C’est en 1613 que La Passion a été jouée pour la première fois à Erl, ce qui constitue la date la plus ancienne des pays de langue allemande pour un tel spectacle. Depuis 412 ans, les habitants du bourg, épargnés par la peste, les guerres et les luttes religieuses, ont fait vœu de représenter tous les six ans sur scène la Passion du Christ, accompagnée de musique et de chœurs. Au fil des siècles, elle a été jouée dans quatre théâtres successifs, jusqu’à ce que le dernier soit incendié en 1933. Une interruption de vingt-six ans s’ensuivit, jusqu’à la construction en 1959 du théâtre actuel (architecte Robert Schuller). Pouvant accueillir 1500 spectateurs, il dispose d’une scène de 400 m², avec une ouverture de 25 mètres. Par la suite, le festival lyrique d’Erl l’occupera, sauf l’année des spectacles de la Passion.
Quelles que soient sa religion, sa culture et ses croyances, on ne peut être qu’impressionné par un tel spectacle, marqué par une ferveur partagée entre la scène et la salle. Comme le veut la tradition, tous les acteurs bénévoles sont recrutés sur place, et continuent par ailleurs d’exercer leur métier. Ils sont près de 600, et représentent à peu près le tiers de la population du bourg. Il ne s’agit bien sûr pas d’opéra, mais d’une pièce de théâtre parlé, accompagnée d’une musique orchestrale et de chœurs d’adultes et d’enfants. D’une durée de 3 heures et demi, il se compose de 26 tableaux qui s’enchaînent à un rythme soutenu.

La mise en scène de Martin Leutgeb est d’une grande fluidité, avec une maîtrise absolue des masses de figurants qui entrent, sortent et se déplacent avec une aisance confondante. Pas une fausse note d’attitude, ni de ton pour les rôles parlés, ce qui est étonnant à voir la diversité des âges des protagonistes, dont le plus jeune doit avoir à peine dépassé un an. Le dispositif scénique d’Hartmut Schörghofer est à la fois grandiose et complexe, séparant la scène en trois parties : à gauche, un grand escalier de 45 marches à la Josef Svoboda, s’enfonce dans les dessous. À droite, un grand espace permet au peuple de s’assembler sous le contrôle des soldats romains. Enfin, en fond de scène, de grandes plaques, formant une espèce de puzzle, bougent continuellement, découvrant les chœurs, parfois le chef ou un musicien de l’orchestre, et des espaces mystérieux, grottes ou fontaine. Les costumes de Juliane Herold sont particulièrement soignés, et de tout cet ensemble se dégage une impression de très grand professionnalisme.
Le texte de Martin Leutgeb est plutôt astucieux, car il permet de raconter une histoire bien connue sans créer de discontinuité, et tout en soutenant l’intérêt. Pas de surtitrage toutefois, seuls les noms des tableaux apparaissent en allemand et anglais au-dessus de la scène. La musique originale de Christian Kolonovits est de belle facture, à la fois néo-classique et contemporaine, elle donne bien le côté « peplum » sans pour autant tomber dans l’écueil du pastiche ou du film de série B. D’excellents musiciens accompagnent les impeccables chœurs locaux d’adultes et d’enfants. Les acteurs, tous épatants, se dépensent sans compter pour que continue de vivre cette institution historique. Une véritable passion partagée par tous. Ce spectacle est joué les samedi et dimanche jusqu’au 4 octobre 2025. Prochain rendez-vous, avec un spectacle entièrement renouvelé (texte, musique et mise en scène) en 2031.