| 
             
            Inutile de rouvrir le procès de l’Église, d’énumérer les 
charges, depuis l’interdiction des femmes, selon une lecture obtuse et misogyne 
de saint Paul, jusqu’à leur expulsion des théâtres de Rome, du prêtre de village 
qui recrute de jeunes soprani jusqu’aux papes successifs : tirer ce fil 
et c’est toute l’histoire du belcanto qui se dévidera. Le subterfuge, 
purement formel, est simple : un certificat de complaisance en poche, le père 
confie son fils à un cardinal, par exemple, qui se charge souvent de tout : 
l’opération, la formation et la subsistance du rejeton. Officiellement, l’Église 
condamne la castration, tout comme le Droit, mais, intéressée, elle ne conteste 
pas le diagnostic des médecins et laisse ses casuistes développer les arguties 
les plus captieuses : 
            
            La voix est une 
faculté plus précieuse que la virilité, puisque c’est par la voix et le 
raisonnement que l’homme se distingue des animaux. Si donc pour embellir la voix 
il est nécessaire de supprimer la virilité on peut le faire sans impiété. 
            
            La mutilation est d’autant moins impie que Sayer précise, 
argument suprême : 
            
            Or, les voix de 
soprani sont tellement nécessaires pour chanter les louanges de Dieu qu’on ne 
saurait en mettre l’acquisition à un prix trop élevé. 
            
            J. Rosselli note que l’enfant devait donner son 
autorisation, voire signer un papier – preuve, évidemment factice, que la nature 
n’est pas violentée. Il ajoute que plusieurs garçons ont exprimé eux-mêmes le 
souhait d’être castrés. 
C’est un argument souvent avancé par les nostalgiques du belcanto. Étant 
donné le conditionnement dont ces garçons devaient faire l’objet, les pressions 
familiales et sociales, quelle part de libre arbitre pouvaient-ils conserver, à 
supposer qu’ils fussent assez mûrs, du haut de leurs huit ou dix ans, pour 
prendre une telle décision ? Plutôt que de parler de volontaires, il faudrait 
parler d’enfants manipulés et inconscients. 
            
            Le pape Benoît XIV 
(1740-1768) a le mérite de reconnaître la monstruosité du crime, mais il évite, 
plus habilement qu’il n’y paraît, de s’engager dans une voie humaniste : 
            
            ces faits ne 
nous mettent pas dans l’obligation de prononcer une défense absolue qui mettrait 
les évêques dans une position difficile en les exposant à perdre une partie de 
l’affection des peuples, dont ils ont tant besoin. 
            
            En fait, le Pape ne redoute probablement pas tant 
de priver les peuples de leur plaisir favori, toutes classes confondues, que de 
décevoir les attentes de nombreuses familles, humbles, qui rêvent de sécurité 
financière et d’ascension sociale. La castration semble bien faire l’objet d’une 
entente unanime et tacite au sein de la société italienne, ainsi que le suggère 
J. Rosselli. 
            
            [ -lire la suite- ] 
            
             |