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Bernard Lefort : un phénix à l’Opéra

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Actualité
17 août 2009

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L’Opéra de Paris n’a pas attendu Nicolas Joel et Gérard Mortier pour que ses directeurs se posent en rivaux. Dès le début des années 1980, Rolf Liebermann et Bernard Lefort jouaient les frères ennemis. Si la postérité semble depuis avoir donné raison au premier (dont le mandat est souvent cité en exemple), le destin est en train d’accorder au second une revanche inattendue.

 

  

« Le regard bleu glacé, le profil romain, le geste impérial et la voix bien timbrée, Bernard Lefort entre à l’Opéra comme un général en terrain conquis », écrivait Maurice Fleuret dans le Nouvel Observateur. Nous sommes en octobre 1980 et le nouveau directeur de l’Opéra de Paris – dont la personnalité appelle les métaphores guerrières, c’est un signe – tient à se démarquer de son prédécesseur Rolf Liebermann. Il « refuse l’héritage », « comme un pharaon, s’emploie à effacer les brillantes images du règne précédent », « renonce aux reprises qui auraient pu marquer une continuité, réorganise tout, change les hommes, trouve d’autres outils et construit ses programmes dans un vide absolu. » poursuit Maurice Fleuret dans le même article. L’histoire parfois a de ces bégaiements. Avant d’administrer des maisons d’opéras, Bernard Lefort a été chanteur lyrique, impresario et conseiller musical.

   

Il nait à Paris en 1922, année ou meurt Marcel Proust. Le monde dans lequel il grandit rappelle d’ailleurs celui d’A La Recherche du temps perdu. Ce n’est pas un hasard s’il y aura du Charlus en Bernard Lefort : l’autorité, l’allure martiale, l’œil perçant, le flamboiement et un certain goût pour les jeunes hommes qui ne l’empêchera pas de se marier deux fois. Le Crépuscule des Dieux avec Germaine Lubin et Herbert Janssen à 12 ans sous les ors du Palais Garnier décide de sa vocation. Aux études de droit, il préfèrera le théâtre, les concerts et surtout l’opéra. Via le chant dans un premier temps qui le verra, ténor puis baryton, obtenir en 1943 un deuxième prix, le premier étant décerné à Gérard Souzay, et dans l’ombre de son aîné (Souzay est né en 1918), défendre les couleurs de la mélodie française. De 1953 à 1958, son accompagnatrice attitrée est Germaine Tailleferre qui compose à son intention un Concerto des vaines paroles pour baryton et orchestre. Lucerne et Paris l’applaudissent dans Don Giovanni et Macbeth. Puis, en 1960, une grave maladie l’oblige à interrompre sa carrière.

 

Il refuse toutefois d’abandonner cet univers lyrique qui est le sien. Il se convertit en imprésario, métier encore peu développé en France à l’époque, et montre encore plus de flair qu’il n’avait de voix. De contacts en auditions, il découvre Shirley Verrett, José Van Dam, Tatiana Troyanos, Montserrat Caballé qu’il poussera à remplacer Marylin Horne à New York dans Lucrezia Borgia – on connaît la suite. Il prend aussi sous son aile un certain nombre de jeunes chanteurs qui lui semblent prometteurs : Placido Domingo, Léonie Rysanek, Giacomo Aragall, Beverly Sills, Gino Quillico, Neil Shicoff, Peter Gottlieb, Michel Sénéchal. La liste est éloquente.

 

Quand Louis Ducreux démissionne de la direction de l’Opéra de Marseille en 1965, Gaston Defferre propose le poste à Bernard Lefort qui l’accepte. Commence alors sa troisième vie, la plus longue, la plus fameuse et la plus douloureuse. Durant ses trois saisons marseillaises, il fourbit ses armes de directeur dans un répertoire qui ose l’inédit en France – The Turn of the Screw, L’Affaire Makropoulos,… – et mélange habilement les époques : Sud de Kenton Coe d’après Julien Green et Le Sourire au pied de l’échelle d’Antonio Bibalo d’après Henry Miller tout autant que Lulu, Madame Butterfly, le Comte Ory, La Juive, La damnation de Faust, Eugène Onéguine, etc. Surtout il expérimente ce qui sera sa marque de fabrique : confier à des hommes de théâtre leur première mise en scène d’opéra. C’est ainsi qu’il s’adjoindra le concours de Jorge Lavelli, Georges Lavaudan, Georges Wilson, Jean Le Poulain, Peter Brook et de beaucoup d’autres.

Mais son caractère bien trempé lui joue déjà des tours. Ne s’entendant pas avec le nouveau conseiller culturel de Gaston Defferre, il démissionne, monte à Paris où il s’occupe de la programmation de diverses manifestations. En juin 1971, à la suite du décès soudain de René Nicoly et en attendant l’arrivée de Rolf Liebermann prévue à l’automne 1973, Jacques Duhamel, ministre de la Culture, propose à Daniel-Lesur et à Bernard Lefort de partager la direction de l’Opéra et de l’Opéra-Comique de Paris. Ce qui nous vaut ce mot vachard mais amusant de Gabriel Dussurget : « Le problème est que Lefort n’est pas sûr et que Lesur n’est pas fort ». Le fondateur du Festival d’Aix-en-Provence réglerait-il déjà ses comptes avec celui qui est appelé à lui succéder en 1974 ? Car la prochaine étape pour Bernard Lefort est bien la direction de cette manifestation devenue en un quart de siècle l’une des premières de l’art lyrique. Sous son mandat, le festival s’écarte de la voie mozartienne tracée par Dussurget pour explorer des territoires plus belcantistes : Roberto Devereux, Elisabeth, Reine d’Angleterre, Tancrède et Sémiramis dans lesquels Montserrat Caballe et Marylin Horne font des étincelles qui illuminent à tout jamais les nuits aixoises. C’est ainsi que Bernard Lefort fait souffler un vent de jeunesse au pied de La Sainte Victoire : on monte des tréteaux sur la place des Quatre Dauphins ; les metteurs en scène investissent les lieux ; le répertoire baroque affleure et le jean accède à la cour de l’Archevêché.

