Marino Faliero
un dossier proposé par Yonel Buldrini

 
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M A R I N O    F A L I E R O ,

Histoire vénitienne de révolte politique, de haines, de pardon.


Photo - Exécution du Doge Marino Faliero - Delacroix


Discographie de Marino Faliero

* Intégrales *

1) Teatro Donizetti di Bergamo, 1966.

La discographie reflète les reprises de l’opéra, dominée par celle du Teatro Donizetti de Bergame, la plus homogène (CD Melodram 27030). De sa voix sombre et rocailleuse, Agostino Ferrin dessine admirablement les facettes du patricien Faliero, bafoué dans son honneur de citoyen et d’homme mais pardonnant avec magnanimité. Carlo Meliciani est un Israele Bertucci digne et valeureux. Le ténor Angelo Mori mérite des éloges pour s’être honorablement frotté au rôle de Rubini et Margherita Roberti, soprano au timbre corsé, tente de composer entre les nuances du chant spianato et les vocalises à projection dramatique, plus difficiles à assumer. Le chef Adolfo Camozzo, alors directeur musical du Teatro Donizetti, donne la juste mesure à la musique… qui ne souffre pas d’être quelque peu « verdianisée », puisqu’elle regarde délibérément vers l’avenir.

(Camden Festival, London, 1967)

N’ayant pas fait l’objet d’une publication en disques, une bande privée (au son précaire et privée du deuxième acte) circulait sous le manteau…des donizettiens ! Elle reflétait une édition du Festival londonien de Camden en 1967 (27 février). Le véhément et colérique doge de George MacPherson trouvait un ami pondéré en l’Israele du baryton Paolo Silveri. David Parker adapte assez bien à ses moyens le rôle de Fernando Faliero, et Rae Wooland est une efficace dogaressa Elena, la seule à varier le Da Capo de sa cabalette !  Les solistes, ainsi que les Opera Viva Orchestra and Chorus, étaient placés sous la valeureuse baguette de Leslie Head.

2) Studio della RAI di Milano, 1977.

L’exécution milanaise des studios de la R.A.I., en 1977, fut publiée en L.P. par la firme pirate H.R.E. (HRE 426.3) et reprise, plus confidentiellement, par les CD On Stage. Le doge noble et velouté de Cesare Siepi manque seulement de la conviction de la scène, et ne peut, tel Agostino Ferrin, nous donner la chair de poule, quand au milieu de sa grande Cabaletta finale du deuxième acte, il s’exclame : « Sia Venezia maledetta ! », tandis qu’on l’entend tirer l’épée ! 

Licinio Montefusco est un valeureux Israele, mais Marisa Galvany, d’ordinaire… extraordinaire, précisément !  lançant des aigus di forza comme personne, semble brimée dans le rôle un peu effacé de la dogaresse. Le ténor Giuliano Ciannella est une catastrophe et le chef Elio Boncompagni donne une assez juste respiration à la partition.

3) Opéra de Szeged, 1999.

La reprise hongroise de Szeged est devenue un disque officiel (Agorà Musica AG 229.2) mais si tous les interprètes sont valeureux, seuls le soprano Mária Farkasréti et le baryton Attila Réti tirent vraiment leur épingle du jeu… On doit, par exemple, couper toute la seconde Cavatina du ténor Tamás Albert, ne lui laissant que la Cabaletta !  La basse Tamás Altorjay a de la profondeur mais sa voix manque de modulations, de vibration , comme si l’artiste devait encore perfectionner sa technique. La sonorité « scolaire » du chœur fait peine à entendre. Le chef Támas Pál, pourtant habitué à l’opéra, précipite parfois les tempi de la musique, brisant ainsi son impact dramatique.

L’enregistrement du Teatro Donizetti demeure celui qui donne vraiment une idée de l’œuvre, les coupures concernent surtout des reprises (à part la seconde Cabaletta de Israele, que l’on découvre en revanche par Montefusco dans l’enregistrement de la RAI).

