Hommage à Vincenzo Bellini
A l'occasion du bicentenaire de sa naissance : 1801-2001
Première époque
Les débuts - Les deux premiers opéras : 1801-1826

Acte deuxième

Yonel Buldrini

 

Le parc du château, comme au tableau initial, mais des couronnes de fleurs sont attachées aux arbres et la porte du petit temple présente l'inscription suivante : " Ils sont réunis pour toujours. "

[Les différences musicales étant plus conséquentes entre les deux versions, le commentaire se " dédoublera " donc, parfois.]

Version originale : Duetto Colonnello Struley-Geronio. Ce dernier explique à Struley qu'il n'y a plus rien à tenter car le mariage aura lieu le lendemain. Struley se révèle au contraire stimulé par le retour et la présence de " l'ennemi ".
Version refaite : Aria di Struley con Coro. La musique est inchangée mais Geronio s'unit au choeur de fidèles qui dialogue ainsi avec Struley (dans le même esprit de dissuasion). Cette solution est peut-être plus impressionnante du fait de la présence du choeur mais le duo semblait plus prenant, dans son intimité.

Recitativo secco. Geronio raconte qu'il a aperçu Salvini errant dans le bois en se lamentant sur son amour pour Nelly... Struley veut utiliser cette passion et tromper Salvini au moyen d'une fausse missive écrite par lui-même. Geronio devra ensuite mettre le feu au petit temple, et durant la confusion qui s'ensuivra, Struley pourra fondre sur sa proie, et peut-être même avec l'aide de Salvini ! Après leur départ, madama Rivers et Bonifacio surviennent mais le bon Napolitain ne sait répondre aux questions de la gouvernante qui se demande où est passé le peintre... Ah ! s'il le pouvait, il cacherait bien Salvini sur la lune ! Fanny entre et pose la même question... mais qu'ont-ils donc tous avec Salvini !... il aura trouvé une belle petite paysanne et sera resté à côté d'elle afin " d'en dessiner le contour ! ". Lord Adelson et Nelly surviennent à leur tour, il n'est pas tranquille car après six mois d'absence, il aurait dû retrouver un ami désireux de se jeter dans ses bras, hors Salvini a disparu ! En vain, Nelly tente d'invoquer l'humeur fantasque -elle aurait pu dire : " romantique " !- du peintre, probablement perdu dans la contemplation " d'une colline, d'un horizon amène ". Restée seule avec Bonifacio (qui s'était caché à leur arrivée) Nelly s'étonne de l'attitude du peintre... mais l'autre lui rétorque : " C'est votre faute s'il est plus que fou ! "
Duetto Nelly-Bonifacio. a) Première partie. " Place la mèche au contact du feu / Et puis dis-lui : "tu ne dois pas brûler!", s'écrie le brave homme, dans l'une de ses savoureuses métaphores. Peu à peu, Nelly prend conscience du sentiment qui a pu naître dans le coeur de Salvini, vivant en permanence à ses côtés... Musicalement, le contraste est réussi, entre notes rebattues typiques de l'opéra bouffe, pour les explications de Bonifacio, et les exclamations dramatiques de Nelly, dont l'esprit s'éclaire. b) Stretta. Le contraste s'accentue, opposant les notes " serrées " dramatiques, (typiques des " Strette ", terme signifiant, rappelons-le, serré) de Nelly, reconnaissant la justesse des paroles du Napolitain ; et le savoureux crescendo mi-dérisoire, mi pathétique soulignant l'oscillation de Bonifacio passant de la satisfaction de s'être déchargé d'un poids, au souci qu'il se fait pour son maître.
Ce Duetto réutilise la matière du duo Adelson-Bonifacio du troisième acte supprimé dans la seconde version. Le duo original est plus intéressant par sa situation d'abord, la confrontation entre le Lord magistrat irlandais et le Napolitain de bon sens, conférant ensuite, plus de relief, à la musique de cette confrontation hors du commun...
Rec. secco. Lord Adelson conduit Salvini par la main et nous informe d'un fait terrible : s'il n'avait été là au bon moment, Salvini s'ôtait la vie ! Lord Adelson demande s'il a fait quelque chose de mal contre lui mais Salvini s'accuse plutôt... et Adelson se rend compte qu'il y a là un secret...
Duetto Adelson-Salvini [original]. a) Arioso Adelson lui demande tendrement de l'embrasser mais sa bonté augmente encore la souffrance de Salvini ! Dans un Larghetto [b)] mélancolique, chacun implore un dieu ami pour la paix de Salvini. Un bref dialogue révèle la détermination de Adelson, prêt à tout sacrifier pour faire le bonheur de son ami, car il a trouvé la cause de sa douleur ! Salvini exulte, pensant à Nelly... mais il s'agit d'un quiproquo : Lord Adelson croit que Salvini aime Fanny ! Un Moderato [c)] conclusif scelle leur joie erronée.

