En expert des coûts des productions d’opéra, Verdi déplorait la décision prise à Busseto de l’honorer en édifiant un nouveau théâtre à son nom, parce que l’édifice serait onéreux et l’entreprise sans avenir. Néanmoins il y participa financièrement, par un don et par l’acquisition d’une loge. C’est dans cette bonbonnière de trois cents places que le Festival Verdi 2025 présente la première version de Macbeth, celle qui fut créée à Florence en 1847.
D’emblée, le dispositif conçu de concert, on l’imagine, entre Manuel Renga, le metteur en scène, et Aurelio Colombo, qui signe décors et costumes, frappe par son importance si on le rapporte aux dimensions du lieu. L’ouverture de la fosse est invisible depuis les rangs d’orchestre, masquée par un large praticable dont les retours latéraux jusqu’au plateau augmentent l’espace disponible pour les déambulations des solistes. C’est ingénieux, de même que l’utilisation de grands rideaux permet les changements de lieu, les lumières d’ Emanuele Agliati contribuant à souligner avec les fumées de scène, parfois pesamment, les climats dramatiques. Le décor, outre le jeu des rideaux, change avec les accessoires, une niche carrée dans l’espace central cernant l’espace privé de Lady Macbeth, d’où elle peut rejoindre l’espace commun par un escabeau disposé à vue, et où surgira la vision effrayante lors du banquet. Certains détails restent sibyllins, comme les tracts ( ?) que se partagent les sorcières, ou les feuilles de métal, vigne, figuier, platane, main stylisée, aperçues de temps en temps.
On a noté, chez Manuel Renga, le respect étroit du texte, le jeu des personnages étant directement lié à ce qui est dit, par exemple quand Macbeth titube après la prédiction et que Banco le remarque. Manuel Renga porte-t-il la même attention à la musique ? Si la question se pose, c’est parce qu’il a donné à la chorégraphe Paola Lattanzi la latitude, pour nous excessive, de faire intervenir des danseurs, soit en groupe, soit seuls, même lorsque le découpage dramatique ne l’a pas prescrit, ce qui capte l’attention et la détourne de l’essentiel, le rapport entre le texte et la musique. Le talent des interprètes n’est pas en cause : il est indéniable et la chorégraphie surmonte bien l’écueil, de la répétitivité, même si l’entrée des esprits aériens en rampant a de quoi déconcerter. Mais ces présences et leurs évolutions, pour séduisantes qu’elles puissent être, nous ont souvent semblé gratuites et inopportunes. On s’est ainsi demandé si un déplacement de l’interprète de Macbeth n’avait pas pour but de tenter de s’imposer face à une animation parasite de son air « Pietà, rispetto, amor »
D’autant qu’elles s’ajoutent à celle, elle aussi souvent superflue pour le sens dramatique des scènes, de ces deux personnages féminins présents dès le début dont les voiles noirs pourraient être iraniens ou siciliens, dont on se demande encore quel lien ils entretiennent avec le déroulé de l’histoire, à part d’intriguer le spectateur. En revanche, le personnage mystérieux qui attire à lui le cadavre de Banco relève du surnaturel, mais la réalisation n’est-elle pas un peu trop « grand-guignol » ? Ainsi la réalisation oscille entre esthétisme – le cadavre du roi exposé façon Christ gisant – et obscurité – le panneau portant l’inscription en capitales VATICINIO, c’est-à-dire prédiction, dont on voit pas quelle précision il apporte à l’évidence.
Au-delà de ces aspects problématiques – comme l’étaient peut-être les costumes du chœur masculin pour le banquet, en décalage avec les tenues de soirée du chœur féminin, le choix de marquer les coupables de cet enduit qui de leurs mains homicides va s’étendre à leurs avant-bras – l’essentiel est dans la musique et dans les voix. Les élèves de l’Académie sont irréprochables, tant Melissa D’Ottavi en dame d’honneur de Lady Macbeth que Matteo Pietrapiana, domestique ou sicaire, ou encore Emil Abdullaiev, en médecin attentif, et évidemment Francesco Congiu, qui dans le rôle de Malcolm tient tête à Macduff, dans leurs échanges au dernier acte.
Ce Macduff est incarné par Matteo Roma, découvert il y a quelques années à Pesaro. Cherche-t-il à échapper à la case « tenore di grazia » où on l’enferme parfois ? Il donne à son air « Ah la paterna mano » une énergie virile certaine, comme si la colère était le seul sentiment à exprimer, et aussi pour démontrer l’amplitude et la solidité de sa voix. C’est spectaculaire, impressionnant, et cela fait mouche sur le public. Attention toutefois à un certain relâchement dans la diction. Adolfo Corrado est attentif à la sienne, et la puissance de son émission, dans ce petit théâtre, lui fait camper de façon crédible et efficace Banco, le guerrier peu enclin à la spéculation qui ne comprend que trop tard le danger qui le menace.
Pourquoi le taire, la voix de Marily Santoro nous semble d’abord si claire qu’elle ne peut-être la Lady souhaitée par Verdi. Mais peu à peu, l’engagement de la chanteuse, son souci d’incarner le personnage, vont dissiper la réticence initiale. Sans doute les sons ne seront-ils jamais « laids » comme Verdi le souhaitait, jamais dans les joues ou dans la gorge, mais cela signifie que l’artiste use intelligemment de sa voix telle qu’elle est. Peut-être aurait-on aimé une scène de somnambulisme un peu moins expressionniste, mais le numéro est exécuté sans les excès de certaines. Le « Trionfai » est enlevé, brillant, même si la fluidité des volées ne subjugue pas. Globalement une bonne prestation, justement saluée au final.
Même succès pour Vito Priante pour ses débuts en Macbeth. Une fois Banco disparu, dont le volume et la profondeur de la voix pénalisaient un peu la sienne, ce chanteur scrupuleux cisèle son rôle et déploie ses moyens sans les forcer. Il semble très attentif à représenter l’évolution psychologique du personnage au gré de ses airs et gère au mieux son ampleur vocale en fonction de l’écriture du rôle.
Il est soutenu par la direction attentive de Francesco Lanzillotta, qui obtient de l’orchestre les sonorités alors « étranges », cordes doucereuses ou grinçantes, clarinette morbide, et des rythmes tranchants ou lancinants qui obsèdent. L’orchestre est vraiment le protagoniste duquel dérivent les autres et cette interprétation en est une saisissante preuve. Si la fosse est d’emblée dans le jeu, il faut aux artistes des chœurs un peu de temps pour que la précision du cercle des sorcières soit impeccable, et on l’aurait aimé plus discordant, mais le chœur masculin est irréprochable.
Succès pour tous, le public international étant pour la plupart conquis d’avance, dans sa joie d’être à Busseto !