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Cinq questions à Francesca Aspromonte

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Interview
6 juillet 2017
Cinq questions à Francesca Aspromonte

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A l’affiche de L’Orfeo de Rossi la saison dernière à Nancy puis à Versailles, Francesca Aspromonte y incarnait Eurydice et ravissait la vedette au poète de Thrace. La fougueuse soprano calabraise se prête de bonne grâce au jeu des cinq questions alors qu’elle est sur le point d’incarner l’héroïne principale de l’Erismena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón.  


A 23 ans, vous étiez déjà la révélation de l’Eritrea de Cavalli, exhumée à Venise (2014); la saison dernière, vous triomphiez dans L’Orfeo de Rossi à Nancy puis à Versailles et aujourd’hui vous interprétez le rôle-titre de l’Erismena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence. Tout semble aller assez vite, comment gérez-vous votre carrière et votre voix ?

C’est vrai, tout s’est déroulé nettement plus vite que je n’aurais osé l’imaginer et, inévitablement, je ressens une forte pression, des attentes toujours plus grandes, tant de la part du public que de la critique. Mais je ressens aussi l’envie de faire de belles choses et de les faire bien, raison pour laquelle il faut apprendre très vite à se connaître, à connaître ses points forts comme ses limites, en écoutant également les conseils de ceux qui ont plus d’expérience afin de pouvoir gérer ses ressources en conséquence.

J’ai si souvent entendu que « les grandes carrières se font avec des non » : c’est vrai. Il y a des moments où l’on se retrouve face à de multiples projets et où l’on voudrait prendre part à tous ! Mais nous sommes des êtres humains avant d’être des chanteurs, et comme tels nous avons besoin de plages de repos, soit pour reprendre notre souffle entre deux projets, soit, surtout, pour sortir du microcosme de l’opéra et s’occuper de choses « normales et ordinaires ». Dans un premier temps, refuser une proposition peut sembler un péché mortel, mais en réalité cela joue à notre avantage car évaluer à ce moment précis ce qu’il convient de chanter, de ne plus chanter ou ce qu’il serait préférable d’aborder plus tard, c’est la clé pour chanter longtemps et bien.    

Aujourd’hui mon répertoire oscille entre le premier Seicento et la fin du Settecento et je cherche à espacer les productions quand le saut stylistique entre elles est fort grand, afin de laisser à la voix le temps nécessaire pour se réhabituer à l’émission adéquate pour le répertoire de la période concernée ; le style, mais aussi l’ornementation change, de même que le texte poétique et la manière de le déclamer, de le transmettre. 

Sous la plume de Rossi, Eurydice devenait un personnage beaucoup plus riche et intéressant que chez Caccini, Peri et Monteverdi. En outre, ce rôle semblait taillé sur mesure pour votre tempérament. Pourriez-vous lever un coin du voile sur cette prise de rôle impressionnante, sur votre travail avec Raphaël Pichon et Jetske Mijnssen ?

Le récit d’Orphée chez Rossi est bien plus intéressant, parce qu’il s’étend à d’autres personnages, chacun avec sa propre histoire : des interventions divines, vindicatives, de viles pulsions humaines, qui n’avaient pas leur place quarante ans plus tôt dans les livrets de Rinuccini et de Striggio.

Eurydice devient un personnage complexe, non pas seulement la jeune fille amoureuse qui voit la vie en rose, mais également la femme qui préfère la mort au risque de salir son honneur et le fantôme, cruel et sadique, qui revient des enfers pour tourmenter celui qui lui a ôté la vie. Toutes ces transformations ne seraient justement pas possibles si n’apparaissait pas, dans cette version du mythe, le personnage d’Aristée, épris d’Eurydice, qui cherche par tous les moyens à l’arracher à Orphée et qui, finalement, y parvient, mais en provoquant sa mort. Cette relation avec Aristée, magistralement interprété par ma collègue Giuseppina Bridelli, est même plus importante et complexe que celle avec Orphée. Jetske Mijnssens a beaucoup travaillé avec nous sur l’élaboration des gestes, des regards qui rendent les personnages incroyablement complices et particulièrement vrais dans la manière dont ils se cherchent et se repoussent, même si, malheureusement, ils n’ont aucun duo.

Ce n’était pas difficile, du point de vue émotionnel ou musical, d’interpréter les instants de joie adolescente de la jeune épouse ou les moments extrêmement douloureux et le désespoir de la morte ; nous avons tous une expérience de vie qui nous aide à porter à la scène de tels états émotionnels. Au contraire, le Fantôme d’Eurydice a demandé un tout autre travail, et ce à tous points de vue. Raphaël Pichon a eu la riche idée de jouer les épisodes de folie dans des tempi fort rapides et carrés qui confèrent à Eurydice une méchanceté, une perfidie, un plaisir sadique à faire souffrir Aristée que j’ai eu beaucoup de difficultés à exprimer à travers le chant et à incarner physiquement.  

Je peux dire sans me tromper que l’expérience que j’ai vécue avec ce merveilleux opéra est la plus belle jusqu’ici, professionnellement et surtout humainement parlant.

Quel genre d’héroïne est l’Erismena de Cavalli ?

Erismena est une femme trahie, habitée par un énorme désir de vengeance, qui parvient à se travestir en homme afin de pouvoir parcourir, cinq ans durant, cours et champs de bataille à la recherche d’Idraspe. Elle traverse des moments de profond désespoir, mais la flamme de l’espoir ne cesse également de brûler en elle et la pousse à aller de l’avant.  