En juillet 1980, au départ de Rolf Liebermann de l’Opéra de Paris, Bernard Lefort retrouve naturellement ou presque le siège qu’il lui avait laissé 6 ans auparavant avec, on l’a vu, la volonté de faire table rase du passé. Déjà, Opéra, mon métier, le livre qu’il vient de publier, fustige la politique de son prédécesseur, dénonçant notamment l’emploi, à ses yeux excessif, de chanteurs étrangers. Il veut que les artistes français retrouvent le chemin de la première scène nationale. Il dirige depuis deux ans dans cette intention l’Ecole d’art lyrique de l’Opéra de Paris. Il compte faire appel à de jeunes talents pour la mise en scène : Daniel Mesguish, Bruno Bayen… Et pour bien montrer que Liebermann n’a pas tout inventé, la seule reprise annoncée est cette Femme sans ombre par laquelle en 1972 Bernard Lefort avait obtenu son plus grand triomphe. L’entrée de Dardanus au Palais Garnier doit symboliser l’ère nouvelle ; elle en sonne déjà le glas. La réalisation musicale de la tragédie lyrique de Rameau a été confiée à Raymond Leppard qui, sous prétexte d’intérêt dramatique, procède à des coupes malheureuses dans la partition. Bernard Lefort achève de scier la branche en effectuant des changements dans la distribution au dernier moment. Le succès n’est pas au rendez-vous. D’une manière générale d’ailleurs, mis à part Peter Grimes avec Jon Vickers dans le rôle titre qui sera repris à Londres, la politique artistique du nouveau directeur ne convainc pas. Il programme Jenufa pour faire connaître Janacek mais, craignant que les choeurs n’arrivent pas à chanter le tchèque, choisit la version française et se les met à dos. S’ajoutent des problèmes financiers ; les syndicats s’en mêlent. « Nous devrons attendre tout de même la prochaine grève des machinistes pour prendre la mesure de cette autorité » prophétisait Maurice Fleuret. En juillet 1982, un an avant la fin de son contrat, Bernard Lefort préfère quitter un navire qu’il estime ingouvernable. Il part en claquant la porte.

    

Cette malheureuse expérience engendre une amertume extrême qui assombrira ses dernières années, pudiquement racontées par Pierre-Jean Rémy dans son dictionnaire amoureux de l’opéra. Bernard Lefort quitte la France se jurant de n’y jamais remettre les pieds, s’abstenant même de prendre des avions qui auraient pu la survoler. L’une de ses ultimes apparitions fut Pimène dans le Boris Godounov filmé par Zulawski. Peu à peu, l’immense tristesse de sa vie le conduit à l’irrémédiable ; il met un terme à ses jours le 19 janvier 1999. Michel Sénéchal chantait à son enterrement dans l’église Saint-Roch. Ses cendres furent dispersées dans la Seine par ses amis.

 


Twin Towers © Bernard Lefort

 

Mais voilà que, par l’entremise de Dominique Garban, auteur d’un récent ouvrage sur Jacques Rouché1 –  un autre seigneur de l’Opéra – le phénix renaît de ses cendres. Bernard Lefort fait aujourd’hui parler de lui d’une manière inattendue. Lors d’un séjour à New York, dans les années 1980, un de ses amis, journaliste, lui offre un appareil photo Leica avec lequel il réalise de très nombreuses vues de la ville, dont certaines spectaculaires des Twin Towers. Clichés prophétiques, retrouvés récemment, qui montrent dans leur implacable géométrie les bâtiments détruits le 11 septembre 2001. L’originalité et la beauté de ces 22 photographies leur vaudront d’enrichir les collections du futur musée du « Ground zero » à New York. Ironie du sort diront certains ; démonstration, selon nous, de la largeur d’un talent artistique que l’opéra dévora.

 

 

Christophe Rizoud

 

Avant de s’envoler pour les Etats-Unis, les photographies des Twin Towers par Bernard Lefort seront présentées le mardi 8 septembre à 20h30, à Paris (Mairie du VIIIe arrondissement, 3 rue de Lisbonne, 75008 Paris) lors d’une soirée musicale exceptionnelle animée par Dominique Garban et par le pianiste Bruno Fontaine qui interprétera un choix de partitions de compositeurs américains, dans des transcriptions et arrangements personnels. L’événement est ouvert au public uniquement  sur réservation au 01 44 90 76 43, dans la limite des places disponibles.

 

 

1 Jacques Rouché, l’homme qui sauva l’Opéra, éditions Somogy

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