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Théo Imart : « Je rêverais de chanter Sesto, Ruggiero ou Nerone »

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Interview
25 août 2025
À peine sorti d’une participation remarquée dans La Calisto au Festival d’Aix-en-Provence cet été, le contre-ténor Théo Imart revient sur son parcours et dévoile ses projets à venir. Au programme : le baroque, naturellement, des débuts attendus à l’Opéra de Paris et l’enregistrement d’un disque avec l’Opéra de Versailles.

Infos sur l’œuvre

Détails

Quel chemin vous a conduit vers la musique classique ?
Je suis tombé dans la musique classique par hasard, personne dans ma famille n’en faisait. À neuf ans, ma mère a vu une annonce pour des auditions à la Maîtrise des Bouches-du-Rhône. Sans savoir à quoi m’attendre, j’ai intégré la pré-maîtrise en CM2. Ce monde était totalement nouveau pour moi, mais il m’a plu tout de suite. Cela représentait aussi pour mes parents une alternative éducative, car le collège où j’aurais dû aller était assez difficile. Avec dix heures de musique par semaine et toujours les mêmes camarades, nous tissions des liens forts. C’était à la fois scolaire et passionnant ; je faisais aussi beaucoup de foot, la musique venant comme une matière supplémentaire et particulière. Ce n’est que plus tard que la musique est devenue une passion. Au collège, elle était intégrée au cursus ; au lycée, avec les Jeunes Chœurs, elle devenait un choix : répétitions en soirée, concerts le week-end. J’ai failli arrêter plusieurs fois, mais mes parents m’ont poussé à continuer, sentant que la musique avait un rôle apaisant et bénéfique pour moi. Ma mue lente m’a permis de garder ma tessiture aiguë, sans passage intermédiaire par une voix plus grave comme beaucoup de mes collègues.

Comment avez-vous vécu cette période de changement de voix ?
Au collège, certains perdaient leur voix du jour au lendemain. Pour moi, la mue a été très lente : parfois je devais baisser le volume pour éviter une cassure, ou au contraire pousser un peu. Au lycée, on m’avait classé en ténor, sans que je comprenne vraiment pourquoi ; c’est là que j’ai commencé à saisir ce qu’était un contre-ténor. Mon professeur, Samuel Coquard, trouvant que j’avais de réelles facilités, m’a conseillé de me consacrer complètement au chant. Mais beaucoup de questions se posaient : notamment, comment vit-on de ce métier ? J’ai donc passé un DUT comme plan B, avant de me consacrer uniquement à la musique. À 20 ans, j’hésitais entre étudier le chant à Londres ou à Paris. Mais quitter Marseille pour Londres, inconnu et coûteux, me semblait risqué. Je suis donc venu à Paris, il y a dix ans maintenant, pour tenter ma chance avec cette voix dont on me disait qu’elle avait du potentiel.

Aviez-vous déjà des modèles ou des références à l’époque ?
Pas du tout. J’ai commencé à écouter de la musique classique assez tard, un peu avant de monter à Paris, surtout chez mon professeur. À mon arrivée à l’École normale de musique de Paris, ma professeure Mireille Alcantara m’a demandé de changer un peu de répertoire, d’écouter davantage de musique, et m’a donné une longue liste de compositeurs, d’opéras et de rôles, du baroque au romantique, en passant par la mélodie et le Lied. L’avantage – et l’inconvénient – de l’école, c’est qu’il y avait peu de cours, donc beaucoup de temps libre pour se construire musicalement. Au départ, j’écoutais peu de contre-ténors. La première artiste qui m’a marqué a été Magdalena Kožená, avec son album de cantates de Bach. Cela résonnait avec mon expérience à la Maîtrise, et sa voix, proche du soprano, me parlait beaucoup. Je regardais aussi ses rôles, de Mozart au baroque, auxquels je m’identifiais. Ce n’est que plus tard que je me suis ouvert aux contre-ténors : Andreas Scholl, surtout dans Bach, puis Philippe Jaroussky dans Vivaldi, et enfin Franco Fagioli.

