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Sandrine Piau, le diamant

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Actualité
26 octobre 2015

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Dérogeons doublement à notre habitude : voici une perle du baroque que tout le monde connait et dont nous serions bien en peine de faire le tour, même rapide, en un article tant sa carrière est riche, voire légendaire. Depuis ses débuts à la fin des années 80, elle a collaboré avec la grande majorité des chefs d’orchestres baroques qui comptent et parcouru tous les siècles (du XVIIe à la musique contemporaine) et tous les styles (italien, français, allemand, anglais) : pas mal pour celle qui se destinait à devenir harpiste et a embrassé le chant sur les conseils de William Christie. Nous nous contenterons donc ici de remettre en avant certaines de ses plus belles et moins connues interprétations, laissant le lecteur libre de parcourir ensuite la toile et les rayons de son disquaire favori pour en découvrir plus.

Ce qui impressionne chez Sandrine Piau ce ne sont pas ses suraigus (assez limités), ni son ambitus (un medium bien présent mais rien de très grave), c’est plutôt la rencontre impossible entre un chant tendu à la vocalisation très cadrée  et un jeu tout en nuance où le mot semble constamment dominer la note. Comme pour Blandine Staskiewicz dont nous parlions récemment, la fréquentation de la tragédie lyrique et de l’opera seria lui permet d’enrichir chacun de ces répertoires de qualités que l’on attendait plutôt dans l’autre.

Timbre minéral, elle n’a cependant rien d’un épais rubis, mais plutôt l’éclat du diamant, plus puissant et présentant tellement de plus de facettes, une voix que l’on croirait petite mais qui fuse avec surprise parmi l’audience. On reste aussi pantois devant sa longévité. Après presque 30 ans de carrière, ses qualités essentielles sont préservées, quand bien même sa résonnance à tendance à se restreindre. On vantera enfin sa curiosité insatiable qui en fait la compagne infatigable des plus grands défricheurs de partitions oubliées. Sa discographie en témoigne. Du côté de ce qui nous plait moins, on notera l’absence de trille et le manque de moelleux dans l’émission qui nuit à certaines de ses interprétations chez Vivaldi ou Mozart.

Qui trop embrasse, mal étreint, nous nous concentrerons sur quelques airs peu connus où elle est inoubliable.

Ce difficile alliage de technique et d’expressivité requis par Haendel, Sandrine Piau le réussit superbement. Surnommée par Christophe Rousset sa « Cuzzoni », en référence à une des chanteuses haendeliennes les plus célèbres, elle parvient à animer les airs enjoués comme les plus grandes lamentations avec la même crédibilité. Cet aria de paragone où l’héroïne chante le vol de l’épervier qui fond sur sa proie est l’occasion de notes piquées épatantes car toujours surprenantes, jamais mécaniques, et offre un chant empli d’énergie. Ce sont ces qualités qui font également d’elle la meilleure Atalanta (Serse) que l’on connaisse, la bravoure ne délaissant jamais complètement l’espièglerie, pas plus que la tristesse, comme en témoigne l’air d’Arianna qui ouvre cet article. A l’image de ses Cleopatra, Alcina ou Asteria, ses héroïnes conservent une hargne douloureuse jusque dans le désespoir le plus profond. On admire ici aussi comme elle joue avec le texte (les voyelles trainantes ou les fins de phrases soudain privées de soutien comme pour signifier l’abîme au bord duquel se trouve le personnage) et le souffle (quelle façon de doser la stridence !), sans parler de l’intelligence des variations, qui donnent encore plus de vie au personnage et n’ont rien de simplement décoratif. Pour se repaître de ce chant haendélien iconique, on plongera sur son magnifique récital Opera Seria dirigé par Christophe Rousset, dont voici un extrait.

Une telle science du verbe, cette justesse des effets, ces mots qui semblent décharger le personage d’un trop plein d’émotion, c’est dans la tragédie lyrique qu’elle les a appris. Confinée dans des rôles secondaires pendant trop longtemps, elle ose enfin aujourd’hui incarner les protagonistes de façon stupéfiante. Ce retour aux sources, elle l’a symbolisé par un superbe récital, Le Triomphe de l’Amour. On y trouve notamment cet air de vengeance de Rebel & Francoeur. Superbement accompagnée par Jerôme Corréas et ses Paladins, elle s’y montre cassante, déchainée, son diamant se met soudain à lacérer sa victime. Preuve qu’une voix peut être transcendée par l’expressivité, pour peu que cela soit fait avec autant d’intelligence de ses propres moyens et du texte.

A la croisée de la tragédie lyrique et de l’opéra italien, on trouva d’abord l’opéra hambourgeois, par lequel Haendel fit ses premières armes (Almira). Sandrine Piau y a consacré un récital avec l’Akademie für alte Musik de Berlin, mais seuls les morceaux instrumentaux sont hélas parus au disque. Dans cet air à contraste issu du Croesus de Keiser, on entend alternativement Elmira hébétée par ses sentiments et agitée par une joie feinte, nous sommes aux sources de l’aria da capo de l’opera seria. C’est peu dire que Sandrine Piau excelle autant dans les lignes aériennes, touchantes de simplicité, que dans les tremblements hérissés de notes piquées.

Dans Mozart comme chez Vivaldi nous trouvons souvent que son chant manque de pulpe, en raison de la faible épaisseur de sa voix. Sandrine Piau n’en reste pas moins formidable dans les airs seria qui ne sollicitent pas trop le registre grave, comme pour cet air de tempête de la Betulia liberata. Elle y poitrine élégamment, va chercher des aigus haut-placés, sans jamais négliger le cantabile et la théâtralisation du texte. Quelle charge émotionnelle dans la partie B qui n’a ici rien de reposant en attendant la reprise dal segno, comment ne pas succomber au charme de ses syllabes retenues sur « sospirar » ?

Pour ne pas rompre le charme, rendez-vous à Paris salle Gaveau dans un programme Mozart, Bach et Sarti le 9 novembre prochain.  

 

Discographie

Nous renvoyons pour la liste de ses disques à la page Wikipédia de Sandrine Piau que nous avons complétée pour l’occasion.

Interprétations uniquement à la radio/TV

Gluck, La Clemenza di Tito, Langrée (Paris 1996)
Handel, Admeto, Rousset (Beaune)
Handel, Arianna in Creta, Rousset (Beaune 2002)
Handel, Guilio Cesare, Jacobs (Paris 2008)
Handel, Tamerlano, Rousset (Paris 2005)
Handel, Alcina, Rousset (Bruxelles 2015)
Handel, Ariodante, Marcon (Aix 2014)
Handel, Clori, Tirsi e Fileno, von der Glotz (Aldersbach 2003)
Handel, Brockes Passion, Weiss (Cuenca 2009)
Hasse,  Serpentes ignei in deserto, Corréas
Holzbauer, Dido, Bernius (Schwetzingen 1997)
Mozart, La Finta Giardiniera, Eggar (Bruxelles 2011)
Mozart, Il Re Pastore, Cohen-Akenine (Paris 2006)
Mozart, Davide penitente, Christie (Aix 1991)
Telemann, Brockes Passion, Jacobs (Bruxelles 2005)
Vivaldi, Vespro per la festa del Redentore, Fasolis (2004)

Récital, Sources de l’opéra français, Corréas (Versailles 2013)
Récital, L’Opéra à Hambourg, Forck (Vienne 2008)

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