TANCREDI
un dossier proposé par Catherine Scholler
 
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Adelaïde Malanotte,
créatrice de Tancredi...

par Catherine Scholler

 


(Adélaïde Malanotte)



Adelaïde Malanotte naquit à Vérone en 1785 et y grandit, cultivant, outre sa grande beauté, une somptueuse voix de contralto, intense et pénétrante. 

Elle épousa très jeune un fonctionnaire français du nom de Montrésor. Décidée à se montrer bonne épouse et mère exemplaire, elle s'éloigna, pour un temps, de la carrière théâtrale, et donna naissance à deux fils dont l'un, Giovanni Battista, devint par la suite un ténor réputé. Mais l'incompréhension s'installa dans le jeune couple, les scènes se succédèrent et le mariage fit rapidement naufrage. Consciente de sa beauté, de sa forte personnalité et surtout de la splendeur de sa voix, Adelaïde Malanotte quitta un beau jour le foyer conjugal et décida de faire carrière dans le monde lyrique, qui l'attirait depuis si longtemps.

Dès ses débuts, probablement en 1806 dans sa ville natale, les propositions ne manquèrent pas : tout d'abord sur les innombrables scènes de province, puis dans toutes les capitales d'Italie. Elle chanta au printemps 1808 au théâtre communal de Trieste dans Traiano in Dacia de Nicolini, puis pendant la saison de Carnaval elle inaugura solennellement le nouveau théâtre della Societa à Bergame-Borgo avec Ippolita regina delle Amazoni de Pavesi.

Bien que dotée de "formes belles et généreuses" qui ne manquaient pas "d'attirer les regards de tous, et peut-être le désir de beaucoup", elle devint, grâce à son timbre évocateur de celui des castrats, très recherchée dans les emplois de travesti.

Parmi tant d'autres, le rôle de Zamoro dans Alzira de Nicola Manfroce devait lui ouvrir les portes de la gloire, à l'occasion de la première exécution romaine en 1810 et de ses reprises successives dans d'autres villes. A Monza en 1811, lui fut dédiée une amusante épigramme, jouant sur la signification de son nom (Malanotte : mauvaise nuit), qui fut retranscrite dans le Corriere delle Dame :

Une mauvaise nuit (malanotte) je me rendis à Monza
Et une autre Malanotte je trouvai
La première fut pour moi obscure et désagréable
L'autre harmonieuse, douce et lumineuse.
Alors je lui dis que mille mauvaises nuits (malenotti)
Pour une Malanotte je passerai.
Sa beauté séduisit le poète Ugo Foscolo, à un tel point qu'elle compta parmi les inspiratrices de certains de ses textes, et tout particulièrement des Grâces. Il écrivit également la lettre suivante au critique musical du courrier de Turin, Giuseppe Grassi, quand la cantatrice vint se produire dans cette ville dans l'Elisabetta regina d'Inghilterra de Pavesi :
"Mon cher Grassi,

Si nous ne rencontrions pas quelquefois les Grâces et les Muses durant notre pèlerinage mortel, et si les Grâces et les Muses ne nous ouvraient pas la porte de la Courtoisie et de l'Amour, je ne trouverais plus de raisons ni d'intérêts à poursuivre le voyage de la vie au milieu de tant de désagréments et de dangers. Et parce que je crois que toi, ainsi que toutes les âmes nobles, sont dans mon cas, je t'envoie cette lettre qui te permettra de rencontrer les Grâces et les Muses. Avec elle tu rendras visite à Madame Malanotte, et tu salueras pour mon amour et pour le tien ses grands yeux si noirs. Je ne te la recommande pas, ni ne te recommande à elle; vous serez chers l'un à l'autre parce qu'elle est belle et que son chant est souverain, et parce que tu es un homme de lettres aimable et courtois. Prends garde seulement de ne pas tomber amoureux. Et sois heureux."


Mais la séduction d'Adelaïde Malanotte s'exerça également sur d'autres célébrités, et on dit qu'elle ensorcela Lucien Bonaparte, et même Rossini en personne.

