il fallait bien entendu que le public connaisse la musique utilisée et qu'elle soit facile à chanter, on utilisa donc, en modifiant les parole, des airs traditionnels et populaires, de ces chansons légères qui courent par la ville et dont tous les couplets se chantent sur un seule mélodie : des voix-de-ville (vaudeville). Certains de ces "timbres" comme on appelle ces airs connus adaptables à de nouvelles paroles, sont encore célèbres de nos jours : La bonne aventure, charmante Gabrielle... 
C'est ainsi que la dimension musicale de l'opéra-comique provient avant tout d'un procédé de substitution. 

Une autre façon d'introduire la musique proviendra de parodies d'airs célèbres repris d'opéras à succès de l'Académie Royale de Musique, sur lesquels on modifie les paroles. Par référence au texte original connu des spectateurs, c'est le domaine de l'allusion politique et sociale, du jeu de mot, du double sens.

A cause - ou grâce - à la rivalité avec les comédiens-français, les forains inventent de toutes pièces une forme de spectacle entièrement novatrice, génératrice de leur succès. Ils évoluent dans le burlesque, le comique grivois et la satire, avec une attention plus portée sur le texte que sur la musique. Ils avaient leurs propres auteurs, leurs musiciens et des acteurs qui étaient des vedettes, un public populaire, mais aussi bourgeois et même appartenant à la noblesse. La première apparition du vocable "opéra-comique" date de février 1715, sur les affiches de la foire Saint Germain.

Hormis l'invention du nom, 1715 est une année cruciale pour l'opéra-comique : après la mort de Louis XIV, le Régent rouvre l'hôtel de Bourgogne et rappelle une nouvelle troupe d'italiens. Le directeur, Luigi Riccoboni, ne part pas sans gages : il est interdit aux forains d'utiliser les personnages de la commedia dell'arte, Arlequin, Scaramouche, Pantalon, et même Pierrot, français pourtant !

C'est un coup dur pour les forains : finis Les aventures comiques d'Arlequin, Arlequin sultane favorite, Arlequin Dardanus, Arlequin défenseur d'Homère, Arlequin roi de Serendib, Arlequin Mahomet, Arlequin Athis, Arlequin Thétis... 

En 1718, un ordre de cour, qui sera suivi de peu d'effets, supprime l'opéra-comique, qui reprend de plus belle à la foire Saint Laurent. Les comédiens italiens s'y installent également jusqu'en 1724, avec un succès très relatif. S'ensuit une période de guérilla entre les deux théâtres, et toujours la guerre ouverte avec la Comédie Française. Jusqu'ici la rivalité avec la vénérable institution avait fonctionné comme une émulation, mais la nouvelle concurrence avec le théâtre italien joue sur un répertoire proche, ce qui va épuiser les deux parties.

En 1745, l'opéra-comique est suspendu par décision du conseil royal. Cette suspension durera six ans, jusqu'au 25 octobre 1751.

Entre temps, en 1746, avait éclaté la querelle des bouffons, dans laquelle l'opéra-comique n'était pas partie prenante, mais qui provoque une prise de conscience : les éléments du plus grossier comique et de la farce s'épurent, poussés par une montée du sentimentalisme et du moralisme des livrets, notamment sous l'influence de Charles-Simon Favart. Les parties musicales augmentent, se rapprochent de ce qui se fait au théâtre italien, où l'on ne parle pas du tout. Le vaudeville disparaît progressivement, remplacé par la comédie mêlée d'ariettes, qui sont des petits airs de forme simple, mais de création originale. Fin 1750, Duni et Dauvergne commencent à écrire des oeuvres entièrement originales : l'opéra-comique devient petit à petit une création de compositeur. Le genre évolue vers plus de raffinement, s'institutionnalise lentement.

En janvier 1762 se tourne la première page importante de l'histoire de l'opéra-comique avec sa fusion avec le théâtre italien et son installation dans l'hôtel de Bourgogne d'où il était originaire, et où il demeurera jusqu'en 1783.
 

Catherine Scholler
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]