Comment avez-vous développé votre technique vocale ?
J’avais certaines facilités, mais il manquait un legato, une homogénéité, de la rapidité dans les coloratures… et surtout une base solide. Ma voix semblait fragile : je me fatiguais vite, je devais constamment faire attention à ne pas la solliciter en dehors des répétitions. Elle s’est construite au fil des années, en même temps que je mûrissais dans cette tessiture. Mireille Alcantara m’a énormément aidé, en me faisant travailler comme une mezzo-soprano, c’est-à-dire en voix de tête. J’ai ainsi abordé un répertoire très large : l’opéra baroque bien sûr, mais aussi des mélodies de Bellini, des mélodies françaises, des Lieder, de l’opéra romantique ou des opérettes. Ce travail éclectique a façonné ma projection, mon timbre et ma souplesse. Je pense que si je m’étais limité à la musique baroque, ma voix ne se serait pas développée de la même manière. Mireille Alcantara avait une oreille redoutable : elle savait détecter le manque d’harmoniques graves ou aiguës pour enrichir le son. Une autre étape importante pour moi a été la rencontre avec la metteuse en scène Mireille Laroche, qui m’a aidé à me libérer scéniquement. Enfant, j’avais un peu honte de chanter de la musique classique à Marseille, et cette réserve se ressentait. Mireille Laroche m’a appris à creuser le texte, à comprendre pourquoi on dit chaque phrase, ce qui change complètement l’interprétation… et aide aussi techniquement.

À quel moment avez-vous décidé de faire du chant votre métier ?
Assez tard. Étudiant, j’étais ouvreur à l’Opéra de Paris, ce qui m’a plongé dans le monde musical et renforcé ma passion. Mais j’avais l’impression que ma voix était mal comprise, et la concurrence avec les mezzos rendait difficile l’accès aux rôles. Le tournant est venu en 2018, lorsque j’ai été sélectionné au Jardin des Voix. C’était la première fois que des professionnels validaient ma technique et ma musicalité. Je devais en outre chanter un opéra de Mozart avec un rôle vraiment écrit pour voix aiguë (Ramiro dans La Finta Giardiniera, créé par un castrat). L’audition, devant William Christie et Paul Agnew, a été un moment intense. La tournée, même si elle a été écourtée par le Covid, a été incroyable, de Nantes à Moscou en passant par Vienne. Même avec le stress, je me disais : « Je vis pour ça ». C’est à ce moment que j’ai vraiment su que je voulais en faire mon métier. Le Covid a bouleversé beaucoup de choses, mais j’ai quand même eu la chance d’être contacté par le Théâtre de Bâle pour une production de Monteverdi (Amor/Juno/Amphinomos dans Le Retour d’Ulysse). J’y ai rencontré Krystian Lada, un metteur en scène qui m’a fait confiance, et on a beaucoup travaillé ensemble. Pendant cette période difficile, retrouver la scène m’a apporté une immense joie.

Cet été, vous avez participé à La Calisto et fait vos débuts au Festival d’Aix ?
Oui, cela a été un moment important. En 2022, j’avais participé à l’Académie du Festival d’Aix, ce qui m’avait ouvert des portes. J’étais ravi qu’on me propose le rôle de Satyre dans l’opéra de Cavalli, qui convenait parfaitement à ma voix. La production a été exceptionnelle, avec une vraie cohésion entre chanteurs, un chef à l’écoute, des décors magnifiques, le Théâtre de l’Archevêché avec son ciel étoilé rendant le tout magique. Les retours ont été très positifs, France Musique et Harmonia Mundi ont enregistré la production. C’était une expérience très forte, et j’ai eu un peu de nostalgie quand tout ceci a été fini.