Duetto Adelson-Salvini [refait].
a) Arioso mélancolique, plus inspiré que le a) de la première version.
b) Arioso plus animé : (sacrifice de Adelson) à la place du bref dialogue.
c) Stretta animée : (joie mutuelle, leur amitié se raffermit) plus intéressant que le Larghetto et le Moderato qu'il remplace.
En conclusion de cette comparaison, les " formes " Larghetto, Moderato, choisies par Bellini dans la première version étaient intéressantes et viables, mais le " fond ", c'est-à-dire la musique, en était peu inspirée ; on retiendra donc la seconde mouture de ce duo comme la plus efficace.

Recitativo secco. Salvini reste seul et émerveillé du sacrifice de son ami mais Geronio et Struley entrent, et ce dernier le détrompe : Milord est déjà marié à Londres, il veut simplement abuser et posséder Nelly ! A Salvini qui n'en croit rien, Struley exhibe une lettre dont il a soin de lui faire reconnaître l'écriture, celle de Lord Belmont, oncle de Adelson. celui-ci présente ses excuses au colonnello car Adelson ayant convolé avec Milady Astor, ne peut plus épouser sa nièce... cette révélation de l'identité de son interlocuteur impressionne Salvini... mais les préparatifs du mariage ?... l'or fait taire le prêtre et les témoins sont ses vassaux ! insinue Struley... Cette fois, la confiance de Salvini est ébranlée, il s'en remet au colonnello qui, une fois seul, triomphe pleinement. Bonifacio survient et trouve que Struley a une mine patibulaire... il imagine même que c'est l'un des envoyés de ses créanciers venant lui donner la chasse... mais le colonnello dit simplement chasser les oiseaux et s'éloigne. Salvini entre un instant et met Bonifacio dans la confidence du sacrifice de Lord Adelson, mais son ton mystérieux plonge le bon Napolitain dans une belle perplexité...
Aria di Bonifacio. " Le milord et le peintre / brûlent pour Nelly / peut-être se sont-ils arrangés / en la partageant en deux ", s'exclame-t-il dépassé par cette intrigue. Les motivations de chacun lui échappent, et à forse de prendre tout à coeur, il se sent devenir fou ! Qu'ils aillent donc tous au diable... et puis qui est encore à la base de tout ceci ? une " femelle ! ", la " Cause de tout souffrance ", c'est bien connu, ah ! on devrait en faire à moins : " qu'on en perde la semence " !... Il se ravise tout de même un peu, reconnaissant qu'" une épouse, quand elle est valable, / Peut mettre en place l'estomac. " Le bon sens est surtout dans les paroles, la musique est bien pâle, on repère un petit crescendo à la Rossini mais déjà coloré de cette teinte de romantisme aimable comme le faisait Donizetti, c'est tout !
Sinfonia... aux deux tiers ! On peut se demander ce que fait ici cette répétition partielle de l'ouverture, en l'absence d'une quelconque indication de jeu de scène dans le livret ! [Seule la seconde version présente ce passage orchestral].
Recitativo secco. Adelson veut faire connaître Salvini à son oncle qui va le présenter au roi mais Nelly suggère que le peintre n'est pas fait pour le grand monde, il souffre, il a de la peine.... peut-être a-t-il laissé à Rome quelque objet aimé ?
Lorsque Adelson déclare qu'il est ici, l'objet de son amour, Nelly tremble qu'il soit à connaissance de la vérité et Fanny s'interroge.... Bonifacio introduit Salvini et Adelson lui dit vouloir faire son bonheur, en désignant Fanny...
Finale II. a) Salvini survient enfin et dans un bel Arioso, Lord Adelson lui présente Fanny ! ! Le peintre pâlit sous les yeux de tous...
b) Sestetto concertato. Habilement construit, ce sextuor traduit bien la perplexité de tous, même s'il n'offre pas de mélodie mémorable.
c) Scena. Le choeur des domestiques et Geronio annoncent qu'un incendie fait rage et menace le château... Lord Adelson, Fanny et madama Rivers sortent et Salvini profite de la confusion pour révéler à Nelly l'ignominie de Adelson (son mariage à Londres) ; il veut l'entrainer mais elle refuse, le colonnello Struley s'avance alors. Nelly le reconnaît, horrifiée mais Salvini lui présente son oncle comme un sauveur ! Dans un Arioso haletant et poignant, elle implore Salvini de la sauver car cette fois, elle est en danger ! Salvini est ébranlé par cette prière, d'autant que Struley, impatienté, ne dissimule plus et cherche à entraîner sa nièce... Geronio brandit un stylet et maintient Salvini à distance. Un petit passage à trois fut ajouté dans la seconde version, exploitant mieux encore ce moment crucial. C'est trop d'émotion pour Nelly qui s'évanouit dans les bras de son oncle. Celui-ci la couvre de son manteau et menace Salvini de la tuer s'il les suit !... et d'ailleurs Geronio protège sa fuite, puis s'éloigne enfin... Eperdu, Salvini s'élance dans la même direction.
Les autres reviennent, joyeux d'avoir écarté le danger mais un coup de feu retentit...

