Hommage à Vincenzo Bellini
A l'occasion du bicentenaire de sa naissance : 1801-2001
Première époque
Les débuts - Les deux premiers opéras : 1801-1826

La première commande officielle :
Bianca e Fernando ossia l'opera " bella, bella, bella " !

Yonel Buldrini

 

Auréolé de ce brillant succès scolastique, Vincenzo tente une demande officielle de mariage auprès de la casa Fumaroli, par l'intermédiaire de son ami, le peintre Giuseppe Marsigli qui donnait des leçons à la belle Maddalena. Le Presidente Fumaroli resta inflexible, il ne donnera jamais sa fille à "un suonatore di cembalo", à un joueur de clavecin ! Alors, le pauvre suonatore di cembalo n'a plus qu'à se tourner vers son premier et unique amour, la musique et en juillet 1825, il dirige une Messa, probablement in Sol minore, dans la commune de Gragnano qui la lui a commandée.
Une autre commande, inespérée et magnifique, n'allait pas tarder à se faire jour et grâce au duc de Noja, gouverneur des conservatoire et surintendant des théâtres napolitains. Celui-ci avait fait ajouter une clause dans le réglement des théâtres, concernant l'obligation pour le directeur, d'offrir la possibilité à un élève de talent, signalé par les conservatoires, de composer une cantate ou un opéra en un acte à l'occasion d'un "gran gala" ou fête de circonstance. La direction du théâtre devait lui fournir un livret de qualité et une compensation- gratification de 300 ducats.
Le directeur ou l' "impresario", comme on disait à l'époque, des théâtres royaux de Naples était le redoutable Domenico Barbaja, homme brusque, peu sensible mais excellent " gestionnaire " dirait-on aujourd'hui ! Un flair infaillible lui faisait engager les compositeurs les plus talentueux, leur imposant un contra-chaîne, les obligeant à écrire sans relâche : deux proies illustres, parmi d'autres : Gioacchino Rossini et Gaetano Donizetti... mais qui, sous le joug "barbajesque" donnèrent bon nombre de leurs plus beaux opéras !....

Notre Vincenzo avait les idées bien arrêtées et il fit valoir, d'une part son peu d'intérêt pour une oeuvre de circonstance come une misérable cantate et obtint un véritable opéra. D'autre part, le "poeta" officiel des théâtres étant le bon Tottola, c'est lui qui aurait dû lui fournir le livret, mais Vincenzo avança le nom d'un jeune inconnu, Domenico Gilardoni, appelé à écrire bon nombre de livrets fort intéressants. Leur choix s'arrêta sur une pièce de Carlo Roti ayant connu un beau succès et qui venait d'être publiée : Bianca e Fernando alla tomba di Carlo IV, duca d'Agrigento. Florimo rapporte qu'une fois la composition terminée, Vincenzo aurait déclaré : " J'espère que cette Bianca que j'ai étudiée et écrite du mieux que j'ai pu, m'apportera la chance 5 et m'ouvrira la route d'un bel avenir. Ah ! combien en sera contente la bien-aimée de mon coeur ! Après le succès, si Dieu le bénit, je renouvellerai mes instances pour obtenir sa main, j'espère qu'il ne la refuseront pas à qui aura triomphé au San Carlo : nous verrons ! ".

Le jour fixé pour la création -rien moins qu'au San Carlo !- était celui du 12 janvier 1826, anniversaire du prince héritier du trône Ferdinando. Les chanteurs engagés n'avaient plus de réputation à se faire : Giovanni David, valeureux ténor, grand interprète de Rossini, Adelaide Tosi et Luigi Lablache, célèbre basse de l'époque.
Premier petit accroc, la censure bourbonienne montre le bout de son nez, trouvant à redire sur le titre raccourci en : Bianca e Fernando, car c'est là le prénom de l'héritier du trône, Fer(di)nando ! On change donc Fernando en Gernando (!). Autre ennui, la crainte constante du débutant envers celui qui était loin de son début ! " J'ai vraiment peur, cher Florimo, confiait Vincenzo à ce dernier, d'écrire un opéra dans le même endroit où écrit un Donizetti, moi si peu expert dans les compositions théâtrales, et lui que toute l'Italie salue à juste titre "egregio maestro". [excellent, remarquable compositeur]".
Gaetano Donizetti, revenait de grands succès romains Zoraida di Granata, L'Ajo nell'imbarazzo aussi bien que napolitains : La Zingara, Emilia di Liverpool, et allait en effet donner au même San Carlo, son seizième opéra Alahor in Granata, mais dans un touchant retour des choses, le modeste Lombard craignait autant le Sicilien : " Ce soir est donné au "San Carlo", écrit-il à son maître Simone Mayr, Bianca e Gernando (Fernando, non, parce que c'est un péché) : de notre Bellini : première production, belle, belle, belle, et spécialement pour la première fois qu'il écrit. Elle est même tellement belle, que je m'en rendrai compte avec la mienne, d'ici à quinze jours. " Donizetti parle de "première production" car Adelson e Salvini, rappelons-le, était un essai scolastique. Quant à son " la mienne ", Donizetti fait allusion à ses Don Gregorio [L'Ajo nell'imbarazzo] ou Alahor in Granata qui allaient bientôt connaître leur première locale.
Coup final, alors que les répétitions avainent commencé, la soirée de gala fut suspendue pour faire place à l'anniversaire du décès du roi Ferdinando I°, et repoussée au 30 mai, fête du prince héritier... ce qui voulait dire pour Bellini de revoir l'écriture des deux rôles principaux car les chanteurs prévus n'étaient plus libres à cette date ! Voici donc le légendaire ténor Giovanni Battista Rubini à première création bellinienne, (1794-1854) avant Il Pirata, La Sonnambula et I Puritani, écrits sur mesure pour lui. Il sera notamment appelé à créer sept rôles de Donizetti et bien d'autres, de compositeurs importants. Capable des plus suaves nuances comme d'éclats des plus violents, il passait imperceptiblement, disait-on, du registre de poitrine à un puissant falsetto, pour des notes pratiquement hors d'atteinte aujourd'hui comme le fameux fa4 que Bellini lui offrit à la fin de I Puritani -mais aussi dans Bianca e Gernando !- ou encore le sol aigu (dans Roberto Devereux ).
Enrichetta Méric Lalande (1798-1867) sera également créatrice de Imogene (Il Pirata), de la reine de France (La Straniera) et de Zaira du même Bellini, ainsi que de la Lucrezia Borgia de Donizetti. Elle appartient à cette fameuse catégorie du " soprano drammatico di agilità ", devant être capable certes, de vocaliser (" agilità ") mais surtout d'émettre les sons avec une certaine force, une véhémence expressive voulue par les compositeurs romantiques qui écriront pour ce type de voix de redoutables et merveilleuses scènes finales d'opéras, véritables points culminants de toute l'oeuvre.
Le 30 mai 1826, un beau succès reçoit Bianca e Gernando et la critique loue également l'oeuvre, reconnaissant toutefois le tribut qu'elle paye à l'époque : " son style, écrit le Giornale delle Due-Sicilie, nous semble empreint de cette vivacité parfois un peu excessive de la musique moderne ". Elle lui trouve toutefois une belle capacité à servir le sentiment exprimé par les paroles, et cette "immédiateté" de la musique, en quelque sorte, recherchée par Bellini et Donizetti, sera une volonté absolue chez Verdi, notamment.

 

 

5 Le mot de Bellini est ce fameux " fortuna " qui signifie d'abord chance, succès et aussi, bien sûr, fortune matérielle mais en moindre mesure.

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