[ 4) Teatro Regio di Parma, 2002. ]

La publication, par la Casa Fonè, d’un enregistrement se faisant l’écho de la somptueuse reprise du Teatro Regio de Parme, nous permettra de connaître le digne et impressionnant Doge de Michele Pertusi, le vibrant Israele Bertucci de Roberto Servile, le passionné Fernando Faliero de Rockwell Blake et la Dogaresse Elena de la comme toujours impeccable –et en plus expressive !- Mariella Devia. Le seul regret est l’absence de reprise de la dramatique Cabaletta de Fernando, alors que R. Blake nous a toujours habitués à assumer les époustouflantes Cabalette rossiniennes. Le chef Ottavio Dantone se montre un « concertatore » efficace, sachant souligner les moments troubles, les moments dramatiques autant que les épanchements plus lyriques. Il est d’autant plus regrettable qu’il précipite le tempo du superbe ensemble concertant du Finale I, causant grand dommage à l’épanouissement progressif de son architecture magnifiquement donizettienne. Mais attendons, pour en dire plus, la parution annoncée pour le mois de janvier 2003...

* Extraits *

Sinfonia

 

A) In : Gaetano Donizetti Cinq Ouvertures

Marino Faliero (1835), Les Martyrs (1840), Linda di Chamounix (1842), Maria di Rohan (1843), Don Pasquale (1843).

Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo

Direction Claudio Scimone

Enregistrement effectué en la Salle Garnier de Monte-Carlo, en juin 1978.

LP Erato – STU 71211

Claudio Scimone dirige avec flamme, panache et de manière un peu systématique, comme c’est souvent le cas dans les enregistrements d’ouvertures mises « bout à bout ». La fréquentation assidues des ouvertures de Rossini s’entend également dans l’aspect « systématique » : les ouvertures romantiques sont plus complexes car comportent plus de thèmes et sont plus directement connectées au drame qui leur fait suite. Les animer d’un souffle dramatique, en laissant également de l’espace au lyrisme de certains thèmes, doit être le but de tout chef décidant de les aborder. Cela s’entend nettement dans les enregistrements intégraux de l’opéra !

B) In : Gaetano Donizetti Sinfonie e Ouvertures

Sinfonia in Do maggiore (1816), Sinfonia concertata (1816) Enrico di Borgogna (1818), Gemma di Vergy (1834), Marino Faliero (1835), Preludio funebre (per la cantata in morte di Maria Malibran, 1838).

Orchestra Sinfonica della Radio Moldava di Kisiniev

Direttore : Silvano Frontalini

CD Bongiovanni GB 2139-2

Il s’agit d’une honnête exécution, un peu linéaire mais qui au moins ne brusque pas les tempi en brûlant les ailes à la musique. Le chef d’orchestre Silvano Frontalini sait mettre en relief certaines sonorités opaques, comme si Donizetti avait voulu illustrer les ténébreux mystères de Venise. Si l’exécution de l’ouverture de Gemma di Vergy laisse perplexe par sa lenteur, sa mollesse même, celle de Marino semble animée d’un souffle plus vibrant, laissant mieux présager le drame qui va suivre. (Certaines approximations de l’orchestre, d’ailleurs affligeant plus encore la pauvre Gemma que Marino Faliero, sont évidemment regrettables).

Gran Duetto Marino Faliero – Israele Bertucci (Atto I°, Quadro secondo)

In : « N. T. A.  No tenor allowed, Hampson & Ramey : famous italian duets for baritone and bass ».

Selon l’amusant titre Interdit aux Ténors, ce récital comporte les duos baryton-basse des opéras suivants, placés dans l’ordre chronologique de composition : Il Matrimonio segreto (Domenico Cimarosa), I Puritani (V. Bellini), Marino Faliero (G. Donizetti), Un Giorno di Regno (Il Finto Stanislao : G. Verdi),  Don Pasquale (G. Donizetti), Attila, Simon Boccanegra et Don Carlos (G. Verdi).