Il y eut en effet probablement une idylle entre le jeune Gioacchino et sa cantatrice, ou plutôt une amourette légère et sans lendemain. Ce qui compte vraiment c'est qu'entre un soupir et une promenade en gondole, leur rencontre donna vie à Tancredi. Comme toujours, Rossini composa son opéra en tenant compte des caractéristiques vocales de son interprète et tira des merveilles de ce timbre moelleux et opulent, souple et lumineux. Et bientôt, Ugo Foscolo présenta à la belle Adelaïde un jeune aristocrate poète qui gravitait dans son entourage littéraire, le fougueux Luigi Lechi, qui devint son grand amour romantique. Il ne resta plus à Rossini qu'à se pencher en soupirant sur "l'air du riz", pour plaire une dernière fois à la Malanotte, et à se consoler dans les bras d'une autre maîtresse...

Six ans après, ce Tancredi, dont elle s'était fait une spécialité, était si célèbre que c'était devenu une oeuvre-scie. 0n put ainsi lire dans le Journal des deux Siciles du 11 septembre 1818 : "depuis six mois condamnée à servir fidèlement le Tancredi de Rossini et à répéter inlassablement tous les soirs tant d'émois et tant de peines ("tanti palpiti e tante pene", paroles de la cavatine d'entrée de Tancredi), lesquelles, chantées et rechantées dans tous les théâtres d'Europe, dans toutes les salles publiques et privées, s'entendent aujourd'hui dans les tavernes et jusque sur les lèvres des nourrices qui bercent nos enfants(...)".

A partir de 1820, ses apparitions scéniques s'espacèrent. On la vit cette année-là au théâtre communal de Bologne dans Emma di Resburgo de Meyerbeer et au carnaval suivant au théâtre de la société philharmonique de Vérone. On la dit morte dans la misère, détruite par l'alcool et le tabac.

Dans la Gazette de Venise du 14 décembre 1820 on lit ainsi : "certains malveillants ayant répandu la fausse nouvelle de la mort de madame Malanotte, remarquable actrice et chanteuse, nous sommes invités par celle-ci à annoncer au public que relevant d'une grave maladie, elle chantera lors du prochain Carnaval au théâtre de Vérone".

La réalité est tout autre, et ô combien plus romantique : le comte Lechi, ne pouvant convoler en justes noces à cause des convenances de l'époque, acheta une île entière sur le lac de Garde, où ils se retirèrent tous deux pour y cacher leur amour.

Nous serions dans un film de Walt Disney, l'histoire s'arrêterait là. Malheureusement, nous sommes dans la vraie vie, dans laquelle les fins heureuses, comme celle de Tancredi, sont bien rares. 
Luigi Lechi, à cause de ses convictions patriotiques, fut arrêté par les Autrichiens et condamné à quatre ans de prison. Que sait-on de la vie de la Malanotte pendant ces années, de sa solitude sur son île, de sa peur d'être impliquée dans les ennuis politiques de son amant ?

Ne tombons pas non plus dans un roman d'Eugène Sue : on parla à son sujet de dégénérescence centrale d'origine alcoolique (syndrome de Korsakoff), ce qui est faux, cependant sa consommation excessive d'alcool fut peut-être à l'origine de l'infarctus qui la terrassa la nuit de la saint Sylvestre 1832, au bord des eaux argentées du plus beau des lacs de la Lombardie, à l'âge de quarante-sept ans.
 
 
1813 Venise - Fenice Tancredi Tancredi
1813 Ferrare - Communale Tancredi Tancredi
1813 Bergame - Riccardi Tancredi Tancredi
1814 Gênes - San Agostino Tancredi Tancredi
1814 Bologne - Communale Tancredi Tancredi
1814 Lugo - Communale Tancredi Tancredi
1814 Modène - Communale Tancredi Tancredi
1815 Mantoue - Ducal Tancredi Tancredi
1815 Lugo - Communale L'Italienne à Alger Isabella
1816 Gênes - Falcone La pietra del paragone Clarice
1816 Florence - Pergola Tancredi Tancredi
1816 Florence - Pergola Aureliano in Palmira Arsace
1816 Livourne - Floridi Aureliano in Palmira Arsace
1818 Florence - Pergola Aureliano in Palmira Arsace
1818 Naples - San Carlo Tancredi Tancredi
1819 Venise - San Samuele Tancredi Tancredi
1821 Vérone - Filarmonico Ciro in Babilonia Ciro
1821 Bergame - Riccardi Edoardo e Cristina Edoardo
 


Catherine Scholler

Cet article n'aurait pas vu le jour sans l'aide précieuse de Yonel Buldrini 
et les conseils avisés de Christian Peter.

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