C’est le seul personnage de l’opéra qui demeure fidèle à lui-même, ne change pas et ne se laisse pas emporter par les événements. Retrouver Idaspe est son seul objectif et elle finit dans une cour où toutes les femmes sont amoureuses de lui et où elle est faite prisonnière puis condamnée à mort avec celui qu’elle aime, alors que ce dernier ne connaît pas sa véritable identité. Mais nous sommes dans le monde magique de l’opéra, par conséquent, l’intrigue, particulièrement emmêlée, finit par se dénouer dans un lieto fine

Vocalement, le rôle représente un beau défi sur le plan de la tessiture : tous les récitatifs où elle se fait passer pour un homme, un guerrier, sont plutôt graves et carrés, tandis que les airs comme les récitatifs où elle affiche sa féminité et sa fragilité évoluent dans l’aigu et se prêtent aussi bien à des coloratures qu’à des lamenti en cantabile.

C’est peut-être l’aspect le plus intéressant d’Erismena : une personnalité contrainte à la duplicité, à montrer au monde un autre visage que celui que lui renvoie le miroir et qui, néanmoins, demeure intègre, profondément féminine et, en un certain sens, libre, plus que tous les autres personnages, de pouvoir choisir ce qu’elle va devenir.  

L’Erismena réunit une distribution internationale (Nouvelle Zélande, Pologne, Russie, Royaume-Uni, USA, France, Italie), vous sentez-vous, avec vos compatriotes, les garants de l’ « italianità », si importante dans ce répertoire où la musique sert toujours le texte? 

Dans le répertoire du XVIIe siècle, connu pour son recitar cantando, une bonne connaissance de la langue italienne est particulièrement nécessaire. Par rapport au passé, les jeunes chanteurs ont aujourd’hui plusieurs outils à leur disposition pour s’approprier l’italien (il suffit de penser à Internet, aux cours de langue, aux écoles toujours plus internationales), de sorte qu’il m’arrive souvent de travailler avec des collègues étrangers qui ont une excellente prononciation. Mais la poésie du XVIIe siècle n’est pas facile, même pour les Italiens, parce qu’il faut étudier le répertoire et entrer dans son langage poétique, ce qui implique de se remettre sans cesse en question. Bien que nos collègues étrangers aient un niveau élevé, nous nous sentons, en tant qu’Italiens, responsables à leur égard ; ainsi, par exemple, quand ils nous demandent la prononciation exacte d’un mot, le son d’une voyelle, le pourquoi d’une règle grammaticale.

Nous devons trouver un motif rationnel pour ce que nous faisons d’instinct, afin de répondre aux questions des collègues étrangers et c’est amusant, par exemple, quand dans une distribution se retrouvent des Italiens qui proviennent de différentes régions de la Botte, car il y a tout de suite une compétition pour trouver celui qui a la diction la plus correcte. Quelqu’un qui chante dans sa langue maternelle, quelle qu’elle soit, est certainement avantagé par rapport aux autres, mais la beauté de ce travail réside dans le fait que du mélange de toutes ces sonorités puisse jaillir quelque chose de compréhensible pour le public. Et pour ceux qui ne comprendraient pas, il y a toujours les sous-titres !

A l’automne, vous serez à l’affiche du Don Giovanni qui ouvrira la nouvelle saison de l’Opéra de Nancy, puis à Versailles pour un Serse (Haendel) de haut vol (F. Fagioli, V. Genaux, S. Piau) avant la reprise de l’Erismena : un agenda très français. L’opéra se porte mal en Italie et les jeunes chanteurs, aussi doués soient-ils, semblent condamnés à se tourner vers l’étranger s’ils veulent réussir. Comment vivez-vous cette situation ?

L’agenda d’un chanteur est un des aspects les plus agréables de cette profession. Sauf à choisir la voie d’une troupe, stable, il faut s’habituer à avoir toujours une valise à portée de main : aujourd’hui ici, demain là et après-demain, Dieu sait où. Ainsi, chaque année est différente, selon les programmations des théâtres.

L’Italie a un lien très fort avec le grand répertoire et les programmes regorgent d’ouvrages de Verdi, Rossini, Donizetti, au détriment du répertoire du XVIIe et du début du XVIIIe. Ces mêmes théâtres sont, pour la plupart, nettement mieux adaptés, quand ils n’ont pas été conçus pour une musique bien plus tardive que celles de Monteverdi et de Cavalli. Il faut se rappeler que les œuvres de ces derniers ont été créées soit dans de vastes salons en marbre de palais aristocratiques, dont l’acoustique flatte naturellement  la voix et l’orchestre, soit dans des théâtres de dimensions réduites en comparaison avec le San Carlo de Naples ou avec la Scala.

La France, par contre, bien plus que les autres nations européennes, consacre beaucoup de place au répertoire baroque, qu’il soit sacré ou lyrique, et c’est la raison pour laquelle de nombreux jeunes chanteurs qui s’illustrent dans la musique de cette période foulent nettement plus souvent les scènes française que les scènes italiennes. 

Si 2017 m’aura vue presque exclusivement chanter en France, en 2018 je me produirai en République tchèque, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, en Suisse ainsi qu’en Italie, puisque j’aurai le plaisir de retourner à la Fenice pour incarner Angelica dans l’Orlando furioso de Vivaldi. Mon répertoire comprendra également Haendel, Bach, Mozart, Haydn… Dans les prochains mois sortira également mon premier disque soliste, un florilège d’airs du Seicento où je serai accompagnée par lI Pomo d’Oro placé sous la conduite d’Enrico Onofri. Stay tuned !    

  

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