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Concert Pygmalion/Raphaël Pichon – Paris (Philharmonie)

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Spectacle
22 mai 2025
Un requiem pour Ophélie

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Hector Berlioz (1803-1869)

Méditation religieuse – extrait de Tristia

Ambroise Thomas (1811-1896)

Hamlet – extraits

Acte V : « Ô séjour du néant ! »

Acte V : « La fatigue alourdit mes pas… Comme une pâle fleur »

Acte I : Entracte

Acte II : « Sa main depuis hier… Adieu, dit-il »

Acte I : Scène du spectre

Acte III : « Être ou ne pas être »

Acte IV : Ballet et chœur « Voici la riante saison »

Acte IV : « À vos jeux, mes amis… Doute de la lumière »

Hector Berlioz (1803-1869)

Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet – extrait de Tristia

Gabriel Fauré (1845-1924)

Requiem – version de 1900

Détails

Sabine Devieilhe (soprano)

Stéphane Degout (baryton)

Chœur et orchestre Pygmalion

Direction musicale
Raphaël Pichon

 

Philharmonie de Paris, 20 mai 2025, 20h

Celles et ceux qui ont eu la chance de voir, en 2018 ou 2022, Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra-Comique se souviennent du couple idéal et déchirant qu’y formaient Sabine Devieilhe et Stéphane Degout. Dans une série de concerts européens qui vient de s’achever hier soir à la Philharmonie de Paris, ils recréent la magie d’alors sous la baguette de Raphaël Pichon dans un programme mêlant Thomas, Berlioz et Fauré. De morceaux épars, le chef crée ainsi un « requiem pour Ophélie », qui commence après la séparation des amants – on n’entendra donc pas, hélas, le superbe duo « Doute de la lumière » –, qui se veut voyage tragique dans les souvenirs d’Hamlet aboutissant à l’apaisement par le Requiem de Fauré.

S’ensuivent donc presque deux heures de musique, sans entracte, sans aucun applaudissement, dans une tension continue, soutenue par des coups de cloches lugubres, scandant le drame à intervalles réguliers. À la tête de l’ensemble Pygmalion, orchestre et chœur, Pichon est l’alchimiste de la soirée, dirigeant les trois compositeurs avec la même audace combinée à un recueillement quasi religieux. Avec les sonorités sobres, presque assourdies de son orchestre, il rapproche la « Méditation religieuse » de Berlioz d’un monologue de tragédie lyrique, servi en cela par un chœur à la diction impeccable et d’un seul homme, au son pur et droit. Les extraits d’Hamlet de Thomas, enchaînés d’une traite après ce premier morceau, semblent d’abord comme infusés par la musique de Berlioz, puis s’en affranchissent peu à peu, notamment dans les airs d’Ophélie, dont Pichon assume totalement les aspects les plus belcantistes et « Grand opéra ». Il alterne un lyrisme débordant, généreux, notamment dans les rappels du thème du duo d’amour dans « Sa main depuis hier », et un rappel perpétuel du drame, à travers les accents secs des cordes qui scandent « Être ou ne pas être » ou les stridences trillées des violons dans la scène de folie d’Ophélie. Dans ce contexte, le chœur « Voici la riante saison », qui introduit cette même scène, paraît une dissonance inconfortable, dont le tempo accéléré et le brillant un peu tapageur ne sont plus le fait des exigences formelles du « Grand opéra » mais bien une ironie assumée. Enchaînée sans transition à la mort d’Ophélie, merveilleusement soutenue par le déchirant chœur en bouche fermée, la « Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet » de Berlioz, dont Pichon et son orchestre soulignent la solennité lugubre, évitant toute grandiloquence, vient parfaitement clore ce premier volet du concert. Le Requiem de Fauré qui s’ensuit est épuré, charnel, une vraie lutte entre horreur et acceptation de la mort. On ne sait qu’admirer de plus du solo de violon si délicat qu’il touche à la transparence du « Sanctus », du « Pie Jesu » éthéré à la ligne céleste d’une Sabine Devieilhe en état de grâce ou du « Libera me » frémissant entonné par un Stéphane Degout bouleversant d’humanité et repris par un chœur bouleversant.

Au service de la vision du chef, deux solistes exceptionnels donc, Sabine Devieilhe et Stéphane Degout, qui partagent le même art du mot, la même probité artistique respectueuse et attentive au moindre détail de chaque partition. Degout retrouve en Hamlet un personnage qu’il a incarné à de nombreuses reprises et auquel il confère une riche vie intérieure, dont on aperçoit les multiples facettes dans la palette de nuances expressives d’un « Être ou ne pas être » introspectif. Son air « Comme une pâle fleur », passage peut-être un peu faible et convenu de l’œuvre de Thomas, prend une dimension toute autre précédé par la « Méditation religieuse » de Berlioz, dont Degout emprunte la solennité songeuse avant de laisser libre cours à des éclats de voix plus romantiques, rappelant fortement son interprétation des Nuits d’été. L’invocation du Spectre qui est, dans l’opéra complet, l’une des meilleurs scènes de Degout, transformée ici en invocation au fantôme d’Ophélie et non de son père, n’est pas en reste. Gommant l’effroi respectueux de ses interprétations précédentes de cette scène, il lui confère des accents plus tendres qui vont droit à l’âme de l’auditeur. Face à lui, que dire encore de l’Ophélie de Sabine Devieilhe ? Tous les superlatifs ont déjà été utilisés pour décrire la délicatesse bouleversante de son héroïne éthérée. Bien sûr, la technique est renversante, le suraigu économisé avec bon goût, les aigus cristallins, le médium de plus en plus charnu, le registre grave un peu faible mais touchant de réel et de corps. Mais quelle grâce, quelle intelligence ! Les piani du bout des lèvres dont elle distille « Adieu, dit-il », l’articulation délicate et déchirante de chaque mot, sont un contraste magnifique avec la vocalise extravertie et le lyrisme éclatant de « Les serments ont des ailes ». Et dans la scène de la folie, quel art du contraste… Le parlé-chanté brusque et déchirant dans le récitatif, sur « Et vous, pourquoi vous parlez bas ? », le legato halluciné et transparent de « Pâle et blonde », les accents droits et étranges de sa danse triste, le débordement éclatant de l’envolée « Ah, mon cher époux » et enfin la délicatesse cristalline de la ligne dans la reprise de « Doute de la lumière », quel miracle ! Et l’on se prend, nécessairement, à rêver de la Lucie de Lammermoor, version française, qu’elle va être à l’Opéra-Comique dans un an…

Concert impeccable, plongée bouleversante dans la psyché du héros shakespearien, cette soirée se finit sur une standing ovation amplement méritée. Une soirée mémorable.

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Ambroise Thomas (1811-1896)

Hamlet – extraits

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Acte II : « Sa main depuis hier… Adieu, dit-il »

Acte I : Scène du spectre

Acte III : « Être ou ne pas être »

Acte IV : Ballet et chœur « Voici la riante saison »

Acte IV : « À vos jeux, mes amis… Doute de la lumière »

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Requiem – version de 1900

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Stéphane Degout (baryton)

Chœur et orchestre Pygmalion

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Raphaël Pichon

 

Philharmonie de Paris, 20 mai 2025, 20h

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