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Jean-Baptiste LULLY

AMADIS

Tragédie en musique sur un livret de Philippe Quinault

Françoise Masset : Corisande
Céline Ricci : Arcabonne
Guillemette Laurens : Oriane
François-Nicolas Geslot : Amadis
Bertrand Chuberre : Florestan
Florian Westphal : Arcalaüs
Camille Poul : Urgande

La Simphonie du Marais
Choeur du Marais

Dir. Hugo Reyne

3 CDs Accord 4448549, enr. live 11 juillet 2006
lors du Xe Festival de la Chabotterie



Pour les fêtes de fin d’année, cette critique se veut originale, loin de l’éternelle litanie contexte/solistes/chœur/orchestre/appréciation générale à laquelle nos lecteurs sont habitués. Aussi avons-nous décidé d’abandonner un instant une respectabilité durement conquise pour vous présenter cette prose post-moderne et, espérons-le, divertissante.

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« Que vois-je ? Amadis ! »



La scène se déroule dans la salon de musique du critique. Confortable canapé où les protagonistes sont assis. Etagères couvertes de disques, murs où sont accrochés des autographes de chanteurs. Matériel audiophile. Enormes haut-parleurs plaqués merisier. Table basse avec rafraîchissements.

Prologue (non dédié à la gloire du Roi)

V.L.N. : Ah, quelle belle tragédie lyrique que cet Amadis ! Après une précédente Isis assez aride, voyons un peu que vaut ce nouvel et huitième opus des incursions d’Hugo Reyne chez la Musicien du Soleil.

M.M. : Ah bon ? Moi, j’étais présente à la Chabotterie cet été, et j’ai hâte de confronter mes souvenirs avec cet enregistrement.

V.L.N. : Hélas, je n’ai pas eu ce plaisir. Au passage, l’illustration du boîtier est bien laide, j’espère que le contenu ne sera pas à son image (met le disque dans sa platine).

Acte premier et unique

Scène 1
Fin d’après-midi. Nos jeunes critiques sont encore frais et dispos. Petit carnet sur les genoux.

V.L.N. (d’un air pontifiant) : Voilà une belle ouverture, grave et noble, avec l’ampleur suggestive nécessaire pour ouvrir le drame. Lorsqu’on se souvient des premiers volumes de ce voyage en terres lullystes - sauf l’Idylle sur la Paix - l’on sent que le chef a gagné en assurance et en opulence.

M.M. : cela s’annonce bien : l’ouverture s’enchaîne sur un charmant duo soutenu par des cordes lancinantes et un basson, on dirait un air de sommeil.

(écoutent l’intégralité du prologue en silence)

V.L.N. : Décidément, ce Prologue est magnifique, avec de très nombreuses danses.

M.M. : Et l’on observe dès ce stade l’utilisation renouvelée de l’orchestre par le Florentin, beaucoup plus présent, passant du stade d’accompagnateur à acteur à part entière.

Scène 2
Début de soirée. La lumière de la rue pénètre dans la pièce à travers les stores vénitiens. Les jus de fruits cèdent la place à une bouteille de whisky.

M.M. (espiègle) : Que pensez-vous de ces deux premiers actes ?

V.L.N. : J’admire la grande attention des chanteurs à la prosodie et au texte. Nous n’avons même pas eu besoin du livret pour suivre l’intrigue.

M.M. : Toutefois, j’ai quelques réserves à formuler quant aux solistes…

V.L.N. : Il est vrai que le Florestan de Bertrand Chuberre n’est pas très stable malgré de belles couleurs et que les aigus de François-Nicolas Geslot sont un peu forcés.

M.M. : Surtout notre Amadis paraît bien fade et peu impliqué, alors qu’Hugo Reyne écrit lui-même dans la notice qu’ « Il est important de ne pas tomber dans un caractère larmoyant et de conserver le côté héroïque d’Amadis ».

V.L.N. : Ah, si seulement Howard Crook ou Guy de Mey étaient là ! Vivement le DVD d’Atys ! Pour revenir au disque, Françoise Masset conserve toujours ce timbre très métallique…

M.M. : Je la trouve quand même nettement plus musicale que dans Isis, mais ses aigus agressifs m’indisposent.

V.L.N. (galant) : Nous sommes du même avis, comme d’habitude. Au risque de me répéter, je trouve ici l’écriture de Lully particulièrement inventive et fluide, avec ces ritournelles, chœurs et récitatifs entièrement mêlés. On sent qu’on entre dans ce que les musicologues appellent le second âge de la tragédie lyrique lulliste.

M.M. : Et cette grandiose scène de tournoi avec les marches pour timbales et trompettes est tout à fait admirable.

V.L.N. : J’en profite pour vous faire observer que pour la première fois Quinault abandonne les Dieux de l’Olympe pour de preux paladins du Moyen-Age.

M.M. : Sur le conseil de Louis XIV…

V.L.N. : Exactement. Mais laissons-là ces aspects historiques déjà explicités dans le livret.

Scène 3
Fin de soirée. Nombreuses bouteilles. Pas d’autres commentaires sur le professionnalisme de notre duo gentiment affalé sur le canapé.

V.L.N. (d’une voix légèrement pâteuse) : La progression dramatique et musicale doit être louée. En effet, la musique de Lully se distille comme un poison insidieux, et nécessite du temps et de la persuasion pour que le climat s’installe. Hugo Reyne a su trouver le rythme adéquat.

M.M. (d’une voix animée et aigüe) : Quel dommage que Céline Ricci, son timbre ingrat, ses aigus acides et sa diction problématique déparent cette réalisation ! J’ai eu du mal à supporter son « Amour, que veux-tu de moi » de l’acte II mais lorsqu’elle s’invente des graves pour l’acte infernal ! Où est Rachel Yakar et son tempérament volcanique ?

V.L.N. (ne répondant manifestement pas à la réflexion précédente, d’un air borné) : Moi j’aime bien le monologue d’Amadis « Bois, redouble ton ombre ».

Scène 4
Petit matin. Nos deux rédacteurs en robe de chambre prenant le petit-déjeuner.

V.L.N. : Tu n’as même pas parlé de Guillemette Laurens ?

M.M. : C’est vrai. La voix est un peu moins agile qu’autrefois mais a conservé son élégance, sa légèreté, sa pureté.

V.L.N. : Et dire qu’elle incarne une Arcabonne psychologiquement troublée…

M.M. (désireuse de changer de sujet de conversation) : Pour résumer, la distribution est correcte, sans éclat. Mise à part Guillemette Laurens, au casting suspect, personne ne se distingue vraiment.

V.L.N. : Heureusement, les chœurs sont cohérents et bien équilibrés, et l’orchestre très engagé. Je m’étonne même de la justesse des cordes pour un enregistrement live. Peut-être qu’un peu plus de percussions aurait été bienvenu dans les danses.

M.M. : Jamais content ! Bon, peut-être pourrais-tu arrêter de faire tourner en boucle la grande Chaconne finale qui préfigure celle d’Armide ?


 
Viet-Linh NGUYEN


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