Marino Faliero, Doge de Venise : Samuel Ramey

Israele Bertucci, Chef de l’Arsenal : Thomas Hampson

Münchner Rundfunkorchester

Direction : Miguel Gómez Martínez

Enregistré au « Studio 1 » de la Bayerischer Rundfunk (Radio bavaroise), en juillet 1997.

CD Teldec 0630-13149-2

Le somptueux timbre de Samuel Ramey donne d’emblée une impressionnante prestance naturelle au noble doge. Il domine de toute sa hauteur l’Israele Bertucci de Thomas Hampson, un peu plus neutre mais honnête exécutant.

Le chef Miguel Gómez Martínez donne le juste rythme à la musique, enflammant par exemple la grande Stretta finale, mais résistant à la tentation de la prendre à toute allure, ce qui ne la rendrait pas plus dramatique . Les deux amis devenus conspirateurs doivent au contraire clamer leur vengeance avec exaltation, certes, mais également une détermination trempée, comme la lame d’acier suspendue à leur côté.

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En guise de conclusion, voici l’histoire vraie, comme l’on dit, de…

Une première et émouvante rencontre avec MARINO FALIERO

Un rayon de disquaire de la Province française…jusque-là, rien de bien particulier. Sauf que le passionné-blasé ne se doute pas que ce jour-là, ce ne sont pas les sempiternels coffrets du commerce qu’il va trouver !

En « donizettien » connaisseur, il s’attendait à regarder distraitement les mêmes Favorites, cette Fille du régiment bien connue, les deux Lucrezie Borgie, la Stuarda de Sutherland, Le Convenienze e le inconvenienze teatrali…en tout, une dizaine d’opéras. Il ne pouvait évidemment se douter que la politique de la maison était d’obtenir tout… l’obtenable ! ce qui en faisait l’un des deux ou trois premiers disquaires indépendants de France.

Allons-y donc, voyons : « DONI… » un instant de stupéfaction : la place dans le rayon mural s’est décuplée ?!!  Non, il y a une confusion, une erreur…Mais ?  quelles sont ces tranches minces de coffrets aux couleurs inhabituelles ?  Leurs marques ?  Estro Armonico, M.R.F., B.J.R., Raritas ??  Ah ! oui ! c’est le mot : de véritables raretés…mais les œuvres, les opéras ?…

QUOI ??… que de titres inconnus !… ou plutôt connus mais seulement dans les articles des dictionnaires : Maria di Rohan, Maria Padilla, Torquato Tasso, L’Ajo nell’imbarazzo, Il Borgomastro di Saardam Les Martyrs, Don Sebastiano !… et l’on passe sur des Bellini n’existant pas en studio, des Mascagni inconnus, des Giordano non courants !  De quoi vraiment faire tourner la tête du donizettien, éperdu en cette contemplation…

Et d’ailleurs, il lui fallut un temps pour émerger de ce rêve, complètement similaire à l’émerveillement d’Ali-Baba découvrant ses fabuleuses richesses…

Après avoir lu et relu les titres proposés par toutes ces « tranches » de bonheur, l’une d’elles attira le regard du donizettien : du plus beau mauve intense. Le coffret sorti révéla une couverture de la même couleur inusitée, à la fois austère ou délicieusement kitsch. Le titre de l’opéra s’étalait en graves lettres gothiques : 

M a r i n o    F a l i e r o

« Qu’est-ce que c’est que cet opéra, dont j’ai lu si peu dans les livres ? », se demandait le donizettien, intrigué. Une liste de noms inconnus, probablement d’interprètes, était placée plus bas, sous le titre. Mais l’étonnement le plus grand surgissait de la dernière ligne, dont le regard ne parvenait pas à se détacher :`