A partir d'ici, les deux versions diffèrent considérablement. Nous choisissons donc de continuer le commentaire de la seconde version, pour indiquer ensuite ce que proposait la version originale.

[d) Scena (suite)]. La musique du choeur diffère déjà dans la seconde version, mais c'est l'atmosphère qui change, car comme on le verra plus bas, le ton est dramatique dans la version originale, tandis qu'ici, tout s'éclaire. Bonifacio entre, accompagné d'une musique mousseuse car il fait le récit d'un Salvini au comble de la fureur et mettant en déroute Geronio et Struley qu'il blesse d'un coup de feu à la gorge. Le peintre courageux a arraché Nelly à ses ravissseurs et la reconduit à ceux qui l'aiment...
e) Romanza Salvini nel Finale II. La flûte introduit le charmant thème de sa romance (dont Vincenzo se souviendra pour son Valdeburgo de La Straniera). Salvini rend " la sposa " et tend la main à Lord Adelson : la raison a vaincu l'amour ! Il demande de partir un an pour la " bella Italia " où il reverra sa mère et, de retour, il épousera Fanny (sans lui demander son avis ? comment sait-il qu'elle est folle de lui ?). Une effervescence passe à l'orchestre : Lord Adelson veut embrasser Salvini, -Bonifacio en fait autant !- et il demande sa main à Nelly. Adelson déclare enfin que lorsque Salvini reviendra, ils seront réunis pour toujours ! ...mais cette " montée " orchestrale n'annonce qu'un rapide ensemble final, traduisant la liesse générale :

Tutti : " Pace qui regni e amor ! "
(Qu'ici règnent la paix et l'amour !)

* Rideau *


Version originale : suite du Finale II° (divergences après le coup de feu).

d) Scena (suite). Salvini revient abasourdi et annonce la mort de Nelly... par sa faute. Adelson se jette sur lui, qui d'ailleurs ne demande qu'à mourir, mais les autres le retiennent. Le rideau tombe sur la consternation qui scelle ce " Quadro generale " ou tableau, comme on disait autrefois.
Musicalement, la " scena " s'achève curieusement sans " Stretta ", ce qui laisse l'auditeur un peu sur sa faim. Il est rare, en effet, qu'à cette époque on se passe de " numéro musical " en fin d'acte, il faudra attendre Verdi, qui ne mettra pas de numéro musical à la fin du premier acte de Rigoletto, privilégiant l'action sur la musique. Ici, Bellini dramatise comme il peut sa Scena, mais le résultat fait plutôt scène de théâtre accompagnée de musique, comme dans le cadre d'un mélodrame.


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