Vous collaborez régulièrement avec l’Orchestre de l’Opéra Royal du Château de Versailles, des projets sont-ils prévus avec eux ?
Oui absolument. L’an dernier il y a eu une grande tournée en Asie sur 25 jours, avec un rythme intense : presque cinq concerts par semaine, parfois quatre soirs de suite dans des villes différentes, des déplacements incessants, un vrai marathon ! Les lieux et l’accueil étaient incroyables, surtout dans des villes où peu d’orchestres internationaux passent habituellement. La dernière étape était à Oulan-Bator, en Mongolie, suivie par un voyage épuisant vers Hanoï pour deux concerts le même jour. Je retourne en Chine en octobre, invité par le Suzhou Orchestra, j’attends ce moment avec impatience.
J’ai par ailleurs d’autres projets avec l’orchestre à la rentrée : un concert au Salon d’Hercule et un CD de cantates profanes de Vivaldi. Avec Laurent Brunner, nous avions le projet de regrouper dans un même album des cantates avec continuo et avec orchestre, ce qui est rare. Par ailleurs, je chanterai le rôle de Polinesso dans Ariodante de Haendel. J’étais un peu hésitant car la tessiture est plutôt grave, alors que je suis plutôt mezzo ou soprano, mais le rôle est fascinant. Mais j’ai déjà chanté des parties plus graves, comme cet été dans La Calisto, et cela sonnait très bien. Je suis plus flexible aujourd’hui, je lâche un peu prise sur ma voix. De plus, Versailles a une acoustique extraordinaire, ma voix s’y projette très bien.

Vous ferez également vos débuts en 2026 à l’Opéra national de Paris ?
Oui, je vais participer à une grande production baroque inédite, avec la création scénique de l’Ercole amante d’Antonia Bembo à l’Opéra Bastille, sous la direction de Leonardo García Alarcón. Je chanterai le rôle du Page, avec deux airs et un duo dans le style de Cavalli.

Y a-t-il des rôles que vous rêvez de chanter ?
Oui, plusieurs. Sesto dans Giulio Cesare de Haendel, un rôle que j’ai beaucoup travaillé. Curieusement, je n’ai encore jamais fait de production de Haendel, mais ce sera bientôt le cas avec Ariodante. J’aimerais également chanter Ruggiero dans Alcina, un rôle que j’adore écouter. Mozart m’attire beaucoup également. J’ai déjà chanté Idamante dans Idomeneo, Ramiro dans La Finta Giardiniera, Chérubin. J’ai préparé l’aria « Parto » de Sesto dans La Clémence de Titus pour la finale de la Paris Opéra Compétition, ainsi que pour le récital à venir en Chine, sous la direction de Victor Jacob. C’est un air que je propose fréquemment en audition, mais que j’enlève souvent à la dernière minute. Il est très risqué : un manque de sommeil ou un tempo mal calé avec l’orchestre ou le pianiste, et tout peut s’écrouler. Un autre rôle que j’espère un jour interpréter, c’est Nerone dans Le Couronnement de Poppée. J’ai le sentiment que ce rôle est vraiment écrit pour ma voix.

Et en dehors du baroque ?
J’ai beaucoup travaillé la mélodie française (Fauré, Gounod), ainsi que l’opéra-comique et l’opérette. J’ai ainsi chanté dans La Colombe de Gounod ou encore dans La Belle Hélène avec Pierre Dumousseau. Il s’agit d’un répertoire que j’aimerais vraiment continuer à explorer. Dans l’opéra romantique, il y a beaucoup de rôles travestis, souvent confiés à des mezzos. Mais je suis convaincu que si les contre-ténors avaient existé à l’époque, des compositeurs comme Gounod, Massenet, Offenbach auraient écrit pour eux. J’adore aussi la création contemporaine, les metteurs en scène y recherchent justement ces couleurs différentes.

Pour finir, un petit Questionnaire de Proust :

Si vous étiez chef d’orchestre, quel opéra aimeriez-vous diriger ?
Orphée et Eurydice de Gluck, dans sa version Berlioz.

Un rôle de soprano féminin que vous aimeriez chanter ?
C’est une question difficile, il y a tellement de catégories : lyrique, colorature, dramatique, etc. Mais si je devais choisir, je dirais Violetta dans La Traviata. C’est un rôle magnifique, que j’aime beaucoup.

Une œuvre ou un compositeur que vous avez du mal à apprécier ?
Wagner. J’adore écouter ses ouvertures, et il y a beaucoup de moments magnifiques dans ses opéras, mais parfois des longueurs où j’ai du mal à accrocher.

Votre opéra baroque préféré ?
Alcina de Haendel. L’œuvre est extraordinaire et le rôle-titre magnifique.

Un disque lyrique de chevet ?
L’album Bach Arias avec des extraits de Cantates chantés par Magdalena Kožená. C’est un disque que j’écoute souvent.

Enfin, le joueur de football que vous admirez le plus ?
Zinédine Zidane.

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