TEATRO  DONIZETTI  DI  BERGAMO

« Ainsi, cette ville, où à dû naître le compositeur, je crois… possède un théâtre qui lui est dédié ?  comme c‘est curieux. »  C’était tellement curieux que notre donizettien allait rechercher un moyen d’en savoir plus… et finirait pas le découvrir, ce théâtre où Verdi fait la tête, car son buste le représente, le crâne incliné, comme s’il sentait qu’ici, il ne faisait pas la loi !  Gaetano Donizetti, le jovial mélancolique romantique est partout, dans le Théâtre, dans la Ville… ah ! quelle ville ! il faut en parler ! la perle cachée de la Lombardie, s’étendant entre et sur des collines, entourée d’austères remparts, regorgeant de recoins romantiques… et notre donizettien allait y revenir, et la faire connaître, cette Ville aimée…

Depuis, chaque 8 avril, la fleuriste de la « Città Alta » enserrée dans ses mûrs, franchit le seuil de l’église Santa Maria Maggiore et dépose quelques violettes devant le tombeau du « Maestro », comme on l’appelle.

Elle le dépose sans salaire, puisque quelques mois plus tard, le donizettien lui-même, un sourire de fraîches retrouvailles flottant aux lèvres, entrera dans le magasin régler sa dette.

Terminons cette petite histoire comme elle a commencé, chez un disquaire, même s’il s’agit, en guise de conclusion,  d’une anecdote un peu triste. Notre disquaire, on s’en doute, est un disquaire « bergamasco », qui se doit de proposer le plus de titres possibles de l’illustre fils de la Cité, car il sait bien que le festival commencé, il sera pris d’assaut par des délégations de donizettiens venus du monde entier…à commencer par la Grande-Bretagne où règne la très active Donizetti Society, puis l’Allemagne et l’Autriche, dominées par la Freunde der Musik Gaetano Donizettis de Vienne. Chaque année, le brave disquaire ne manque pas de re-re-raconter comment il était tombé, un beau jour, dans les listes de ses fournisseurs, sur ce titre inconnu de MARINO FALIERO et s’était empressé de commander forces exemplaires du coffret mauve …un opéra oublié, ressorti ici, dans la Ville du Compositeur, dans « son » Théâtre !  quelle primauté de proposer ces coffrets !

Mias voilà le plus triste de l’histoire, un jour, notre disquaire bergamasco voit entrer dans sa boutique un vieux monsieur éploré… « Mais… ce n’est pas possible !… répétait-il, en larmes. Vous ne pouvez vendre cela !… c’est illégal, c’est un scandale sans attente !… »

Et ce vieux monsieur qui pleurait acheta tous les coffrets, que le disquaire, après-tout, avait lui-même acquis sans malhonnêteté. Mais qui était ce vieux monsieur si digne ? Rien moins que celui dont le nom figurait su la couverture du fameux coffret de ce Marino Faliero, le Maestro ADOLFO CAMOZZO, chef d’orchestre et Directeur musical du Teatro Donizetti de Bergame !

Il était éperdu, on le comprend, mais ne pouvait-il se douter de l’intérêt artistique d’une telle publication ?  Il est vrai que le cas Donizetti est particulier, car si l’on a surnommé Leyla Gencer « la Fiancée des pirates », notre Gaetano peut être, lui, l’Enfant des pirates, car en ces années de gloire du disque vinyle, on trouvait bien trente-sept de ses opéras proposés par ces fabuleuses firmes que l’on s’amuse à nommer en italien : « private-pirate », tant le pluriel de ces mots « privées-pirates » est phonétiquement proche dans cette langue !  Le jeu de mots étant également rendu possible car comme pour se protéger, ces firmes inscrivaient toujours sur les étiquettes centrales des disques la mention bien connue et très ambiguë :

« Private recording, not for sale » (Enregistrement privé, non destiné à la vente).

Les maisons discographiques d’aujourd’hui en ont tiré la leçon adéquate : quelle que soit la notoriété d’un opéra « ressorti », elles signent les accords nécessaires pour placer leurs micros directement dans les théâtres… à commencer, bien sûr, par notre

« Teatro Donizetti di Bergamo » !

F I N

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